(Le Pradet, France) Les vignerons du monde entier privilégient depuis des décennies les cépages connus comme le chardonnay et le cabernet sauvignon. Cette façon de faire change. Ils s’intéressent désormais aux cépages oubliés, comme en Provence, où le tibouren s’invite de plus en plus dans le rosé. Pourtant, cette variété était loin d’être méconnue.

À trois kilomètres de la mer, sur la Côte d’Azur en banlieue de Toulon, le Clos Cibonne apparaît comme une oasis. Entouré de palmiers et de résidences huppées, le vignoble de 22 hectares survit à l’étalement urbain. Et il cultive un autre survivant : le tibouren.

« Il s’appelait autrefois le plant d’Antibes, raconte Olivier Deforges. C’est un vieux cépage provençal qui avait presque disparu après la Première Guerre mondiale et la crise du phylloxéra. » M. Deforges représente la cinquième génération du Clos Cibonne. C’est grâce à son grand-père, André Roux, que le tibouren subsiste toujours en Provence. Le vigneron l’a découvert dans son champ dans les années 1930. Il l’a tout de suite adopté et multiplié en arrachant entre autres des vignes de mourvèdre.

Le tibouren représente aujourd’hui 80 % des vignes du Clos Cibonne, ce qui fait du domaine le plus important producteur en France. Ce cépage rouge n’a toutefois pas toujours eu bonne réputation. D’abord, sa peau mince le rend sensible aux maladies. Ensuite, la croissance de ses baies est rarement homogène. Ses grappes sont ainsi composées de petits et de gros grains de toutes les couleurs. Certains arrivent à maturité, d’autres pas. Or, ses défauts sont considérés aujourd’hui comme un atout.

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Les grappes du tibouren sont composées de petits et de gros grains de toutes les couleurs. Un défaut qui est considéré aujourd’hui comme un atout.

En croissance

À quelques kilomètres du Clos Cibonne, des bateaux quittent le port de Toulon en direction de l’île de Porquerolles. Ils déposent les visiteurs sur ce site paradisiaque où seuls les piétons et les cyclistes sont les bienvenus. Parmi eux, Louis du Baret prend la navette chaque jour pour s’occuper des vignes du domaine de l’île. Ce vignoble historique a été acheté en 2019 par la maison Chanel. Sur les 26 hectares de vignes, deux sont plantés avec du tibouren. Il pourrait bientôt en compter davantage.

« Sa peau mince favorise la couleur pâle du rosé, explique M. du Baret. Il apporte beaucoup de fraîcheur au vin et il a une palette aromatique large. » Avec la hausse des températures, la Provence cherche désespérément un moyen d’apporter de l’acidité dans ses rosés. Le tibouren s’avère une solution. Comme l’explique Elizabeth Gabay dans son livre Rosés du Sud de la France, l’hétérogénéité des baies amène de la fraîcheur : « Lorsque tous les raisins sont récoltés ensemble, les grappes les moins mûres apportent l’acidité dont il a tant besoin », écrit la Master of Wine, spécialiste du rosé. Mme Gabay ajoute que, même si les raisins sont verts lors de la vendange, les arômes sont développés. C’est pourquoi le tibouren est connu pour apporter des parfums délicats, épicés et même de la structure au vin.

Le tibouren est encore peu répandu dans le sud de la France. Il représente 1,4 % des vignes de Côtes de Provence. Un chiffre qui devrait augmenter, selon le Conseil interprofessionnel des vins de Provence. Cependant, quelques kilomètres plus loin, sur la Riviera italienne, le tibouren est loin d’être inconnu. Il est la star des vins de Dolceacqua.

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Le domaine Terre Bianche est installé sur les coteaux abrupts de la vallée de la Nervia, en Ligurie. On y cultive du tibouren, appelé « rossese » en Italie.

