Souper au resto avec ses meilleurs amis dans une bulle en plexiglas, ou déguster un bon plat en solo au milieu d’une « table chambre à air » : alors que le mot à la mode ces temps-ci est « réinvention », les restaurateurs tentent de trouver des façons d’assurer la sécurité de leurs clients en prévision d’une réouverture éventuelle.

Certaines de ces nouvelles idées peuvent sembler intéressantes aujourd’hui, mais les experts ne croient pas que toutes deviendront la norme. Les clients trouveront ça inusité la première fois, mais ils n’auront pas nécessairement envie de récidiver, croit Viz Saraby, professeure de design d’intérieur au collège George-Brown de Toronto.

Selon elle, on devrait plutôt assister à des changements subtils en salle, comme la mise en place de barrières physiques entre les tables, ou des tables plus éloignées — et une réduction, de facto, de la capacité de la salle.

Emma Rankin, enseignante au programme de tourisme, d’hôtellerie et d’arts culinaires au collège Fanshawe de London, en Ontario, s’attend notamment à ce que les restaurants démantèlent ces banquettes-cabines encastrées dans les murs pour une petite intimité.

Les comptoirs des bars pourront aussi être élargis afin d’assurer une bonne distanciation avec le serveur, quoique la plupart des restaurants avec des places au comptoir offraient déjà cette bonne distance, rappelle Mme Rankin. Or, moins d’espace derrière le bar signifie aussi moins d’employés pour s’y croiser de façon sécuritaire.

Bien que ces mesures puissent contribuer à rendre les restaurants plus sécuritaires, elles risquent aussi de les rendre moins attrayants pour certains clients. « À mon avis, les gens vont au restaurant — plutôt que de commander et de manger à la maison — surtout à cause de l’ambiance », explique Mme Saraby, qui se spécialise justement dans la conception de magasins et de restaurants.

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Manger sous une bulle de plexiglas à Paris.

« On n’a pas tendance à entrer dans un restaurant vide, parce qu’on se dit que ce n’est probablement pas très bon — et on ne veut pas être tout seuls. » Au restaurant, on aime le sentiment d’être en groupe, même si on ne connaît pas les autres clients attablés près de nous, explique-t-elle.

Commander sur son portable ?

Mme Rankin, qui est également directrice du Chef’s Table, un restaurant-école pour les étudiants du collège Fanshawe, croit qu’une partie de cette ambiance perdue pourrait être récupérée en jouant sur le décor. Mais d’autres précautions de sécurité proposées, comme la vérification de la température des clients, pourraient vraiment plomber l’« expérience restaurant ».

Des changements dans le service pourraient également être proposés, par exemple en demandant aux clients de commander de leur table via une application sur leur téléphone. Mme Saraby rappelle toutefois que les interactions avec les serveurs et serveuses font partie intégrante de l’« expérience restaurant ».

Mais il faudra trouver un équilibre, pour ne pas se priver de ceux qui auraient une petite crainte à retourner au restaurant. On pourrait par exemple demander aux serveurs de porter des gants et un masque — pour l’instant, du moins.

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Manger dans une mini-serre à Amsterdam.

Keith Warriner, professeur de sciences alimentaires à l’Université de Guelph, s’attend à ce que des clients soient inquiets de retourner au restaurant. Il croit que les restaurants avec terrasse seront probablement plus populaires, du moins pendant les prochains mois — ça tombe bien, les restrictions devraient commencer à s’assouplir pendant l’été.

Mme Saraby croit aussi que les restaurants perdront probablement une partie de leur clientèle habituelle, en particulier ceux qui sont plus âgés ou qui appartiennent à des groupes à haut risque. Jumelée à une capacité réduite par la distanciation, cette désaffection d’habitués rendra beaucoup plus difficile la survie de certains restaurants.

Mais il y a par contre beaucoup de gens qui ont bien hâte de retourner dans leurs restaurants préférés. « Je sens que les jeunes, en particulier, aimeraient beaucoup recommencer à fréquenter les restaurants comme ils le faisaient avant », estime Mme Saraby.

Mme Rankin croit que ce sera maintenant aux restaurateurs de convaincre la population que leurs espaces sont sécuritaires. « Tout le monde a un sentiment d’assurance très, très différent avec toute cette pandémie [...] Ça va donc être une partie importante de la stratégie marketing. »