(New York) Un jury composé de sept hommes et de cinq femmes a entamé lundi une mission historique et périlleuse dans une salle d’audience d’un tribunal de Manhattan, où un représentant de la justice new-yorkaise a plaidé en faveur de la première condamnation criminelle d’un ancien président américain.

« Cette affaire concerne un complot criminel et une dissimulation », a déclaré le procureur Matthew Colangelo aux jurés lors de sa plaidoirie d’ouverture au premier procès criminel de Donald Trump, qui doit répondre à 34 chefs d’accusation de falsification de documents commerciaux au premier degré.

« Il a falsifié ces documents commerciaux parce qu’il voulait dissimuler son comportement criminel et celui d’autres personnes », a-t-il ajouté en accusant le 45président d’avoir « orchestré un stratagème criminel visant à corrompre l’élection présidentielle de 2016 ».

Il lui a aussi reproché d’avoir « menti à maintes reprises » pour dissimuler le remboursement à son ancien avocat personnel, Michael Cohen, d’une somme de 130 000 $ versée à l’actrice de films pornographiques Stormy Daniels pour garantir son silence avant le scrutin de 2016 sur sa relation sexuelle alléguée avec le futur président.

Selon le récit présenté par Matthew Colangelo à des jurés captivés, Donald Trump a concocté le « stratagème criminel » lors d’une rencontre à la Trump Tower en août 2015 avec Michael Cohen et David Pecker, alors PDG d’American Media Inc. (AMI), société mère du tabloïd de supermarché National Enquirer.

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Le procureur Matthew Colangelo, lors de sa déclaration d’ouverture

Ils ont conclu un accord lors de la réunion. Ensemble, ils ont conspiré pour influencer l’élection présidentielle de 2016 de trois manières différentes.

Le procureur Matthew Colangelo

David Pecker a notamment accepté d’être « les yeux et les oreilles » de Donald Trump, s’engageant à utiliser les médias de son groupe pour intercepter les histoires négatives sur le candidat présidentiel du Parti républicain et les enterrer au besoin.

Dans le cadre de ce stratagème, le groupe de David Pecker a payé 30 000 $ à Dino Sajudin, portier à la Trump Tower, pour s’assurer qu’il ne vende pas à un autre média une histoire (fausse) selon laquelle Donald Trump avait eu un enfant avec une femme de ménage. Et il a versé 150 000 $ à Karen McDougal, ancienne playmate du magazine Playboy, pour qu’elle garde le silence sur la liaison amoureuse qu’elle prétendait avoir eue avec Donald Trump en 2006.

Michael Cohen s’est lui-même chargé du versement des 130 000 $ à Stormy Daniels après avoir été alerté par David Pecker de l’intention de l’actrice de vendre son histoire au plus offrant. Et Donald Trump a remboursé son avocat personnel en faisant passer pour des frais juridiques ce qui aurait dû être comptabilisé comme des dépenses électorales, selon le procureur.

Matthew Colangelo a affirmé que Donald Trump était particulièrement désireux d’éviter que les allégations de Stormy Daniels fassent les manchettes des journaux après la diffusion de la vidéo d’Access Hollywood où l’on entend la star de l’émission de téléréalité The Apprentice se vanter de pouvoir embrasser les femmes et leur empoigner le sexe à volonté.

Selon le procureur, Michael Cohen a versé l’argent à l’actrice porno « sur l’ordre de Trump et dans son intérêt ». « Il l’a fait dans le but précis d’influencer l’élection », a-t-il ajouté.

«  Le président est innocent »

Todd Blanche, avocat principal de Donald Trump, a exhorté les jurés à ignorer le récit du procureur de Manhattan.

« Le président Trump est innocent. Le président n’a commis aucun crime », a-t-il déclaré lors de sa plaidoirie, en insistant pour conférer à son client un titre qu’il ne peut revendiquer qu’à titre honorifique.

L’avocat a décrit le stratagème concocté par Donald Trump et compagnie au 26étage de la Trump Tower comme une affaire banale dans le monde de l’information, une description que plusieurs responsables de médias traditionnels rejetteront sans doute.

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L’avocat principal de Donald Trump, Todd Blanche, lors de sa déclaration d’ouverture

« Ce genre de choses arrive régulièrement lorsque des journaux prennent des décisions sur ce qu’il faut publier, quand il faut le faire, a-t-il dit. Ce n’est pas un stratagème, sauf si un stratagème signifie quelque chose qui n’a pas d’importance, quelque chose qui n’est pas illégal. »

Il a également reproché à la poursuite de voir des crimes là où il n’y a que des agissements légaux.

« J’ai une alerte au divulgâcheur : il n’y a rien de mal à essayer d’influencer une élection. Cela s’appelle la démocratie. Il n’y a rien de mal à conclure un accord de confidentialité », a dit Todd Blanche, tout en soutenant que l’ancien président s’était battu contre les allégations de Stormy Daniels « pour protéger sa famille, sa réputation et sa marque – et ce n’est pas un crime ».

Cohen attaqué, le « patron » détaché

Todd Blanche a consacré une bonne partie de sa plaidoirie à attaquer la crédibilité de Michael Cohen, témoin clé de la poursuite. Il a qualifié l’ancien avocat de Donald Trump de « criminel condamné », de « parjure condamné » et de « menteur reconnu », une allusion à la reconnaissance de culpabilité de Michael Cohen après son inculpation en 2018 pour avoir fraudé le fisc et menti devant le Congrès.

Il a triché sur ses impôts. Il a menti aux banques. Il a menti sur ses affaires parallèles dans le taxi et d’autres choses, et, comme la poursuite y a fait allusion, en 2018, il s’est fait prendre.

Todd Blanche, avocat principal de Donald Trump

De fait, lors de sa plaidoirie d’ouverture, le procureur Matthew Colangelo avait pris soin de rappeler tous les aspects sombres du dossier de Michael Cohen. Et il avait prédit que la défense allait demander aux jurés de rejeter son témoignage « précisément parce qu’il est si accablant ».

« Il a menti [devant le Congrès] pour protéger son patron », a-t-il dit.

Pendant les plaidoiries, le « patron » en question est resté largement imperturbable, selon les journalistes présents. Il a cependant secoué la tête à quelques reprises, notamment lorsque le procureur a affirmé que Donald Trump s’était vanté de pouvoir agresser les femmes sexuellement.

Après les plaidoiries d’ouverture, David Pecker, ex-PDG du groupe AMI, a été appelé à la barre comme premier témoin du procès. Il n’a répondu qu’à une poignée de questions sans conséquence à la fin d’une journée écourtée par les maux de dents d’un juré suppléant.

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David Pecker, à la barre des témoins

Le témoignage de David Pecker reprendra ce mardi à 11 h après une audience au cours de laquelle le juge Juan Merchan pourrait punir Donald Trump pour avoir violé à plusieurs reprises une ordonnance de bâillon lui interdisant notamment de s’en prendre aux témoins ou aux membres de leur famille.

L’ancien président est passible d’une amende et, théoriquement, d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 30 jours pour chaque violation de l’ordonnance.