Adieu Casse-croûte chez Mag, bienvenue à Chez Mag – La fine cantine. Le changement de nom et d’image de la grouillante « cabane à patates » de Sainte-Famille, dans l’île d’Orléans, n’est pas anodin. Il témoigne de l’acquisition du charmant casse-croûte par deux jeunes entrepreneurs, Marie-Claude Gagnon, 33 ans, et son frère, Marc-Antoine, 29 ans.
Les anciens propriétaires – leur mère Louise Paradis et son conjoint, le chef Steve St-Pierre – leur ont remis les clés et les recettes du petit bâtiment blanc au toit rouge, le printemps dernier.
La fratrie a conservé la plupart des créations du « beau-père », comme l’incontournable lobster roll, la sauce aux champignons forestiers et à l’huile de truffe, ou celle à la bisque de homard, mais elle a ajouté des « choix grasse-tronomiques », des bières de microbrasserie, des prêts-à-boire locaux et même du Dom Pérignon pour les occasions spéciales. Champagne !
Je suis une épicurienne, j’adore le bon vin et les bonnes bouffes. Mon frère faisait de la distribution de produits fins dans les restaurants. On a toujours aimé bien manger. On a créé une fine cantine parce qu’on voulait mettre un peu de nous dans l’offre.
Marie-Claude Gagnon, copropriétaire de Chez Mag et ex-représentante dans le marché vinicole
Les baraques à patates nouveau genre font tache d’huile. Aux quatre coins du Québec, de jeunes entrepreneurs ont profité de la pandémie pour retaper des casse-croûtes et repenser les menus à leur sauce.
C’est le cas à Saint-Fabien, au seuil de Rimouski, où l’ex-entraîneur adjoint de l’Océanic Charles Juneau a reglingué la défunte Cantine de la mer pour en faire le casse-croûte Lilo, à « vocation familiale et sportive ».
L’homme d’affaires de 32 ans, fils d’un franchisé de McDonald’s, et sa conjointe, Laurie D’astous, n’ont pas lésiné sur les coups de pinceau : « On a gardé la vocation du restaurant, parce que c’était une institution depuis 2001, mais on a peinturé du tout au tout, changé les luminaires et l’ameublement extérieur, remplacé les vieux menus par des menus digitaux. » Et patati et patata.
Le menu calorique rend hommage à des entraîneurs et des artistes de la rondelle de la région. Nulle autre que la recrue Alexis Lafrenière, premier choix au repêchage 2020 de la LNH, a lancé sa poutine hommage, la « Laff », sur Facebook (voir encadré).
Le casse-croûte roule à plein… régime.
Je pense qu’il y a un vent de changement au niveau entrepreneurial. C’est peut-être la COVID qui a amené ça en donnant du temps pour que de nouveaux projets voient le jour.
Charles Juneau, propriétaire du casse-croûte Lilo
Même élan de jeunesse à La Prairie, où la cabane de Chez Monique, « reine des patates frites depuis 1945 », dépérissait à vue d’œil. Enseigne lumineuse digne de Broadway, mises à niveau technologiques et sanitaires, menu remanié : les restaurateurs Bardya Karbasfrooshan et Tommy Gattuso, tous deux âgés de 37 ans, ont voulu rallumer l’institution de la Rive-Sud de Montréal.
C’est un restaurant qui perdait de son lustre. On trouvait ça poche de laisser ça mourir. Les acheteurs qui étaient intéressés par la localisation voulaient le détruire et faire un triplex. On était des gens du coin et on voyait le potentiel. On est allés all in. On a tout transformé de A à Z.
Bardya Karbasfrooshan, copropriétaire de Chez Monique
Les hommes d’affaires ont fait installer des friteuses modernes, mais les pommes de terre sont toujours coupées et blanchies à la main. « On voulait rester authentiques. Ça prend plus de main-d’œuvre et plus d’espace. C’est minuscule, mais on est chanceux d’avoir d’autres restaurants à côté pour faire de la préparation. »
Là comme ailleurs, le roulement s’est nettement intensifié, non sans engendrer des problèmes d’espace.
Sur la 112, à l’est de Sherbrooke, les routards sont nombreux à lever le frein à bras dans le stationnement de La Cantine, à Ascot Corner. « J’étais confiante, mais là, il y a une mégaexplosion ! s’exclame Maude Maher, nouvelle propriétaire de 24 ans. Ça n’a pas de sens comment ça roule. On bat des records. »
Mis à part les pizzas prisées, il ne reste presque rien du défunt restaurant Aux 2 frères. Le casse-croûte, revu, corrigé et renommé au fil des décennies, date de 1950, annonce l’enseigne. Lors de notre appel, La Cantine subissait d’importants travaux d’agrandissement, notamment pour accroître l’espace en cuisine.
