Que serait Montréal sans sa montagne ? Certains n'ont qu'à franchir le seuil de leur porte pour se retrouver sur ses pentes ! Ils habitent le Site patrimonial déclaré du mont Royal. Cette semaine : vivre devant le parc Jeanne-Mance.

Chaque matin, au lever, Luana Boulanger se fait un café et retourne le boire au lit, d'où elle contemple à loisir les oiseaux qui festoient sur son balcon : le pic chevelu, le pic mineur, la sittelle. « C'est la montagne qui descend sur mon balcon, dit-elle. Les pics sont des habitants de la forêt, pas de la ville. » 

Du balcon, on voit le monument érigé à la mémoire de Sir George-Étienne Cartier, à l'orée du parc du Mont-Royal. Et on devine le chemin Olmstead, « le meilleur pour admirer les grands, grands arbres, dans leurs feuilles ou dénudés », dit Luana Boulanger. Cette dynamique journaliste à la retraite préfère toutefois les petits sentiers où, dans le bois, par mille courbes et petits ponts, elle parvient à l'une ou l'autre destination : le belvédère Camilien-Houde, l'Hôpital général de Montréal...

L'hiver, en ski, les mésanges mangent dans sa main. Au printemps, d'extraordinaires tapis de trilles et de sanguinaires couvrent le sol. L'été, elle profite de la montagne, mais elle va aussi à la campagne, où elle a un petit chalet.

Ainsi va la vie, pour Luana Boulanger, avenue de l'Esplanade. Le coeur dans la forêt et les deux pieds dans l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Doux farniente le matin, devant la montagne.

Montagne et village

Après plus de 30 ans - elle a acheté en 1987 et vivait auparavant dans la même rue -, Luana Boulanger s'émerveille encore d'être là, en face du parc Jeanne-Mance, dans une rue conviviale comme un village. « Les gens habitent un même triplex pendant des décennies. Le garçonnet que j'ai vu grandir aide maintenant sa mère à effectuer des rénovations. J'ai une copine qui vit en bas, un peu de biais, depuis 1974. On se sent bien comme à la campagne. Même si, il faut le dire, notre rue n'est pas la première déneigée... »

Vaste condo bohème

La copropriété divise de Luana Boulanger, qui fait 1900 pi2, se trouve au second étage, dans un ensemble uniforme de deux triplex mitoyens, construits en 1910.

Les hauts plafonds (11 pi), les arches séparant les pièces, certains angles de murs arrondis, la baie vitrée et l'abondante lumière donnent une agréable sensation d'espace. En plus des pièces à vivre, l'appartement offre quatre chambres, dont une sert de bureau, et un petit corridor au mur garni de portes (tiroir et placards) du plancher au plafond. Des cailloux leur servent de poignées, posés par la maîtresse des lieux.

Luana Boulanger a voulu un décor bohème et organique : murs peints à l'éponge - en violet, vert émeraude, ocre -, mannequin représentant Cybèle, déesse de la nature sauvage, imposante branche d'arbre polie sur le sol, plusieurs nids d'oiseaux sur le buffet de la salle à manger et chemin de table en galets de rivière.

Une chambre à l'avant

Lorsqu'elle a vécu à Paris, Luana Boulanger avait une chambre à coucher donnant sur la rue.

 

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Le salon double, terminé par une baie vitrée. Devant le canapé, un banc de cordonnier tient lieu de table de salle à manger. 

Motifs populaires

Sur la façade se trouve un castor en relief qui a toujours intrigué la propriétaire. « Quand il y a des visites guidées dans ma rue, l'animateur montre toujours le castor, relate-t-elle. Mais je n'entends pas ce qu'il dit. »

Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal et guide à ses heures, reconnaît le castor comme un simple motif populaire, au même titre qu'une feuille d'érable ou une guirlande. « Il était parfois sculpté dans la pierre ou encore moulé dans le ciment intégré à la façade, explique-t-il. Il est apparu au XIXe siècle, et on en voit jusqu'en 1940 ou 1950. »

Luana Boulanger y voit un étonnant rappel de sa vie à la campagne. « Mon chalet d'été est juste à côté d'une chute, explique-t-elle. Il faut constamment empêcher les castors de provoquer trop d'érosion et de détruire un passage. »

« La montagne, je ne fais que tourner autour, reprend celle qui a été pensionnaire, jusqu'à l'âge de 16 ans, sur le chemin de la Côte-des-Neiges. En classe, je m'évadais en regardant par la fenêtre. J'étais encore plus près de la forêt que maintenant. »

Et le bruit des tam-tam, en été, n'est-il pas envahissant ? « Il m'arrive d'aller me réfugier dans une autre chambre, moins en façade », répond Mme Boulanger.

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Le castor et la feuille d'érable, des ornements populaires jusque dans les années 40 et 50.