(Washington, D.C.) Ce soir, comme tous les soirs, ils seront une vingtaine à se rassembler au « Freedom Corner », devant la prison du district de Columbia, en soutien aux « Jan6ers ».

Jan6 comme dans 6 janvier 2021.

Une vingtaine de détenus arrêtés pour l’invasion du Capitole sont encore dans ce centre carcéral du sud-est de Washington, en attente de leur procès ou de leur peine. Vers 19 h 30, comme chaque soir, ils téléphoneront aux « patriotes » venus les soutenir, et on entendra leur voix dans les haut-parleurs.

Il y a de bonnes nouvelles pour eux. La veille, la Cour suprême a entendu la cause de quelques condamnés du 6-Janvier. Si l’on se fie aux commentaires des juges, y compris de la juge « progressiste » Ketanji Brown Jackson, il y a de fortes chances pour que des accusations tombent contre des centaines d’entre eux – un millier de personnes ont été accusées de divers crimes depuis trois ans. Ça n’annulerait pas les condamnations criminelles principales, mais ça viendrait dégonfler plusieurs actes d’accusation, y compris celui qui pèse sur Donald Trump.

Le premier arrivé à la « vigile » est Roger, un gars de 67 ans du Dakota du Nord qui a fait tous les métiers après l’armée pour finir cuisinier dans un deli. Il a carrément déménagé à Washington et vient ici chaque soir depuis 626 jours, rain or shine…

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Roger filme et diffuse en direct toutes les veillées depuis 20 mois.

Puis arrive Rebecca, une Sino-Américaine émigrée après le massacre de la place Tiananmen. « Je n’ai pas quitté la Chine pour vivre la dictature aux États-Unis ! », m’explique-t-elle. Elle a voté pour Barack Obama, l’a renié, et trouve qu’on a largement exagéré la portée du 6-Janvier.

Les deux installent leur téléphone sur un trépied. Car chaque veillée est diffusée en direct sur les réseaux sociaux. Un live stream qui a ses adeptes à travers le monde, dit Roger.

Mais manifestement, il y a ici ou dans la webosphère des gens qui les surveillent, car dès que je suis rentré chez moi, j’ai reçu un message anonyme sur X disant de me méfier de ces gens « horribles ».

Un gars comme Roy, un retraité qui fait régulièrement quatre heures de voiture à partir de la Pennsylvanie pour venir ici pendant quelques jours, n’a pourtant aucun signe distinctif « horrible ».

Oui, il y a eu un peu de violence le 6 janvier 2021, et des gens ont fait du mal, concède-t-il. « Mais plusieurs ne savaient pas ce qui se passait, il y avait une incroyable confusion. » Il soupçonne des « agents provocateurs ». D’autres parlent de « comédiens ». Et puis, de toute manière, être chrétien, c’est aussi pardonner, dit Roy.

Justement, la réunion commence par une prière. Tout le monde se tient par la main et Roy s’adresse à Dieu pour « la fin de la tyrannie dans ce pays ». Ils prononceront ensuite le serment d’allégeance à la Constitution.

Car pour les gens réunis ici, l’essentiel des gens emprisonnés sont des prisonniers politiques, victimes d’une vendetta de l’État fédéral.

Ou des « otages », comme dit Donald Trump, qui promet de les gracier s’il est élu. Car si la condamnation politique de cette insurrection a été unanime au départ, une frange du Parti républicain se montre de plus en plus ouvertement sympathique aux condamnés, minimise ce qui s’est passé, ou le légitime carrément : ils défendaient l’intégrité de l’élection. Le représentant floridien Matt Gaetz est déjà venu les appuyer en personne.

Les deux fondatrices de cet évènement sont Micki Witthoeft et Nicole Reffitt.

La fille de Mme Witthoeft, Ashli Babbitt, une ancienne membre de l’aviation américaine, s’est fait tirer à bout portant quand elle tentait d’entrer dans le Capitole à travers une porte barricadée. Pour sa mère, c’est un meurtre, et elle est ici pour réclamer justice. Le policier, qui avait averti les manifestants de reculer, a été blanchi après enquête. Mais ses critiques, qui ne sont pas tous complotistes pour autant, ont noté que Mme Babbitt n’était pas armée et que les autres policiers présents, eux, n’ont pas tiré.

Trois autres manifestants et un policier sont morts ce jour-là, mais soit d’infarctus, d’AVC ou de surdose. Personne n’a été accusé d’homicide.

