Chaque dimanche, notre correspondant à Washington nous raconte une tranche de vie de la société américaine.

(Scranton) Il en est parti à 10 ans, mais Joe Biden y revient toujours. Scranton est dans presque tous ses discours importants, symbole d’une classe moyenne industrieuse, pieuse, familiale.

Cette semaine encore, tout le quartier Green Ridge a été bouclé quand le président est retourné dans l’ancienne maison coloniale bleue de ses grands-parents, qui avaient accueilli sa famille après les revers de fortune de son père.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« De cette maison à la Maison-Blanche, par la grâce de Dieu », peut-on lire sur la petite affiche installée devant la maison après son élection en 2020. Elle est surmontée d’une photo de Joseph Robinette Biden à 8 ou 9 ans pendant une partie de baseball.

Il ne reste plus tellement de témoins locaux de l’enfance du politicien. Sa famille est partie pour le Delaware au moment où Scranton achevait son déclin.

Pendant un siècle, cette ville terrée entre deux collines dans la « vallée de l’anthracite » était une des capitales mondiales du charbon. On en voit quelques morceaux à la Société d’histoire, où l’on conserve aussi le registre de première communion du président.

  • Joe Biden habitait dans l’avenue Washington Nord.

    PHOTO TED SHAFFREY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

    Joe Biden habitait dans l’avenue Washington Nord.

  • Affiché devant la maison d’enfance du 46e président des États-Unis

    PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

    Affiché devant la maison d’enfance du 46e président des États-Unis

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Les adeptes de numérologie seront intéressés de savoir que le 46e président habitait au 2446 de l’avenue Washington Nord.

Les Irlandais ont été parmi les premiers immigrants à s’installer ici, pour travailler dans les mines, d’où la forte empreinte catholique en ville – églises, collèges, universités.

Il ne reste pas beaucoup de témoins du petit Biden, mais Mary Lynn Ruddy peut vous parler de l’ancien Scranton catholique dans lequel a vécu le président.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Cathy Evans, Mary Lynn Ruddy et Maureen O’Malley au pub irlandais Stirna’s

« C’étaient de grosses familles, tout le monde était dehors tout le temps, pas sur les tablettes… On revenait à la maison le midi, c’était une vie communautaire incroyable », dit l’enseignante retraitée.

Elle est attablée au pub irlandais Stirna’s, avec deux amies. Les trois votent démocrate, comme la majorité de la ville, mais sans grand enthousiasme, vu l’âge de leur candidat… comme la majorité des démocrates. « J’ai peur que les jeunes ne votent pas pour lui », dit Cathy Evans.

Si Scranton est nettement « bleue », la Pennsylvanie est plutôt mauve : Trump a remporté l’État clé par 45 000 votes (0,7 %) en 2016, et Biden par 80 600 (1,16 %) en 2020…

Le républicain le plus connu de Scranton est Paul Catalano, qui a repris l’épicerie italienne fondée par ses grands-parents siciliens « qui travaillaient sept jours sur sept ». On y trouve des anchois de Sicile et des piments calabrais. Son neveu Paul n’a pas voulu me laisser partir sans me donner le fameux « hoagie », sandwich aux viandes froides italiennes dont on prétend avoir vendu plus d’un million d’exemplaires.

« J’ai trop mal aux jambes, je ne vais presque plus à l’épicerie », me dit l’épicier de 81 ans, qui a longtemps tenu salon dans un coin du « deli ».

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Paul Catalano montre la photo de son grand-père qui a fondé l’épicerie il y a 100 ans.

« Je n’ai pas connu M. Biden, mais un de mes clients a joué au baseball avec lui. Je voudrais retourner à ce temps, tout le monde se connaissait, les gens veillaient sur leur galerie, il n’y avait pas beaucoup de voitures, on jouait au baseball dans la rue… Il y avait des bars à chaque coin de rue, on voyait les gars revenir de la mine couverts de poussière, ils venaient prendre un whisky. C’est encore bien, mais pas comme avant. »

Il est devenu républicain un peu par hasard, parce qu’il manquait un conseiller municipal.

