(Tbilissi) Le Parlement géorgien a adopté mardi définitivement une loi sur l’influence étrangère, balayant les avertissements de l’UE et des États-Unis et poussant à nouveau dans la rue des milliers de Géorgiens dénonçant un texte rapprochant ce pays du Caucase de la Russie.

Les députés du parti au pouvoir du Rêve géorgien, majoritaires dans l’hémicycle, ont adopté la loi par 84 voix pour, et quatre contre, contournant le véto qu’avait apposé la présidente pro-occidentale Salomé Zourabichvili après l’adoption du texte au Parlement le 14 mai.  

La plupart des députés de l’opposition ont quitté l’hémicycle lors du vote, a constaté l’AFP.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a dit « profondément regretter » cette adoption. Il a appelé cette ex-république soviétique du Caucase à « revenir fermement sur la voie de l’UE », soulignant que les 27 examinaient « toutes les options ».  

Washington, par la voix du porte-parole du département d’État, a aussi « condamné » un vote ignorant « les aspirations euro-atlantiques du peuple géorgien ».  

Les détracteurs du texte, qui ont manifesté plusieurs fois en masse depuis début avril, le qualifient de « loi russe », pour sa similitude avec une législation sur les « agents de l’étranger » utilisée en Russie depuis 2012 pour réprimer toute voix dissidente.

La loi impose aux ONG ou média recevant plus de 20 % de leur financement de l’étranger de s’enregistrer en tant qu’« organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère » et de se soumettre à un contrôle administratif.  

Plusieurs ONG ont dit s’attendre à ce que leurs actifs soient gelés et leur travail entravé après l’entrée en vigueur de la loi.

« Ne pas perdre espoir »

Des manifestants pro-européens, qui avaient commencé à se rassembler devant le Parlement avant le vote, étaient plus de 10 000 en soirée, selon une estimation de l’AFP.  

« Nous nous attendions à ce résultat, mais je suis tellement en colère, tellement frustrée, le plus important maintenant est de ne pas perdre espoir », a indiqué une manifestante, Lizi Kenchochvili.

La présidente Zourabichvili a pris la parole devant la foule : « Vous êtes en colère, n’est-ce pas ? Soyez en colère, mais mettons-nous au travail. Nous devons nous préparer d’abord à un vrai référendum », a-t-elle lancé en référence aux législatives prévues fin octobre.  

« Voulons-nous un avenir européen ou l’esclavage russe ? 84 hommes ne peuvent pas en décider – c’est à nous d’en décider, tous ensemble », a-t-elle ajouté.

PHOTO SHAKH AIVAZOV, ASSOCIATED PRESS

Des manifestants brandissent des drapeaux géorgiens lors d’une manifestation devant le Parlement à Tbilissi, en Géorgie, le mardi 28 mai 2024.

La date de l’entrée en vigueur de la loi est encore incertaine, des ONG ayant évoqué un possible appel devant la Cour constitutionnelle qui pourrait retarder son adoption.

Si le Rêve géorgien a assuré que le texte ne visait qu’à obliger médias et ONG à la transparence, l’opposition géorgienne et l’Union européenne dénoncent une législation antidémocratique, incompatible avec les ambitions affichées par cette ex-république soviétique du Caucase, officiellement candidate à une adhésion à l’UE depuis décembre dernier.

Des opposants interrogés par l’AFP y voient aussi un instrument de répression particulièrement menaçant à cinq mois des législatives, qui pourrait saper les chances du camp pro-européen de revenir au pouvoir.

Le premier ministre géorgien Irakli Kobakhidzé a lui mardi soir justifié l’adoption du texte, soulignant que les pressions pour une intégration européenne avaient conduit l’Ukraine à la guerre.

« Chantage »

« C’est un tel chantage qui a mené l’Ukraine à la situation actuelle », a-t-il déclaré lors d’un point presse.  

Il a aussi balayé les menaces de sanctions de l’UE et de Washington : « personne ne peut punir le peuple géorgien, et personne ne peut punir les autorités élues par le peuple géorgien », a-t-il affirmé.  

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait prévenu la semaine dernière que les États-Unis réexamineraient leur coopération avec Tbilissi en cas d’adoption de ce texte, évoquant des restrictions de visas pour les personnes jugées responsables de « saper la démocratie » en Géorgie.

Bien que le « Rêve géorgien » soutienne formellement l’objectif inscrit dans la Constitution de rejoindre un jour l’UE et l’OTAN, ce parti, au pouvoir depuis 2012, a multiplié les mesures rapprochant le pays de Moscou, surtout depuis le début de la guerre en Ukraine.

La bataille autour du texte – proposé une première fois l’an dernier par le Rêve géorgien avant d’être retiré face à la contestation suscitée – a aussi révélé l’influence de Bidzina Ivanichvili, homme d’affaires qui a fait fortune en Russie.  

Fondateur du Rêve géorgien, le milliardaire a été premier ministre de 2012 à 2013, et continue selon ses détracteurs à diriger le pays en coulisses. Il a récemment multiplié les déclarations anti-occidentales et voit les ONG comme un ennemi de l’intérieur.