« Avoir su, je l’aurais attachée sur le sofa, me dit la mère d’Ashli. Mais elle avait le droit d’être là. »

Elle insiste sur le fait que des permis avaient été obtenus pour manifester en soutien à Donald Trump – en mentant sur plusieurs informations. C’est une simple manifestation qui a mal tourné, à l’entendre.

« Je ne crois pas qu’ils sont tous innocents, mais ils ne méritaient pas d’aussi lourdes peines », dit-elle au sujet des prisonniers.

Guy Reffitt, lui, était un membre-recruteur des « Three Percenters », un groupe d’extrême droite formé après l’élection d’Obama, qui craint le contrôle des armes et l’emprise du gouvernement fédéral. Pourquoi « 3 % » ? Parce qu’apparemment, seuls 3 % des colons américains ont pris les armes contre les Britanniques pendant la guerre d’Indépendance ; ils se voient comme les héritiers de ces premiers patriotes.

M. Reffitt a longtemps été emprisonné à la prison qui est devant nous. Depuis sa sentence, il purge maintenant sa peine dans un pénitencier fédéral dans un autre État.

Nicole, sa femme, continue néanmoins la lutte ici.

« Il n’est jamais entré dans l’édifice, et tout ce qu’on voit sur les photos, c’est un étui, pas une arme », dit-elle. Au procès, toutefois, on a mis en preuve ses encouragements à envahir l’édifice et à en sortir les démocrates pour leur faire un procès.

L’affaire Reffitt est devenue célèbre aussi parce que le fils du couple a déclaré publiquement avoir dénoncé les intentions violentes de son père au FBI, avant même les évènements du 6 janvier 2021. La police fédérale, lourdement armée, est venue arrêter le père quelques jours après l’insurrection, à l’aube.

Sa femme n’a pas tort de dire que le ministère public a voulu en faire un exemple de ce premier verdict par jury. Même s’il n’avait pas été condamné pour ce crime, le procureur a requis une peine exceptionnelle pour activité terroriste, ce que le magistrat a refusé, jugeant que sept ans et trois mois d’emprisonnement suffisaient.

Il est 20 h. Les haut-parleurs sont ouverts : c’est le détenu Christopher Quaglin qui s’adresse au groupe. L’homme de 37 ans a été condamné pour plusieurs actes violents commis le 6 janvier 2021 et attend sa peine. Les procureurs fédéraux réclament 14 ans d’emprisonnement.

Il parle de la fin de la république, de la volonté de l’État profond de « détruire les frontières ». Le vrai auditoire n’est pas la vingtaine de « patriotes » ici présents, mais les centaines, milliers peut-être, qui écoutent la veillée sur l’internet.

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L’avocate Paloma Capanna

L’avocate Paloma Capanna prend la parole. Elle explique que 350 accusés du 6-Janvier font face à une accusation qui pourrait tomber, celle d’avoir entravé le travail d’une agence fédérale. Cette accusation vient d’une loi adoptée après le scandale financier de la société Enron, qui avait détruit des documents compromettants avant que le FBI puisse mettre la main dessus. La loi n’a pas été conçue pour des cas comme celui du 6-Janvier, et est beaucoup trop large, ont dit plusieurs juges le jour de l’audience, la semaine dernière.

Elle ne nie pas que des crimes ont été commis, mais ces accusations supplémentaires sont une technique « théâtrale », ou les « feux d’artifice » du ministère public, me dit-elle.

Si, comme on s’y attend, la Cour suprême invalide l’utilisation de cette loi pour les émeutiers, l’essentiel des condamnations criminelles demeurera, mais des centaines d’accusations vont tomber. Cela confirmera l’impression que la Justice fédérale a « surchargé » les insurgés, pour exagérer la gravité de leurs crimes.

Ce ne serait pas la première fois que des procureurs américains en rajoutent, mais dans le contexte hyperchargé politiquement, cela donnerait un argument de plus à Donald Trump, pour qui il y a eu « persécution » envers les « Jan6ers » et, surtout, envers lui…

On a fait venir de la pizza. Il y a des boissons chaudes, de la musique et des drapeaux américains. Certains ont apporté leur chaise pliante pour écouter tout ça.

Le temps d’appel de la prison est limité. Tout le monde remballe ses affaires et repart tranquillement en se donnant rendez-vous.

Demain. Et après-demain…