L’équipe de Chez Mag, dans l’île d’Orléans, a quant à elle acheté une maison voisine, qui lui sert de logement et d’annexe d’entreposage durant la saison estivale. « Je sers 600 clients par jour, explique Marie-Claude Gagnon. C’était nécessaire. »
Preuve de son succès, la fine cantine du chemin Royal a récemment annoncé le décollage d’une deuxième succursale, partie prenante du projet 737, un ex-Boeing reconverti en attraction touristique à l’aéroport de Québec. « Sky is the limit. »
La relève de la relève
Si les cantiniers prennent un coup de jeunesse, c’est encore plus vrai pour la main-d’œuvre. Laurie D’astous et Charles Juneau, du casse-croûte Lilo, ont trois jeunes enfants. « Notre plus vieux, qui va avoir 10 ans en octobre, veut s’investir, se réjouit l’entrepreneur. Il désinfecte des tables, des poignées. On aura de la relève dans quelques années, c’est certain. » Chez Mag, le cadet de la fratrie, âgé de 19 ans, possède 10 % des parts de la cantine et met la main à la pâte. Partout, le recrutement d’employés reste difficile, ce qui influence les heures d’ouverture. « On ne peut pas ouvrir Chez Monique les dimanches et les lundis à cause du manque de main-d’œuvre, explique le restaurateur Bardya Karbasfrooshan. On a de jeunes enfants et notre staff est brûlé. Il y a un manque urgent d’employés. »
Les réseaux sociaux, un ingrédient important
Les jeunes à la tête de cantines ont un ingrédient supplémentaire pour vendre leur salade et leurs frites : l’utilisation des réseaux sociaux. « Mon frère a propulsé nos pages Facebook et Instagram, explique Marie-Claude Gagnon. À l’été 2020, on est un peu devenus famous ; c’est vite devenu cool de se taguer Chez Mag. » « Le fait que je suis jeune et que je m’entoure de jeunes, c’est naturel d’utiliser les réseaux sociaux », renchérit Maude Maher, de La Cantine. Du côté de Chez Monique, le petit restaurant s’est refait une beauté sur Facebook et fait intervenir les internautes dans certains choix du menu. Enfin, le casse-croûte Lilo a demandé à des hockeyeurs bien connus de la région, notamment à Alexis Lafrenière, de présenter des plats qui portent leur nom sur les réseaux sociaux. « Les gars sont presque tous venus faire leur tour », se réjouit Charles Juneau. Au début de l’été, l’humoriste Arnaud Soly a aussi fait un arrêt remarqué à la cantine de Saint-Fabien, comme en témoigne la photo ci-contre.
Des valeurs dans les vapeurs
Après un lot de voyages et d’expériences en restauration, Maude Maher a réalisé un rêve en prenant possession de sa propre planque à patates frites et autres plaisirs coupables.
« J’ai vite eu plein d’idées, raconte la jeune propriétaire de La Cantine, à Ascot Corner. Je ne voulais pas qu’on soit une cantine ordinaire, mais mon père, qui s’occupe de l’administration, était plus conventionnel. J’ai dit : “ OK, on va garder les classiques, mais on va pimper des affaires et ajouter des nouveautés. ” Ce sont les items qui marchent le plus aujourd’hui. »
Dès l’ouverture, l’une de ses principales préoccupations concernait l’approvisionnement local, à l’image de ses jeunes collègues.
Je me suis demandé : “ Pourquoi on ne prendrait pas tous nos produits à côté ? ” On a tout ; ça ne coûtera pas nécessairement plus cher. » Notre viande vient de la boucherie O’Grand’R, nos patates et nos légumes, de la légumerie à côté, on a de la bière de microbrasserie des 11 comtés…
Maude Maher, propriétaire de La Cantine
Cette solidarité régionale trouve écho à Saint-Fabien. « On prend nos légumes chez le Légumier de l’Est, basé à Rimouski, illustre Charles Juneau, du casse-croûte Lilo. Notre hamburger spécial est fait avec de la viande Angus de L’Isle-Verte. On fait affaire avec le marché Richelieu, au village de Saint-Fabien. L’achat local est important pour nous. »
Les cantiniers de Chez Mag, à l’île d’Orléans, mettent en valeur les alcools québécois, le savoir-faire insulaire de la boulangerie Blouin et le homard gaspésien. À La Prairie, Chez Monique s’approvisionne en viandes à la boucherie voisine AMS. « Et on achète nos tomates au marché du coin », explique Bardya Karbasfrooshan.
Virage vert
Autre vent de renouveau soufflé par les jeunes restaurateurs de la Rive-Sud : le plastique jetable disparaît peu à peu au profit d’emballages plus doux pour la planète.
« Avant, ici, il y avait de la styromousse, rebondit Charles Juneau, de Lilo. On sait à quel point c’est mauvais pour l’environnement. On a opté pour des contenants faits à base de carton recyclé et qui sont compostables. »
Chez Mag, le passage au vert se fait attendre, mais il est dans les cartons. « Je ne suis pas encore capable de le faire, se désole Marie-Claude Gagnon. Par contre, des gens arrivent avec leur vaisselle et leurs ustensiles, et on trouve ça vraiment hot. On n’en fait pas notre cheval de bataille, parce qu’on a trop de choses à penser, mais ça va venir. »
Voilà une façon de rendre la sauce brune un peu plus verte, pour que l’humanité puisse casser la croûte encore longtemps. Très longtemps.