(Paris) « Je t’envoie de la feijoada et tu me ramènes des tacos » : les chefs étrangers installés à Paris font preuve de débrouillardise pour survivre au reconfinement, soutenus par des aides publiques souvent inexistantes dans leurs pays.

« J’ai beaucoup d’amis en Australie, aux États-Unis, au Brésil. Là-bas, le gouvernement n’a rien fait, ici c’est déjà un peu mieux », déclare à l’AFP Raphaël Rego, à la tête de Oka, le premier restaurant brésilien étoilé au guide Michelin, dans un autre pays que le Brésil.

Le soutien du gouvernement comprend des subventions pour éviter les licenciements et des aides de 10 000 euros par mois ou l’équivalent des 20 % du chiffre d’affaires.

Au deuxième confinement, le chef a mis en place le « cliquer et ramasser » et la livraison, pour renflouer les caisses, mais surtout garder le moral. « Je ne fais même pas 30 % de mon chiffre d’affaires habituel […], mais ça me console que les clients soient là pour me permettre de bien démarrer après ».

Comme il est difficile de se procurer certains produits, il se débrouille et échange par exemple des « feijoadas » (plat brésilien à base de haricots noirs et du porc) contre des tacos avec un confrère mexicain. « Il faut s’entraider par ces temps difficiles ».  

Dans ce climat morose, la cheffe mexicaine Beatriz González est « très heureuse » de s’en sortir avec ses restaurants Neva et Coretta.

« Nous préparons 150 couverts par jour. Nous sommes presque dépassés », explique cette cheffe qui travaille avec son mari. « Avec l’aide de l’État, nous tenons le coup. Grâce au succès de la vente à emporter, je ne gagne pas, mais je ne perds pas non plus. »

Pas de vaisselle, mais des boîtes

La cheffe compte maintenir cette option après la réouverture des restaurants qui n’interviendra pas avant le 20 janvier.  

« Les commandes pour emporter se sont toujours faites aux États-Unis et au Mexique, même dans les restaurants de haute cuisine. En France, on n’y était pas habitué », mais les Parisiens s’adaptent, dit-elle, assurant avoir plus de clients réguliers qu’avant.  

Pour l’Espagnol Iñigo Ruiz Rituerto, la pente est plus raide puisque le premier confinement intervient huit mois seulement après l’inauguration de son restaurant Galerna.  

Mais le chef a adapté sa cuisine de Navarre aux contraintes de la vente à emporter et propose de nouvelles recettes comme les arancini siciliens farcis de paella, « pour résister et ne pas accumuler les dettes ».  

« L’organisation est complètement différente : normalement vous faites une assiette et la servez immédiatement. Maintenant, vous avez 15 personnes qui viennent toutes à midi et tout doit être chaud. Dans la cuisine, là où il y avait de la vaisselle, il y a maintenant des boîtes ».

Mais Iñigo Ruiz Rituerto espère rouvrir au plus vite et retrouver l’esprit convivial d’un restaurant. « Même si c’est avec moins de couverts, ça me va », explique cet Espagnol qui ne doute pas que le client reviendra.

« La demande de restaurants à Paris est étonnante : il y a du monde tous les jours, même si c’est un mardi et qu’il fait mauvais, tout est plein. Cela ne se passe pas comme ça chez moi à Pampelune », dit-il.

Difficile pour la « pornfood »

De nombreux chefs, lestés par des crédits ou de gros loyers, ou installés dans des quartiers de bureaux, sont plus pessimistes.  

C’est le cas de Mustapha Khalis, d’origine marocaine et propriétaire de quatre restaurants à Paris. Dans sa Cantine Gamila récemment ouverte dans le quartier de l’Opéra, la perte de chiffre d’affaires est de 70 %. Et « il n’a encore vu aucune aide » du gouvernement.

« Je vais sûrement devoir fermer deux restaurants, au moins pendant le confinement. C’est catastrophique. A midi, quelqu’un passe encore, mais le soir, il n’y a personne, car c’est un quartier de bureaux », déplore ce chef.

Le « cliquer et emporter », va-t-il perdurer au-delà du confinement dans la capitale mondiale de la gastronomie ?

Pour Jörg Zipprick, cofondateur de La Liste, un classement français des 1000 meilleurs restaurants du monde, le concept peut fonctionner pour les cuisines traditionnelles.

Mais il se dit « sceptique » pour ceux qui veulent faire preuve de créativité dans la présentation. « Ce sont des plats qui ne se transportent pas », déclare-t-il, en référence à la « pornfood », la gastronomie visuelle qui attire tant sur Instagram.

Selon lui, les petits restaurants ont plus de chances de survivre que les établissements du luxe parisiens. « Dans un petit lieu, on se débrouille, on récupère rapidement et quand tout sera fini, les gens auront envie de convivialité ».