« Je ne connaissais rien, je suis allé lire à la bibliothèque municipale… Je me suis présenté contre un gros bonnet démocrate, un Irlandais, un bon gars. Il m’a battu. Mais la fois suivante, j’ai gagné. Je m’entendais bien avec les démocrates. Ça devrait être comme ça, la politique. Le président Reagan allait prendre une bière avec Tip O’Neil [leader démocrate à la Chambre].

— Et Trump ?

— Bah, il est un peu mal dégrossi, c’est vrai, mais c’est un bagarreur de New York. Des fois, je déplore ce qu’il dit. Mais il faut regarder l’ensemble. Il connaît les affaires. Il veut que les autres pays participent aux dépenses militaires. Si vous devez subir une opération à cœur ouvert, allez-vous choisir le chirurgien qui a les meilleures manières ou celui qui travaille le mieux ? »

Rue South Hyde Park, je remarque une maison placardée d’affiches qui suggèrent pas trop subtilement un penchant anti-Biden, en particulier sur les sujets militaires.

Bob Tucker, 82 ans, est une autre sorte de partisan de Donald Trump. Mais sa mauvaise opinion de son ex-concitoyen remonte aux alentours de 1951.

Le petit Bob jouait pour l’équipe Sprague and Henwood, du nom de la société de machinerie minière qui commanditait le club. Le petit Joe jouait pour une équipe de Green Ridge commanditée par un banquier.

« Je me souviens seulement qu’il jouait arrêt-court ou deuxième-but, et que quand la balle est arrivée sur lui, il l’a échappée. Dans les Petites Ligues, c’était sérieux, tu ne peux pas échapper la balle. Il pleurait. Je me souviens de ça. Il a échappé la balle ! »

La Presse n’a pas pu confirmer l’information avec une deuxième source…

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Bob Tucker a joué au baseball contre Joe Biden.

C’est une autre sorte de balle que Bob a reçue dans la jambe en patrouillant sur une rivière du Viêtnam dans un de ces fameux petits « gun boats ».

« Ils m’ont dit : “Si on te l’enlève, la gangrène peut prendre.” Je l’ai encore. »

Sa femme est morte en 2013. « Cinquante-quatre ans de mariage… Je l’avais demandée en mariage, un peu en riant, avant de partir à la guerre. Elle n’avait rien dit. Six mois plus tard, on était dans le train pour visiter ses parents, et elle a dit “oui”. Moi, je ne savais pas de quoi elle parlait. J’ai reçu une baffe derrière la tête ! »

Un de ses deux fils aussi est mort, à 52 ans, du cancer.

« Mon frère habite à côté, c’est lui le propriétaire. Il me loue. Il s’est marié pour l’argent, mon frère, on ne se parle plus… Là, sa femme est à l’hôpital. AVC. Il passe ses journées entières là-bas, de 8 h à 9 h le soir ! Il doit l’aimer, au fond… »

Le problème avec Biden ?

« C’est la marionnette d’Obama ! Le vrai président, c’est Obama. Après, ce sera sa femme.

— Vous croyez ?

— Je sais ! J’ai les preuves, tu peux venir voir.

— J’ai pas trop le temps… Mais alors, c’est quoi le problème, avec Obama ? »

Il me parle de ses voyages en jet aux frais des contribuables, des pipelines qu’il veut fermer, de la frontière ouverte.

Alors, maintenant qu’il est retraité du camionnage, il organise la résistance.

Et de temps en temps, il fait jouer Harbor Lights, des Platters.

« C’était notre chanson préférée, tu sais : tu étais sur le bateau, moi sur la rive… On s’est connus, j’étais dans la Marine, mais elle m’a attendu. »