Il faut connaître les dessous de l’histoire et l’envers du décor pour comprendre l’ampleur des défis relevés par La Firme pour moderniser ce loft, localisé au quatrième étage d’une usine datant du début du XIXe siècle, et y infuser le confort exigé par ses nouveaux propriétaires. Le résultat est une prouesse technique et un astucieux travail de camouflage.
Pierre Hotte n’est pas un peureux, déduit-on assez rapidement à son contact. Il confirme. En 1973, alors au secondaire, il provoquait les conditions pour attirer l’attention de celle qui est toujours dans sa ligne de mire 50 ans plus tard. Depuis, il a fondé une famille et une entreprise, bâti des ponts, des aéroports et des hôpitaux dans plus de 17 pays, guidé toujours par un caractère volontaire et un flair certain.
L’homme est du genre à suivre son intuition, dit-il. C’est d’ailleurs assez impulsivement qu’il a fait l’acquisition de cette propriété qui combine deux appartements sur 1700 pi2 de superficie. Elmire attendait preneur depuis deux ans sur le marché de la vente ; Pierre avait toujours rêvé d’un loft pour ses vieux jours. Une belle rencontre.
« Je voulais une maison qui respire. Un lieu où l’on voit grand, où l’on voit loin », raconte son propriétaire. Le loft offrait un généreux bain de lumière et une vue imprenable sur le mont Royal. Il laissait miroiter un quotidien simplifié par la proximité de la montagne, des boutiques, des gyms, des cafés et restaurants, mais surtout, d’une partie de sa progéniture, déjà installée à quelques pas de là.
Ce projet, c’est celui d’un couple dans sa troisième phase de vie.
Pierre Hotte, propriétaire d’Elmire
Ciblée comme nid pour les 20 prochaines années, Elmire venait d’emblée avec un stationnement et un ascenseur. Elle avait néanmoins un puissant défaut : son manque de confort. Rien d’insurmontable pour l’acheteur motivé. « Je ne suis pas un peureux, non. Il ne fallait pas l’être pour s’embarquer dans un tel projet parce qu’une fois que c’est fait, t’es content, mais c’est loin d’être simple », insiste-t-il, en remettant tout le crédit à l’équipe qui a permis de concrétiser sa vision.
Elmire et son charme industriel
Érigée en 1909 sur le dépotoir d’un quartier encore fantomatique, la bâtisse a jadis accueilli la manufacture de vêtements pour hommes Campbell Manufacturing et, plus tard, des entreprises de confection de chaussures, de valises et de costumes, jusqu’à sa conversion en lofts résidentiels en 1989. L’architecte Joseph Perreault y a laissé sa signature, la même qu’on retrouve sur plusieurs édifices du Mile End : une brique rouge, un jeu de reliefs et des ancres en acier dont la fonction est à la fois ornementale et structurelle.
Des défis de taille
Par confort, Pierre Hotte et sa conjointe entendaient climatisation, insonorisation, chauffage et échangeur d’air à la fine pointe de la technologie, une cave à vin et une cuisine de chef : des idées en contradiction avec l’état des lieux. Car si le charme d’Elmire est indéniable avec ses volumes et ses lignes d’époque, il fallait quelques acrobaties techniques pour la ramener à ce niveau d’exigence.
Ses planchers en bois plein visaient à l’origine à protéger les travailleurs d’un incendie. Un avantage évident dans le contexte de l’époque, mais moins dans celui d’un immeuble de logements où la surface agit comme un tambour. C’est sans compter des murs « en papier », une plomberie offrant peu de marge de manœuvre et un patrimoine à conserver, raconte le principal designer du projet, Louis Béliveau. « Le plancher à lui seul revenait à grimper un éléphant sur des talons hauts », image-t-il.
La dalle de béton, désolidarisée de la surface d’origine, abrite désormais le chauffage à l’eau qui tempère tout l’appartement. Un colossal travail d’ébénisterie réalisé par Atelier 13 permet d’insuffler une chaleur visuelle à l’ensemble tout en camouflant la mécanique, les appareils, le rangement et les pièces fermées derrière des panneaux et divisions. Pour défier les hauteurs, puisque le loft est situé au quatrième étage de l’immeuble, et en l’absence de monte-charge, tous les matériaux ont dû être introduits à travers les fenêtres grâce à des poutrelles et des passerelles.
« T’as peut-être remarqué que ça sent le p’tit vieux quand on entre dans l’édifice ? Ben tu vas voir qu’ici, c’est pas le cas ! », lance Pierre avec une pointe de fierté en dirigeant la conversation sur son système de purification d’air. Non, en effet, aucun effluve de nostalgie et d’immobilisme dans ces lieux. « Ici », ça sent le renouveau.