Au fil des jours, la pression s’accentue sur l’Allemagne pour qu’elle autorise des pays ayant acheté des tanks Leopard 2 à les envoyer en Ukraine. Qu’est-ce qui explique l’hésitation allemande ? Diverses raisons. Voyons voir.

Q. Pourquoi les Leopard 2 et non d’autres modèles ?

R. D’abord, parce qu’ils sont nombreux, autour de 2000, sur le sol européen. Leur livraison à l’Ukraine se ferait rapidement. La Pologne, pays qui insiste le plus pour que l’Allemagne donne son accord, partage une longue frontière avec l’Ukraine et souhaite lui envoyer 14 de ses quelque 240 chars. De plus, les Leopard 2 sont fiables, robustes et considérés comme supérieurs aux tanks russes. Plusieurs experts estiment que l’ajout d’une centaine de chars permettrait à l’armée ukrainienne de débloquer le front où tout stagne. L’Ukraine en réclame 300.

Q. La personnalité du chancelier allemand Olaf Scholz est-elle à l’origine des hésitations ?

R. Oui, croit Anthony Steinhoff, professeur au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et spécialiste de l’histoire allemande. « Depuis son arrivée en poste, M. Scholz montre une certaine réserve par rapport aux décisions politiques, surtout dans les situations où il n’y a pas un grand consensus quant au chemin à suivre, dit-il. De plus, dans la présente coalition unissant les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux, environ la moitié des membres sont des pacifistes. Ils ont de grandes résistances face aux actes qui pourraient encourager la guerre. »

PHOTO FABIAN BIMMER, ARCHIVES REUTERS

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, devant un char Leopard 2, durant un discours prononcé lors de la visite d’une base militaire à Bergen, en octobre 2022

Q. La coalition au pouvoir pourrait-elle éclater sur cette question ?

R. « En principe, c’est toujours possible, poursuit Anthony Steinhoff. Mais dans les faits, je ne pense pas. Parce qu’il y a un accord sur les principes de base. La solidarité allemande envers l’Ukraine n’est pas remise en question. La vraie question est de savoir comment exprimer cette solidarité et comment aider directement l’Ukraine. »

Q. Certains craignent une escalade. Est-ce possible ?

R. « Sans être dans le secret des dieux, M. Scholtz est dans une position délicate », observe Marie Gervais-Vidricaire, diplomate retraitée et ambassadrice du Canada en Allemagne de 2013 à 2017. « Il veut se montrer un allié fiable de l’OTAN et [montrer] qu’il est conscient de l’impact que pourraient avoir ces chars sur le terrain. Mais je pense qu’il s’interroge sur les scénarios qui pourraient survenir par la suite. Le président Poutine a déjà dit qu’il ne pouvait exclure l’usage du nucléaire si la Russie, dans son intégrité, était menacée. Qu’est-ce que cela veut dire pour les Russes qui disent depuis longtemps que la Crimée fait partie de la Russie ? » Or, rappelons que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, souhaite reprendre tous les territoires pris par les Russes depuis la conquête de la Crimée en 2014.

Q. Et que dit le peuple allemand ?

R. Il est divisé. « Dans un sondage fait fin décembre/début janvier, on demandait aux gens s’ils pensaient que l’Allemagne doit appuyer fermement l’Ukraine et continuer à long terme son soutien militaire. Seulement 42 % des Allemands ont dit oui de façon très claire, un petit pourcentage était sans opinion ou hésitait, et le reste était contre, remarque Marie Gervais-Vidricaire. Alors que 82 % des Polonais à qui on a posé la question sont en faveur d’un soutien à long terme. On ne peut pas ignorer l’opinion publique. »

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Un manifestant tenait vendredi une pancarte qui incite le chancelier allemand, Olaf Scholz, à « libérer les Leopard », en référence aux chars demandés par l’Ukraine.

Q. Des raisons historiques expliquent-elles aussi cette hésitation ?

R. Oui. La politique allemande, notamment dans ses relations avec la Russie, est teintée des évènements de la Seconde Guerre mondiale. « Les Allemands reconnaissent les torts, dommages et douleurs infligés par les nazis en Russie, dit Anthony Steinhoff. Cela a eu une grande incidence sur la politique et le positionnement des gouvernements allemands. » C’est ce qu’affirme aussi Steven E. Sokol, président de l’American Council on Germany, dans une entrevue au New York Times. « La réticence allemande se résume à un mot : l’histoire, dit-il. Les Allemands désirent être perçus comme des partenaires, et non des agresseurs. Ils sont très sensibles au fait de livrer du matériel militaire dans des régions du monde où les armes allemandes ont tué des millions de gens. »

Avec The New York Times, Forbes, Agence France-Presse et Associated Press