Il faut connaître les dessous de l’histoire et l’envers du décor pour comprendre l’ampleur des défis relevés par La Firme pour moderniser ce loft, localisé au quatrième étage d’une usine datant du début du XIXsiècle, et y infuser le confort exigé par ses nouveaux propriétaires. Le résultat est une prouesse technique et un astucieux travail de camouflage.

Pierre Hotte n’est pas un peureux, déduit-on assez rapidement à son contact. Il confirme. En 1973, alors au secondaire, il provoquait les conditions pour attirer l’attention de celle qui est toujours dans sa ligne de mire 50 ans plus tard. Depuis, il a fondé une famille et une entreprise, bâti des ponts, des aéroports et des hôpitaux dans plus de 17 pays, guidé toujours par un caractère volontaire et un flair certain.

L’homme est du genre à suivre son intuition, dit-il. C’est d’ailleurs assez impulsivement qu’il a fait l’acquisition de cette propriété qui combine deux appartements sur 1700 pi⁠2 de superficie. Elmire attendait preneur depuis deux ans sur le marché de la vente ; Pierre avait toujours rêvé d’un loft pour ses vieux jours. Une belle rencontre.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pierre Hotte a grandi dans les arts. Sa mère, artiste et pionnière des émaux sur cuivre, a fait ses classes aux côtés de Riopel. Cet espace du loft est celui qu’il affectionne tout particulièrement. Y sont rassemblées une partie de ses passions — la musique et l’art — à travers des photos de famille, des souvenirs et des livres.

« Je voulais une maison qui respire. Un lieu où l’on voit grand, où l’on voit loin », raconte son propriétaire. Le loft offrait un généreux bain de lumière et une vue imprenable sur le mont Royal. Il laissait miroiter un quotidien simplifié par la proximité de la montagne, des boutiques, des gyms, des cafés et restaurants, mais surtout, d’une partie de sa progéniture, déjà installée à quelques pas de là.

Ce projet, c’est celui d’un couple dans sa troisième phase de vie.

Pierre Hotte, propriétaire d’Elmire

Ciblée comme nid pour les 20 prochaines années, Elmire venait d’emblée avec un stationnement et un ascenseur. Elle avait néanmoins un puissant défaut : son manque de confort. Rien d’insurmontable pour l’acheteur motivé. « Je ne suis pas un peureux, non. Il ne fallait pas l’être pour s’embarquer dans un tel projet parce qu’une fois que c’est fait, t’es content, mais c’est loin d’être simple », insiste-t-il, en remettant tout le crédit à l’équipe qui a permis de concrétiser sa vision.

Elmire et son charme industriel

PHOTO LORENZO PRINCE ET AL., EXTRAITE DE MÉMOIRE DU MILE-END, LABORATOIRE D’HISTOIRE ET DE PATRIMOINE DE MONTRÉAL, UQAM

La bâtisse abritant Elmire, que l’on voit ici en 1915, a jadis accueilli la manufacture de vêtement pour hommes Campbell Manufacturing.

Érigée en 1909 sur le dépotoir d’un quartier encore fantomatique, la bâtisse a jadis accueilli la manufacture de vêtements pour hommes Campbell Manufacturing et, plus tard, des entreprises de confection de chaussures, de valises et de costumes, jusqu’à sa conversion en lofts résidentiels en 1989. L’architecte Joseph Perreault y a laissé sa signature, la même qu’on retrouve sur plusieurs édifices du Mile End : une brique rouge, un jeu de reliefs et des ancres en acier dont la fonction est à la fois ornementale et structurelle.

IMAGE FOURNIE PAR BANQ

Publicité pour les lofts « Le Coloniale », dans La Presse du 18 novembre 1989

Des défis de taille

Par confort, Pierre Hotte et sa conjointe entendaient climatisation, insonorisation, chauffage et échangeur d’air à la fine pointe de la technologie, une cave à vin et une cuisine de chef : des idées en contradiction avec l’état des lieux. Car si le charme d’Elmire est indéniable avec ses volumes et ses lignes d’époque, il fallait quelques acrobaties techniques pour la ramener à ce niveau d’exigence.

  • La cuisine d’Elmire avant les travaux

    PHOTO FOURNIE PAR LA FIRME

    La cuisine d’Elmire avant les travaux

  • Une salle de bain avant les travaux

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    Une salle de bain avant les travaux

  • L’entrée avant les travaux

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    L’entrée avant les travaux

  • Le salon avant les travaux

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    Le salon avant les travaux

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Ses planchers en bois plein visaient à l’origine à protéger les travailleurs d’un incendie. Un avantage évident dans le contexte de l’époque, mais moins dans celui d’un immeuble de logements où la surface agit comme un tambour. C’est sans compter des murs « en papier », une plomberie offrant peu de marge de manœuvre et un patrimoine à conserver, raconte le principal designer du projet, Louis Béliveau. « Le plancher à lui seul revenait à grimper un éléphant sur des talons hauts », image-t-il.

