Les arbres soufflés par la tempête jonchent la route qui mène à Saint-Donat. À destination, 50 mastodontes terrassés par les vents attendent d’être réduits en tronçons. Le petit pommier, lui, est resté intact, lové au cœur d’une maison dont il est devenu le point de mire.

De sa Montérégie natale, l’architecte Maxime-Alexis Frappier garde le souvenir réconfortant de la ferme, du poulailler et de 5000 pommiers répartis sur 100 arpents de terre fertile et domestiquée. Une toile bien différente des paysages indomptés du Nord auxquels il a toutefois fini par s’attacher au fil des années. Sa douce a grandi dans cette topographie de monts, de lacs et d’épinettes où ses parents ont longtemps eu un chalet avant de s’établir à plein temps sur la rive du lac Archambault.

Le charme des sentiers enveloppants de ski de fond, la patinoire du village, l’immense étendue d’eau sur laquelle pratiquer la voile et la présence chaleureuse de la belle-famille ont fini par avoir raison du gars de la Rive-Sud. Après des années de locations dans les environs, Maxime-Alexis Frappier a fait l’acquisition du terrain adjacent à celui de ses beaux-parents, mais en forêt, avec l’intention d’y construire une habitation connectée à son écrin de vert.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, collaboration spéciale

L’architecte Maxime-Alexis Frappier, sa femme Marie-Andrée Lahaie et leurs deux fils, William et Arthur

Au cœur de cette résidence, un arbre étranger au paysage fleurit — fragment de souvenir importé : un gamin courant dans un verger d’Hemmingford… C’est autour de ce pommier que s’articule la maison en U dont les trois principaux blocs en porte-à-faux rappellent les bâtiments de ferme. Chacun a sa fonction : les aires de vie et le garage d’un côté ; de l’autre, deux blocs qui comprennent la suite parentale et l’aile des adolescents.

L’angoisse de la création

Quand a débuté la conception de cette résidence en 2019, l’architecte français Roger Taillibert — l’ami, le maître — écoulait ses derniers moments de vie. « Il a été celui qui m’a aidé à prendre du recul sur ma pratique. Il m’a toujours dit que le premier devoir de l’architecte est de créer l’émotion. » Taillibert y parvenait notamment par l’utilisation des courbes. Et c’est là que Maxime-Alexis Frappier a puisé l’inspiration pour ses premières esquisses.

« Au départ, j’ai créé une maison ronde, mais le projet n’est pas passé au comité familial, raconte-t-il en riant. La sagesse de mon épouse m’a ramené à des considérations pratiques : où iront les meubles dans ce genre d’espace et combien ça va coûter ? »

PHOTO FOURNIE PAR ACDF

Une terrasse adjacente à la cour intérieure est grillagée au besoin avec des stores articulés. Cet espace hybride entre l’intérieur et l’extérieur crée le pont entre les blocs d’habitation en continuité avec l’intérieur et contribue à brouiller les frontières.

L’architecte est donc retourné à sa planche à dessin. D’esquisse en esquisse, il a trouvé l’émotion avec ce concept minimaliste et graphique, évoluant autour d’une cour intérieure qui agit comme un immense puits de lumière. Dans cette percée visuelle, le soleil se balade du matin au soir pour baigner la cuisine de lumière ambrée en fin de journée. La lune s’y pointe ensuite et fait place à un ciel étoilé. Contrairement au bloc de verre des aires de vie qui met en scène la base des arbres, l’ouverture centrale permet d’en voir danser la cime. C’est dans cette ouverture que son pommier s’enracine. L’espace vibre. Palpite.

On est dans une forêt dense. On comprend mieux l’importance de chacun des arbres quand on en adopte un.

Maxime-Alexis Frappier, architecte et fondateur de la firme ACDF

« Comme architecte, c’est vraiment trippant de faire sa maison. » Et tout aussi anxiogène, dit-il en avouant avoir ressenti la pression de se prouver et de se démarquer avec cette création personnelle. « Tout en faisant ça, je dessinais une tour de 42 étages à Vancouver, mais l’angoisse que j’avais avec ma maison était de vivre dans un design qui allait marquer un moment bien précis de ma carrière. »

« Pour pallier mon anxiété de faire quelque chose qui allait se démoder, j’ai revisité les grands principes de composition avec lesquels on ne peut pas se tromper. » Tel l’artiste peintre, il a travaillé la superposition de couches, les jeux de contrastes et de transparence qui créent la profondeur et l’intérêt. Dès l’entrée, le visiteur découvre cet espace multicouche — le sas, l’ouverture centrale, la terrasse, la forêt. Les frontières entre la nature et l’extérieur sont floutées.

Se ramener à l’essentiel

Le couple voulait un plain-pied avec un espace entièrement vitré permettant de se connecter à la nature. L’effet de transparence a été concentré dans l’axe du salon. « On a l’impression d’être à l’extérieur comme en camping. C’est un espace qui donne envie d’échanger avec l’autre, de lire… », souligne Marie-Andrée Lahaie. « Et de faire autre chose que d’écouter la télé », enchaîne William, l’aîné des deux garçons.

  • L’espace entièrement vitré permet de se connecter à la nature. L’effet de transparence a été concentré dans l’axe du salon.

    PHOTO FOURNIE PAR ACDF

    L’espace entièrement vitré permet de se connecter à la nature. L’effet de transparence a été concentré dans l’axe du salon.

  • L’espace entièrement vitré permet de se connecter à la nature. L’effet de transparence a été concentré dans l’axe du salon.

    PHOTO FOURNIE PAR ACDF

    L’espace entièrement vitré permet de se connecter à la nature. L’effet de transparence a été concentré dans l’axe du salon.

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Pour arriver à créer un espace entièrement vitré dans l’aire de vie et les espaces de circulation, l’architecte a fait une économie de fenêtres dans les chambres. Pour réduire les coûts, il a composé avec les contraintes de construction existantes. Le plafond adopte une hauteur de 9 pi, comme les grandes fenêtres qui sont dans les standards de l’industrie. Les salles de bains et la cuisine sont sans fioritures et les pièces, de dimensions raisonnables.

« On voulait une maison où on pourrait être tous ensemble et se voir, mais tout en ayant de l’intimité. Ensemble ou séparés, on est visuellement en contact. Et pour être plus isolé, on se retire dans nos chambres », souligne le concepteur dont la maison aura été un petit laboratoire de création et une occasion de pousser certains concepts dans les limites budgétaires. Une question a d’ailleurs accompagné le processus et servi de paramètre à la création : en avons-nous vraiment besoin ?

« La pression était grande. Mais je suis vraiment heureux de ce qu’on a fait. Je trouve qu’au bout du compte, c’est un bel exemple d’utilisation raisonnable de ressources pour créer des espaces où on se sent bien », en conclut Maxime-Alexis Frappier. Le petit pommier accueille une faune, donne le pouls de la température, se métamorphose au fil des saisons… « On a l’impression que cet arbre nous accompagne au quotidien. Je crois que c’est cette relation entre la nature et l’humain qui me rend le plus heureux. »