La tentative d’assassinat du premier ministre slovaque, Robert Fico relance les craintes de violence politique à quelques semaines d’élections européennes chaudement contestées.

Plusieurs dirigeants du continent ont lancé une mise en garde à ce sujet en réaction à l’attaque contre le politicien, sur qui a tiré à bout portant un retraité de 71 ans critique de son programme politique.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le premier ministre de Belgique, qui préside actuellement l’Union européenne, a indiqué qu’il était « choquant de constater que quelqu’un peut devenir la victime de ses idées politiques ».

« Faisons en sorte que la campagne [européenne] soit intense en mots mais rien de plus », a plaidé Alexander De Croo, qui a porté plainte cette semaine contre un animateur de radio ayant demandé qu’il soit abattu.

Le premier ministre de Pologne, Donald Tusk, a partagé pour sa part un message anonyme publié sur X par un internaute qui saluait l’action de l’agresseur de Robert Fico et soulignait la nécessité d’en faire autant avec lui.

L’appel au calme a une résonance particulière en Allemagne, où de nombreux incidents de violence physique visant des élus ou des candidats aux élections européennes ont été recensés au cours des dernières semaines.

PHOTO LISI NIESNER, ARCHIVES REUTERS

Pancartes électorales affichées dans une rue de Dresde, en Allemagne

Des représentants de partis d’orientations diverses ont été touchés, y compris deux députés régionaux de l’AfD, parti d’extrême droite qui est accusé par ses détracteurs de contribuer par sa rhétorique agressive à la détérioration du climat politique.

En 2019, l’assassinat d’un préfet, tué d’une balle dans la tête par un militant d’extrême droite, avait suscité la consternation dans le pays. Des élus étaient allés jusqu’à évoquer le spectre de la république de Weimar, marqué par de nombreux affrontements violents ayant ouvert la voie au nazisme.

Tom Theuns, analyste politique de l’Université de Leyde, aux Pays-Bas, note que la situation actuelle en Allemagne n’a évidemment aucune commune mesure avec celle de l’époque. Il prévient par ailleurs qu’il faut prendre garde aux généralisations abusives puisque chaque cas de violence politique présente des caractéristiques particulières.

« Détérioration marquée »

Jean-Yves Camus, politologue français qui dirige l’Observatoire des radicalités politiques, note que l’attentat contre Robert Fico est survenu dans un pays où la polarisation politique est extrême.

PHOTO DENES ERDOS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre slovaque, Robert Fico

Plusieurs proches du premier ministre ont réagi en accusant l’opposition d’être responsable de la tentative de meurtre même si rien ne vient étayer une telle affirmation, note M. Camus.

M. Fico privilégiait l’affrontement et s’était publiquement inquiété de la possibilité que les attaques « obscènes » de l’opposition et de médias contre son gouvernement mènent « au meurtre » de l’un de ses membres.

Les tensions qui règnent en Slovaquie trouvent un écho, à des degrés variables, dans plusieurs pays européens où des dirigeants populistes, de gauche ou de droite, croisent le fer avec des partis traditionnellement plus centristes pour s’attirer l’appui de l’électorat.

M. Theuns note qu’on assiste en Europe depuis une dizaine d’années à une « détérioration marquée du discours démocratique » qui se manifeste à la fois dans la manière dont « les politiciens parlent des politiciens » et celle dont « la population parle des politiciens ».

Même si elle est dénuée d’appels directs à la violence, cette rhétorique plus agressive augmente la probabilité, dit-il, que des individus dans la société décident d’y recourir.

« Insatisfaction croissante »

Une étude du Parlement européen parue en 2020 indiquait que la polarisation et les tensions sociales croissantes au sein de l’Union européenne (UE) avaient pour effet d’exposer particulièrement les élus locaux « à la haine et à la violence ».

L’ACLED, une organisation spécialisée dans la collecte de données sur les conflits, a recensé pour la période de 2020 à 2022 plus de 300 évènements violents visant des élus locaux répartis dans 16 des 27 pays de l’UE. La majorité des cas étaient liés à la dégradation d’immeubles publics ou privés, les cas d’agression physique directe contre des personnes étant plutôt rares.

PHOTO BERNADETT SZABO, REUTERS

« La violence n’est pas la solution », « Non à la violence », peut-on lire sur des écriteaux placés dans le centre de Banská Bystrica, en Slovaquie.

Des organisations criminelles qui veulent intimider un élu étaient souvent en cause, en particulier en Italie, mais « l’insatisfaction croissante de la population » alimente aussi le phénomène, selon l’organisation.

Jean-Yves Camus note que les élus locaux se retrouvent en première ligne face aux citoyens, non seulement pour des raisons politiques, mais aussi parfois pour des griefs mineurs.

Le fossé est de plus en plus criant entre la classe politique et la population. Les gens ne se sentent pas représentés et ne reconnaissent pas la légitimité des élus.

Jean-Yves Camus, politologue

La crainte de violence politique est aussi largement discutée aux États-Unis à quelques mois de la tenue d’une élection présidentielle clivante.

« Clivage affectif »

Dans un récent balado, Rachel Kleinfeld, du Carnegie Endowment for International Peace, note que l’assaut contre le Capitole du 6 janvier 2021 a montré que le pays n’était pas à l’abri de nouvelles flambées de violence politique.

Le clivage souvent évoqué des Américains est réel, mais n’est pas aussi important qu’on le pense sur le plan idéologique, dit-elle, puisque démocrates et républicains ont des conceptions qui se recoupent sur de nombreuses questions.

Le « clivage affectif » est cependant exacerbé et fait en sorte que les gens de camps opposés tendent à se voir comme des ennemis.

PHOTO MANDEL NGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestants pro-Trump rassemblés près de la Maison-Blanche, à Washington, le 6 janvier 2021

Des élus encouragent le phénomène à des fins partisanes, mais alimentent du même coup une colère populaire lourde de conséquences pour la classe politique.

Un grand nombre de politiciens sont la cible de menaces, souvent anonymes, a relevé la chercheuse, en précisant que les femmes et les personnes issues de groupes minoritaires sont particulièrement touchées.

Dans l’ensemble, les cas de violence restent plutôt rares, mais « il y en a juste assez pour que les menaces soient crédibles », a-t-elle noté.

La Slovaquie suspendue à l’état de santé « toujours grave » de son premier ministre

Le premier ministre slovaque, Robert Fico, blessé par balle mercredi, a été « de nouveau opéré » vendredi et se trouve toujours dans un état grave, une situation qui plonge le pays dans l’incertitude à trois semaines des élections européennes. « Il a subi une opération de près de deux heures », a précisé son proche allié, le ministre de la Défense Robert Kaliňák, lors d’un point presse à l’hôpital de Robert Banská Bystrica. « Son état est encore très grave. Il faudra sans doute quelques jours pour voir comment cela évolue », a-t-il dit. Un conseil médical doit se réunir lundi pour faire le point sur le traitement à venir. L’enquête se poursuit parallèlement pour en savoir plus sur les motivations du suspect, identifié par les médias comme un retraité de 71 ans, Juraj Cintula. Le tireur présumé comparaîtra samedi devant la justice.