Elle a fière allure avec sa brique nettoyée, ses boiseries grattées et repeintes, ses trois mâts de drapeau restaurés. Bâtie en 1915, cette maison située au 1365, rue Frontenac a vu le quartier Saint-Sacrement se construire autour d'elle. Après avoir été occupée par trois générations de Bussières, elle est passée aux mains de nouveaux propriétaires, soucieux de lui redonner son lustre d'antan.

Juste avant Noël, Martin Dubois nous recevait chez lui, dans sa demeure fraîchement saluée par les Mérites d'architecture de la Ville de Québec, catégorie Entretien-Préservation. Consultant en patrimoine pour la firme Patri-Arch, il fait honneur à son titre. «Je voulais prêcher par l'exemple. Notre objectif est de la conserver le plus possible.»

Pour les aider dans leurs démarches, les nouveaux propriétaires ont pu compter sur les plans d'origine de la maison et un album photo de la famille Bussières avec la résidence en toile de fond. C'est ainsi qu'ils ont rouvert les grilles d'aération de la galerie avant, qui avaient été condamnées. Une galerie qui n'a rien de banal, avec sa forme évasée comme une jupette.

Martin Dubois retrouve dans cette maison l'influence de l'architecture américaine, qui était très forte à partir de la fin du XIXe siècle à Québec. 

Le «Blue Porch Ceiling» 



Les propriétaires actuels voyagent beaucoup en Nouvelle-Angleterre et affectionnent ce style de maisons. Ils ont même poussé ce penchant en peignant en bleu le plafond de la galerie, un détail architectural courant dans le Maine. 

Dans son blogue sur le site de l'Université Laval (goo.gl/5Oug5H), Martin Dubois a déjà raconté les mythes et les légendes entourant cette tradition du «Blue Porch Ceiling». Il éloignerait les mauvais esprits, les araignées, les guêpes et les oiseaux, annoncerait qu'une fille à marier vit ici, donnerait l'illusion d'admirer le ciel, inciterait à la détente... Peu importe la véritable origine, cette coutume est charmante.

Autrement, un solarium a été construit à l'arrière pour remplacer une petite véranda irrécupérable. «Les fondations étaient pourries, la structure se décollait», précise le consultant en patrimoine. On y voit que du feu tant l'ensemble s'harmonise bien.

De la peinture antirouille a été appliquée sur la toiture de tôle à la canadienne et tôle à baguette. Des tablettes de fenêtre en bois pourri ont été remplacées par des tablettes en pierre. On a aussi creusé pour poser un drain agricole et imperméabiliser les fondations. Puis les propriétaires ont revu l'aménagement extérieur et corrigé les pentes de terrain.

Authenticité à l'intérieur

«Le décor est aussi authentique à l'intérieur qu'à l'extérieur», assure Martin Dubois. Il aime les boiseries, belles dans leur simplicité. L'escalier central est toujours aussi magistral, oeuvre d'Eugène-Joseph Bussières, premier propriétaire qui était ébéniste et travaillait en décoration religieuse. 

Les fenêtres ont encore leur système de châssis doubles à changer à l'automne et au printemps. Les nouveaux occupants ont toutefois retiré le vieux papier peint qui était sur les murs. Tous les plâtres ont été refaits. Les planchers ont été sablés et revernis. «En haut, il y avait plusieurs couches de prélarts par-dessus le bois», mentionne Martin Dubois.

À l'étage, il ajoute qu'il n'y avait aucune prise de courant, mais des rallonges électriques partout. D'où une réfection totale du système électrique et, par le fait même, de la plomberie.

Une des quatre chambres du haut a été convertie en salle de bain moderne. Quant à l'ancienne salle de bain, elle est devenue une salle de lavage. «Je ne peux pas croire qu'avec une famille de 13 enfants, ils avaient juste cette mini salle de bain!» s'exclame Martin Dubois en parlant des premiers occupants.

Après huit phases de travaux depuis l'acquisition de la maison en 2008, les propriétaires actuels s'attaqueront à la rénovation complète de la cuisine et de la salle d'eau au rez-de-chaussée et à la réisolation de l'entretoit. 

À ce jour, le couple estime avoir investi plus de 150 000 $ en rénovation. La majorité des travaux ont été confiés à l'entrepreneur Michel Thériault.

Une histoire de famille

Yvon Bussières, conseiller de Démocratie Québec, a grandi dans cette maison construite par son grand-père qui a eu 13 enfants et rachetée par son père qui en a eu 8. «On avait chacun nos corvées. Moi, je lavais les planchers le vendredi et je réparais les vitres cassées», dit-il en riant.

De cette maison ancestrale, il se rappelle de beaux moments de rassemblement durant le temps des Fêtes. «Elle était toujours décorée et illuminée pour les circonstances.»

Yvon Bussières se souvient que durant l'hiver, il montait sur le toit et s'attachait à la cheminée pour déneiger et déglacer. «Je me suis déjà retrouvé les deux pattes dans le vide!»

Parti de la rue de La Tourelle dans Saint-Jean-Baptiste pour s'installer en «banlieue» de Québec, son grand-père Eugène-Joseph Bussières avait acheté trois lots. La maison qu'il a construite est l'une des premières du quartier Saint-Sacrement, avant même la première église et le tracé des rues.

À l'origine, il y avait la maison familiale, un jardin à côté et un garage avec poulailler à l'arrière. La demeure des Bussières devait être un «signal» pour le développement de résidences unifamiliales dans le secteur, raconte le conseiller. Or, pendant la crise économique, E.-Jos Bussières a fait construire un jumelé voisin pour occuper ses enfants. Le quartier a évolué et vu pousser des duplex et du multilogement.

Fournie par Martin Dubois

Les 13 enfants de E.-Jos Bussières et Malvina Gagnon sont aujourd'hui décédés. La famille compte près de 200 descendants.

L'attachement d'Yvon Bussières au secteur vient aussi du fait que sa mère, jeune fille, habitait une autre grande demeure dans la même rue, celle de son père, le Dr Simard. «D'où la rencontre entre mes parents.»

Lucille Simard Bussières, sa mère, a habité le 1365, rue Frontenac jusqu'à son décès en 2007.

Le conseiller municipal se dit heureux du sort réservé à cette demeure de 1915 et ravi qu'elle ait retenu l'attention des Mérites d'architectures de la Ville de Québec pour ses 100 ans. Avec ses pignons, ses mâts et ses boiseries rabotées à la main par son grand-père, ébéniste de talent qui enseignait la construction d'escalier aux Beaux-Arts, elle a toujours été une source de fierté pour la famille.

Yvon Bussières salue le travail d'entretien et de préservation de Martin Dubois, l'actuel propriétaire, avec qui il a déjà siégé à la Commission d'urbanisme et qui a travaillé avec sa soeur. «Il a voulu lui redonner son cachet d'origine. On est très heureux de la conservation», dit-il reconnaissant.

Le Soleil, Jean-Marie Villeneuve

Le conseiller Yvon Bussières