La vaste majorité des restaurants sont fermés, mais certains ont décidé de rester ouverts pour servir la population avec des mets à emporter ou à faire livrer. En attendant que la vie revienne à la normale, notre critique resto Marie-Claude Lortie en testera quelques-uns et racontera leur histoire.

J’ai toujours bien aimé Grumman78.

Mais pour dire vrai, je n’étais pas allée depuis longtemps à cette adresse de Saint-Henri, où l’on propose une cuisine vaguement mexicaine, clairement savoureuse, dans un ancien espace industriel, franchement cool.

C’est donc avec l’impression de retourner dire bonjour à de vieux amis oubliés — un des rares effets positifs du virus, c’est de nous rebrancher ainsi — que je m’y suis pointée mercredi, vers 15 h.

Là, j’ai été accueillie par une bouteille d’Alaska, le nouveau produit désinfectant québécois mis en marché par les Laboratoires Druide — je précise ça parce que ces apôtres du produit local sont conséquents —, une série d’affiches me rappelant de me tenir à 2 mètres des autres, un fan me conseillant de me lancer en télévision — ce que j’ai fait aussitôt ensuite sur Instagram —, une longue carte de vins nature et un menu de plats à emporter. 

Des tacos, la spécialité de la maison. Un cake de daikon végane. Du poulet frit. Bref, des plats qui m’ont rappelé le menu de la cantine ambulante de ce pionnier de la cuisine de rue montréalaise.

Pas étonnant que le Grumman78 ait été parmi les premiers à répondre à l’appel de la cuisine à emporter. Ils sont déjà un peu dans ce secteur depuis leurs débuts.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Les mesures de protection sont prises au sérieux à l’intérieur.

Pas de contact

Le rituel, quand on arrive sur place, est assez particulier.

On se désinfecte.

On attend en ligne à des postes précis.

La copropriétaire, Gaëlle Cerf, a mis en place une procédure serrée.

On reste loin les uns des autres. On parle fort pour passer la commande. On paie avec une carte. Sans contact si possible.

Le processus n’est pas exactement agréable, COVID-19 oblige, même si tout le monde fait de son mieux, détendu et souriant. Et les chaises sur les tables, là où il y a normalement des convives, contribuent à cette impression généralisée de fin du monde, dystopique, qu’on sent partout.

On pense à un épisode de Black Mirror.

Mais une fois à la maison, le festin et la bouteille de vin détendent l’atmosphère.

La cuisine de Grumman78 est encore et toujours réellement bien relevée, bien arrondie, bien contrastée.

On a fait réchauffer du porc effiloché qui s’en va dans des tacos — il faut faire revenir les tortillas dans la poêle —, où il sera accompagné de salade de carottes et daikon mariné. On les appelle les tacos banh mi et cette rencontre entre le Mexique et le Viêtnam fonctionne à merveille. Les amateurs du camion du Grumman78 auront déjà essayé ce classique, préparé avec des tortillas de maïs particulièrement parfumées.

Aussi au menu, ce jour-là, nous avons pris le chou-fleur masala, un curry où le crucifère cuit al dente retrouve du quinoa frit, des lentilles, des cubes de fromage haloumi, des tomates, des échalotes et des graines de tournesol. Sur papier, la combinaison peut sembler un peu baroque, mais en bouche, les textures et les saveurs travaillent à l’unisson. Je ne suis pas du genre à croire qu’un repas peut calmer la tristesse ou l’angoisse, mais un tel plat nous les fait oublier pendant un petit moment.

Des plats réussis

Autre réussite improbable : un cake de daikon, qu’on sert en tranches à faire revenir à la poêle, accompagné d’une salade fraîche de carottes et de radis noir. Ici, on n’est plus du tout au Mexique, mais au pays du dim sum, façon végane. Dommage que la sauce au gingembre et les vrilles de pois aient été oubliées dans notre paquet.

Et si vous avez encore faim ou envie d’une note sucrée, la petite tarte à la patate douce, avec son appareil soyeux, est juste assez sucrée, pas trop, juste assez épicée aussi, avec un peu de muscade et de cannelle. On n’est pas à la Thanksgiving, mais cette cuisine de réconfort tombe franchement à point.

Pour rincer le tout, un chardonnay italien naturel a été appelé à la rescousse. Valait-il 30 $ ? Bonne question. Mais pour bien des restos qui font actuellement du prêt-à-emporter, ces vins vendus avec certaines marges, pas aussi élevées que dans les restaurants habituellement, mais néanmoins incontournables, sont au cœur du modèle d’affaires.

Est-ce qu’on va y retourner ? Est-ce qu’on le conseille aux autres ? Totalement. Seul petit détail : avant de partir, demandez-leur de vérifier que toutes les composantes de votre repas sont bien dans votre sac.

Grumman78. 630, rue de Courcelle, Montréal. 514 290-5125. https://www.grumman78.com/

Du mercredi au dimanche, de midi à 19 h. On peut acheter sur place ou faire livrer à partir du site web. Plats à partager de 10 $ à 18 $.