Murs décrépits, peinture cloquée, vernis écaillé, vaisselle cassée, planchers boursouflés. Les intérieurs immortalisés par le photographe autodidacte Jogues Rivard ressemblent aux pires cauchemars des décorateurs et des agents immobiliers. Pourtant, ils captivent.

Murs décrépits, peinture cloquée, vernis écaillé, vaisselle cassée, planchers boursouflés. Les intérieurs immortalisés par le photographe autodidacte Jogues Rivard ressemblent aux pires cauchemars des décorateurs et des agents immobiliers. Pourtant, ils captivent.

 Une étrange, mais non moins fascinante beauté se dégage de chacun des clichés dévoilés à la galerie d'architecture montréalaise Monopoli, un centre d'exposition consacré à l'architecture. Vingt-six photographies de l'artiste de 29 ans sont actuellement présentées dans le cadre de l'événement Jogues Rivard, aventurier des bâtiments perdus.

L'une des photos les plus percutantes est assurément celle de la cuisine d'un ancien édifice situé à Sainte-Clotilde-de-Horton (Centre-du-Québec). Ce bâtiment a été un monastère, un noviciat et un centre de réadaptation pour handicapés intellectuels avant d'être endommagé par un incendie, en 1988. «L'édifice comporte une plaque sur laquelle on peut lire Maison Notre-Dame de la Chesnaie», précise l'artiste.

Aucune mise en scène

Cette cuisine totalement délabrée pourrait figurer dans un film d'épouvante ou peut-être dans un documentaire sur la catastrophe de Tchernobyl. Autrement dit, l'atmosphère des lieux est inquiétante. La peinture cloque de partout. Il y a de la vaisselle en mille morceaux qui jonche le sol et, sur la table au stratifié décollé, on aperçoit des bols, un pichet de lait, de la vinaigrette Kraft et une boîte de craquelins. Jogues Rivard aurait-il amélioré, voire amplifié l'esprit dramatique du décor avant de le photographier?

«Je ne fais aucune mise en scène, jure Jogues Rivard. D'autres personnes étaient passées avant moi, car c'était comme ça lorsque j'ai visité l'endroit. Parfois, je peux enlever un objet, comme une bouteille de bière laissée peu avant ma visite, mais c'est tout», dit-il.

Adepte de l'exploration urbaine, Jogues Rivard adopte un style documentaire. Sa passion? Découvrir des bâtiments placardés ou abandonnés. Souvent seul, il arrive aisément à se faufiler à l'intérieur des lieux «normalement inaccessibles».

«Je ne brise jamais rien, tient-il à préciser. Étonnamment, il y a toujours un accès aux bâtiments.»

Parfois, il profite de l'occasion pour jouer les hauts dirigeants. Il s'est notamment retrouvé dans un ancien bureau de direction d'Imperial Tobacco. Aujourd'hui, les bâtiments industriels de ce complexe sont progressivement convertis en immeubles à condos par le Groupe Prével. «J'avais tout le bureau à moi», raconte Jogues Rivard qui pratique le métier de technologue en génie mécanique.

Parmi les autres lieux «agonisants» ou en attente d'être rénovés, il y a la Brasserie Dow, à Montréal, et l'abbaye cistercienne Notre-Dame-du-Bon-Conseil, à Saint-Romuald.

Lors de ma visite à la galerie Monopoli, je me suis arrêtée net devant une photo de l'ancienne abbaye: dans une lumière quasi irréelle, j'aperçois un lit de «chirurgie» qui trône au centre d'une pièce aux murs et au plafond à la peinture horriblement écaillée.

Lumière naturelle

«Je retourne souvent dans un même édifice pour obtenir la meilleure lumière naturelle qui soit», explique le photographe.

Un autre cliché montre la tête d'une statuette du Christ décapité. Tout près, sur une autre photo, on voit des chaises de bureau aux pieds métalliques restés accrochés au mur.

Autres lieux visités: un bureau d'Imperial Tobacco (dans lequel se trouve une chaise à roulettes), une partie de l'usine Singer, à Saint-Jean-sur-Richelieu, la fonderie de cuivre Noranda Copper and Brass, le tunnel Wellington et le célèbre silo à grain no 5.

Alain Laforest, photographe, commissaire et cofondateur de la galerie, résume la démarche de l'artiste. «Pour Jogues Rivard, les bâtiments vivent et meurent, ils ont leurs derniers instants, leur dernier souffle; il les recueille, parfois trop tard ou parfois encore animés par les dernières traces des derniers gestes des humains qui y travaillaient, y vivaient (...) Jogues Rivard est un aventurier déterminé et organisé. Ses photos vont de l'indication, de la description au témoignage, à l'émotion.»

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Jusqu'au 10 mai

Tél.: 514- 868-6691

www.galeriemonopoli.com 

 

Photo fournie par Jogues Rivard

Sur cette photo prise à l'abbaye cistercienne Notre-Dame-du-Bon-Conseil, à Saint-Romuald, un lit de «chirurgie» qui trône au centre d'une pièce aux murs et au plafond à la peinture horriblement écaillée.