  • Les propriétaires aiment cuisiner. L’espace repas devait être spacieux et fonctionnel, en plus d’offrir quantité de rangement. Un îlot de 10 pi recouvert d’une plaque entière d’ardoise du Québec offre un plan de travail généreux. Il est suivi d’une table tout aussi longue en fenix, un matériau en résine d’acrylique des plus résistants.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Les propriétaires aiment cuisiner. L’espace repas devait être spacieux et fonctionnel, en plus d’offrir quantité de rangement. Un îlot de 10 pi recouvert d’une plaque entière d’ardoise du Québec offre un plan de travail généreux. Il est suivi d’une table tout aussi longue en fenix, un matériau en résine d’acrylique des plus résistants.

  • Le propriétaire est un amateur de café. Un coin est réservé à son rituel. À gauche, une enfilade d’arches d’origine a été conservée et mise en valeur.

    PHOTO ULYSSE LEMERISE BOUCHARD, FOURNIE PAR LA FIRME

    Le propriétaire est un amateur de café. Un coin est réservé à son rituel. À gauche, une enfilade d’arches d’origine a été conservée et mise en valeur.

  • Derrière les arches d’époque, La Firme a créé ce bloc qui accueille une partie de la cuisine et fait la transition avec l’entrée. Il dissimule un coin buanderie et une salle d’eau.

    PHOTO ULYSSE LEMERISE BOUCHARD, FOURNIE PAR LA FIRME

    Derrière les arches d’époque, La Firme a créé ce bloc qui accueille une partie de la cuisine et fait la transition avec l’entrée. Il dissimule un coin buanderie et une salle d’eau.

  • L’acier inoxydable plié recouvre les comptoirs et permet d’éliminer les joints. Il magnifie du même coup la luminosité des lieux.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    L’acier inoxydable plié recouvre les comptoirs et permet d’éliminer les joints. Il magnifie du même coup la luminosité des lieux.

  • Pour camoufler une partie de la plomberie, le plancher a dû être travaillé en paliers. Surélevée, la « terrasse » offre du même coup un point de vue bonifié sur la totalité du mont Royal.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Pour camoufler une partie de la plomberie, le plancher a dû être travaillé en paliers. Surélevée, la « terrasse » offre du même coup un point de vue bonifié sur la totalité du mont Royal.

  • Le promontoire de la « terrasse » a été prétexte à dissimuler un lit dans un grand tiroir pour les invités.

    PHOTO ULYSSE LEMERISE BOUCHARD, FOURNIE PAR LA FIRME

    Le promontoire de la « terrasse » a été prétexte à dissimuler un lit dans un grand tiroir pour les invités.

  • Une partie du loft accueille la galerie d’art qui est à la fois zone de lecture, de musique et de contemplation.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Une partie du loft accueille la galerie d’art qui est à la fois zone de lecture, de musique et de contemplation.

  • Les grandes fenêtres révèlent un paysage urbain d’un côté et la montagne de l’autre.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Les grandes fenêtres révèlent un paysage urbain d’un côté et la montagne de l’autre.

  • Des portes pleine hauteur se fondent dans la cloison du mur lorsqu’elles sont fermées. Les blocs de verre sont un clin d’œil au style industriel des lieux et laissent filtrer la lumière dans la salle de bains.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Des portes pleine hauteur se fondent dans la cloison du mur lorsqu’elles sont fermées. Les blocs de verre sont un clin d’œil au style industriel des lieux et laissent filtrer la lumière dans la salle de bains.

  • Le marbre veiné de cristaux de malachite est une œuvre d’art en soi, un heureux « hasard géologique » pour lequel Pierre Hotte, géologue de formation, a eu un coup de cœur. Cinq plaques de marbre italien ont dû être agencées pour obtenir cette composition où les veinures se reflètent dans un impressionnant jeu de miroir.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le marbre veiné de cristaux de malachite est une œuvre d’art en soi, un heureux « hasard géologique » pour lequel Pierre Hotte, géologue de formation, a eu un coup de cœur. Cinq plaques de marbre italien ont dû être agencées pour obtenir cette composition où les veinures se reflètent dans un impressionnant jeu de miroir.

  • La chambre est dissimulée derrière le bloc de la salle de bains. Les panneaux de bois accueillent les placards et une partie de la mécanique nécessaire à la ventilation. On accède à la cave à vin, construite derrière une arche d’origine, par le couloir de la chambre.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    La chambre est dissimulée derrière le bloc de la salle de bains. Les panneaux de bois accueillent les placards et une partie de la mécanique nécessaire à la ventilation. On accède à la cave à vin, construite derrière une arche d’origine, par le couloir de la chambre.

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La dalle de béton, désolidarisée de la surface d’origine, abrite désormais le chauffage à l’eau qui tempère tout l’appartement. Un colossal travail d’ébénisterie réalisé par Atelier 13 permet d’insuffler une chaleur visuelle à l’ensemble tout en camouflant la mécanique, les appareils, le rangement et les pièces fermées derrière des panneaux et divisions. Pour défier les hauteurs, puisque le loft est situé au quatrième étage de l’immeuble, et en l’absence de monte-charge, tous les matériaux ont dû être introduits à travers les fenêtres grâce à des poutrelles et des passerelles.

« T’as peut-être remarqué que ça sent le p’tit vieux quand on entre dans l’édifice ? Ben tu vas voir qu’ici, c’est pas le cas ! », lance Pierre avec une pointe de fierté en dirigeant la conversation sur son système de purification d’air. Non, en effet, aucun effluve de nostalgie et d’immobilisme dans ces lieux. « Ici », ça sent le renouveau.