Rossese

La vigne et les oliviers s’accrochent aux coteaux abrupts de la vallée de la Nervia, en Ligurie. Protégée par les Alpes et ouverte sur la mer Méditerranée, cette région viticole est frontalière avec la France. Les habitants maîtrisent le français et partagent une histoire commune. Malgré la proximité des deux régions, un monde sépare la production de vin. À Dolceacqua, la ville phare de la petite région viticole, le tibouren est connu sous le nom de rossese. Et il n’est pas utilisé pour le rosé, mais pour la production de vin rouge.

« On le surnomme le prince des vins, raconte Filippo Rondelli, au domaine Terre Bianche. Il transmet le terroir comme aucun autre cépage. Sur les meilleures parcelles, les anciens ont toujours cultivé le rossese. »

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Le bucolique village médiéval de Dolceacqua est le lieu phare de la vallée de la Nervia.

Le domaine Testalonga est la dernière cave installée dans le bucolique village médiéval de Dolceacqua. À cet endroit, tout est fait à la main et les raisins sont pressés avec les pieds. La productrice Erica Perrino ne vinifie pas non plus de rosé. « On met tellement d’énergie à cultiver ce cépage, je ne voudrais pas jeter les peaux après quelques heures de macération pour un rosé », dit-elle. La vigneronne compare le rossese au pinot noir. Comme le prestigieux cépage bourguignon, le rossese est capricieux. Ses vins sont caractérisés par une robe de couleur rouge clair et des tannins souples.

La variété dispose d’un autre atout qui fait l’unanimité chez les vignerons autant en France qu’en Italie : son potentiel de garde. Aussi bien au Clos Cibonne, en Provence, qu’à Terre Bianche, en Ligurie, les vieux millésimes dégustés conservent une bonne acidité et démontrent la complexité des grands vins.

Cette particularité n’a pas échappé au vigneron californien Randall Graham. Il a découvert, il y a 25 ans, le rossese lors d’une dégustation organisée par le guide Gambero Rosso. Si le producteur l’avait trouvé « trop léger » à l’époque, il a changé son fusil d’épaule. « Je ne l’avais pas compris, avoue-t-il. Aujourd’hui, j’en ai dans mon vignoble personnel et je le vinifie chez Gallo. »

Rossese ou tibouren, ce cépage est prêt à sortir de l’ombre.

Deux cuvées à déguster

Tibouren rosé

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Le Clos Cibonne Cuvée Tradition

L’assemblage de plusieurs variétés de raisin est obligatoire dans l’appellation Côtes de Provence. C’est pourquoi 10 % de grenache s’ajoutent à cette cuvée tradition où le tibouren est à l’honneur. Atypique, ce rosé est élevé 12 mois en fûts de chêne. Cet élevage apporte une profondeur au vin et permet de mettre en valeur les notes épicées du cépage. Les parfums de zeste d’orange et de fruits rouges se mêlent à la finale saline persistante. À revoir dans 10 ans ou à déguster maintenant avec des côtelettes d’agneau. Bon à savoir : le Clos Cibonne élabore aussi un vin rouge à base de tibouren qui n’est pas offert à la SAQ. La cuvée Cibonne Tentations (code SAQ 14800931) en contient aussi.

Clos Cibonne Cuvée Tradition 2021, code SAQ : 15173967, 42,00 $

Consultez la fiche de la SAQ

Rossese di Dolceacqua

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Rossese di Dolceacqua

Avec un total de 90 hectares de vignes, il est normal que les vins de l’appellation Rossese di Dolceacqua soient confidentiels. Les conditions météorologiques difficiles de l’année dernière ont réduit la quantité de bouteilles à 156 500. C’est peu ! La vigneronne Erica Perrino cultive pour sa part moins de deux hectares. Ses bouteilles produites selon les principes des vins nature sont si demandées qu’elle en exporte aux quatre coins du monde, dont au Québec. Vinifié dans des barriques utilisées depuis plusieurs millésimes, son rouge possède un peu plus de couleur et de concentration qu’attendu. La texture subtilement granuleuse évoque le sol de schiste alors que les parfums rappellent les noyaux de cerise.

Testalonga, Rossese di Dolceacqua 2021, code SAQ : 15213578, 59,59 $ – caisse de 6 à l’agence Les Deux Caves.