Pendant des mois, le nutritionniste Bernard Lavallée a déterré toutes les informations qu’il a pu trouver sur un melon cultivé il y a plus de 100 ans à Montréal. De cette quête obsédante, qui l’a transformé en ermite, ressort un coffret de semences à répandre allègrement afin que le passé ne soit pas oublié.

Depuis quelques années, Bernard Lavallée assemble des coffrets de fruits et de légumes ancestraux « par peur qu’ils ne disparaissent et qu’on ne les oublie », dit-il. En 2022, il a aussi publié À la défense de la diversité, un livre retraçant les plantes et les animaux qui ont nourri nos ancêtres avant de disparaître à tout jamais.

« C’est une obsession sous-jacente à beaucoup de mes projets », souligne celui qu’on connaît aussi sous le nom du Nutritionniste urbain. Parmi toutes ces espèces autrefois glorieuses, il voue une affection particulière au melon de Montréal qui est, selon lui, l’emblème d’une alimentation appartenant au passé.

« Il m’a fait réaliser que du jour au lendemain, tout ce qu’on mange peut disparaître, dit l’auteur. En retournant aux sources, j’ai découvert que personne ne savait vraiment quelle était l’origine des histoires qu’on raconte. » Il est donc passé à travers quantité de catalogues de semences et de boîtes poussiéreuses pour en déterrer l’histoire. Ainsi, ce qui devait être un sachet de semences accompagné d’un petit livret est devenu un livre qui, à ce jour, est l’histoire la plus complète racontée sur ce fruit mythique.

À la recherche d’un temps perdu

Bernard Lavallée est tombé dans un vortex, happé dans sa quête au point de faire le vide autour de lui et de travailler du matin au soir sans pouvoir s’arrêter. Il faut dire que l’histoire de ce melon, qu’on disait à nul autre pareil, est fascinante. On raconte qu’au tournant du XXe siècle, les nantis payaient une somme coquette pour en déguster une seule tranche. Vendu 2,50 $ en 1922, ce melon brodé à chair verte vaudrait 43,15 $ aujourd’hui !

De ce fruit, servi dans les établissements de luxe de la ville et jusqu’à New York, on sait qu’il avait une chair succulente et parfumée, sans plus de précisions.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Bernard Lavallée

C’est fascinant de penser qu’il y a à peine 100 ans, on a cultivé un fruit tellement précieux à Montréal qu’il a contribué à la renommée de la ville et qu’aujourd’hui, la majorité des gens n’en ont jamais entendu parler.

Bernard Lavallée, nutritionniste

En effet, l’enthousiasme entourant le melon de Montréal a commencé à s’estomper dans les années 1920. L’une des raisons étant que ses producteurs ont vendu leurs terres pour la construction d’autoroutes et de maisons, précise l’auteur.

L’abandon de sa culture a provoqué sa disparition, jusqu’à ce qu’un journaliste du quotidien The Gazette, Mark Abley, s’y intéresse en 1991 et mette la main sur un sachet d’anciennes semences dans une banque de préservation en Iowa. Quelques années plus tard, on annonçait le grand retour du melon de Montréal. Mais est-ce bien le bon ?

Retrouver le goût d’antan

De nombreuses personnes ont émis des doutes sur la véracité de ce nouveau melon de Montréal. En se fiant aux archives, aucun autre melon ne lui arriverait au pédoncule ! Les photos d’époque montrent par ailleurs des spécimens de grand format. Or, en le cultivant, certains lui ont trouvé un goût ordinaire et des dimensions modestes. Déception.

« Mes recherches m’ont permis de comprendre que même à l’époque, on avait des melons de différentes tailles : il y en avait des petits, des moyens, des gros, argue Bernard Lavallée. Pour ce qui est des saveurs, certains spécimens ont moins bon goût, mais d’autres sont vraiment intéressants. »

En ce moment, on a probablement besoin de resélectionner la variété pour retrouver le goût d’antan. C’est ce qu’on essaie de faire avec ce projet en espérant que plein de gens le cultivent pour qu’il redevienne exceptionnel.

Bernard Lavallée, nutritionniste

Le melon de Montréal aurait-il été mis sur un piédestal à l’époque dans des publicités produites par ceux qui souhaitaient le vendre ? Fort possible. Pour y avoir goûté et l’avoir lui-même fait pousser dans sa rue, Bernard Lavallée estime toutefois que les meilleurs spécimens ont « un goût distinct qui en vaut la peine ».

N’ayant aucune donnée permettant de comparer la génétique des nouveaux spécimens aux anciens, on ne pourra probablement jamais confirmer qu’il s’agit bien des semences du fruit qui a alimenté la légende. Mais est-ce si pertinent ? questionne Bernard Lavallée. « Si on est capables de cultiver des melons qui ont bon goût, qui ont une taille respectable et qui, en plus, permettent de raconter cette histoire, je pense que c’est gagnant. »

C’est la réponse émotive. D’un point de vue scientifique, c’est une diversité de bagages génétiques avec lesquels on peut travailler pour développer de nouvelles variétés dans l’avenir, fait-il aussi valoir. Certaines variétés ancestrales résistent à des maladies, à des insectes ou à la sécheresse. « C’est important de préserver ce patrimoine alimentaire québécois, une richesse immatérielle qu’on ne doit pas oublier. »

Mettre la main à la terre pour le patrimoine

PHOTO FOURNIE PAR LE NUTRITIONNISTE URBAIN

L’ensemble de culture du melon de Montréal

Bernard Lavallée a collaboré avec le semencier Louis-Philippe Mailloux, de Semences Nouveau Paysan, pour créer l’Ensemble de culture. Sur des centaines de melons de Montréal cultivés par le semencier, les meilleures graines ont été conservées pour ce projet de coffret qui comprend un livre et un sachet de semences. « Je rêve que plein de gens au Québec participent à cette expérience », confie l’auteur qui organise un concours amical du plus gros melon de Montréal. Le défi est lancé. Le coffret du melon de Montréal est vendu sur la boutique en ligne du Nutritionniste urbain, au prix de 29 $.

Consultez le site du Nutritionniste urbain