«De toutes les maisons construites par mon grand-père, celle-ci a toujours été ma préférée», affirme Martine Desjardins, petite-fille de l'architecte Louis Desjardins et copropriétaire, avec sa plus jeune soeur Élise, d'un quintuplex hérité de la famille. Entre les solides et paisibles murs, où elle vit avec son mari Serge Larivière et son fox-terrier Winnie, elle exerce aussi son métier d'écrivaine et de chroniqueuse (à L'actualité).

Les trois frères Desjardins - Louis, Léonard et Antonio - construisaient des maisons dans l'est de Montréal avant de s'établir dans la Ville de Mont-Royal, en 1935, à l'invitation du premier maire, Thomas S. Darling (en fonction de 1913 à 1934), qui cherchait à attirer des résidants dans cette «cité modèle» du Canadien Northern Railway (le CN), notamment par des maisons à logements.

 

Au fil des ans, les frères Desjardins y ont bâti 25 immeubles pour un ensemble de 300 logements. La presque totalité de ce patrimoine bâti se trouve encore aujourd'hui aux mains de la famille. «Nous ne vendons pas, nous apprécions, confie Martine. Une autre de nos soeurs, Mireille, demeure à côté. Mon père demeure en bas, ma mère en face, mon frère à quelques rues, les cousins un peu autour. Nous nous voyons tous les jours.»

Les inspecteurs de la Ville ont remarqué la préservation exceptionnelle de cette maison, rapporte Alain Côté, des affaires publiques de la Ville. «Et les gens d'Opération patrimoine architectural de Montréal ont reconnu unanimement qu'elle sortait du lot. Ils l'ont choisie comme une des cinq maisons coup de coeur de l'année 2009.»

Entretenir, simplement

Les fenêtres à guillotine, une cinquantaine environ, ont été simplement entretenues année après année: un vitrier compétent sait comment réparer ou refaire ces cadres munis d'une spirale de métal. «C'est pas mal de travail de les changer deux fois par année, relate Martine: l'été pour les moustiquaires et l'hiver pour la double vitre. Elles sont toutes codées de la main de mon grand-père, chacune n'allant qu'à son unique place...»

Dans le hall, on remarque des murs lambrissés de merisier et les carreaux d'origine, jaune maïs et gris, d'environ deux pouces et demi de côté, luisants de santé grâce à un cirage annuel. Le garde-corps de bois a été refait exactement comme celui d'origine par un ébéniste.

Maisons et famille

Les six enfants Desjardins de la famille de Martine ont appris comme on respire comment s'occuper des maisons, de l'entretien à la comptabilité. Louis Desjardins a cédé le quintuplex à son fils Maurice en 1960. «Vers 1995, mon père nous l'a légué, relate Martine. J'y habite depuis 1980.» Élise, pianiste et professeure au Conservatoire de musique de Montréal, l'a habité dans les années 80. Elle y a eu sa fille Béatrice, devenue... Coeur de pirate, la chanteuse-pianiste québécoise qui perce à Paris en ce moment.

Une des premières réalisations de Martine fut d'équiper la bâtisse d'une chaudière à l'huile pour chauffer l'eau des calorifères. «L'eau était chauffée par la chaudière de la maison voisine, celle de ma soeur Mireille, relate Martine. Un tunnel reliait les deux maisons. Cela était assez fréquent dans le quartier.»

Les cuisines et salles de bain de ces maisons étaient très simples, sans luxe, mais la construction était d'une grande qualité. «Tous les hommes qui ont travaillé ici en sont impressionnés, dit Martine. Les poutres sont plus solides que nécessaire, ça ne bouge pas, le plâtre ne fendille jamais. Dans le ciment de l'escalier extérieur, on voit des morceaux de silice. Les joints sont très rarement à refaire.»

Il y a sept ans, il a tout de même fallu réparer les fondations et installer un drain français. Les cuisines et les salles de bain ont été refaites dans tous les logements sauf un, habité par les mêmes locataires depuis 50 ans. La salle de bain de Martine et Serge a conservé son oeil-de-boeuf avec verre cathédrale, mais le plancher et les murs ont été recouverts de carreaux imitant le marbre blanc.