Il y a de ces vins qui transcendent les allégeances et permettent aux œnophiles plus classiques de partager une bouteille avec les inconditionnels de « nature ». Lorsqu’on rencontre le vigneron Nicolas Grosbois, on comprend pourquoi.

M. Grosbois, que nous avons vu à Montréal pour la deuxième fois en moins de cinq ans, au printemps, est un homme dans la quarantaine, à la dégaine intellectuelle plus que paysanne. Il écoute les idées nouvelles, mais les filtre à travers son esprit scientifique. Il aime que les choses soient droites. On sent chez lui cette volonté de respecter les règles de l’art – il défend les appellations d’origine contrôlée, parce que « c’est viser l’excellence » –, mais tout en étant de son temps.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Une partie de la famille Grosbois : Jocelyne (« mémère »), Jacques (« pépère ») et Nicolas

Le retour de la biodiversité

Et ce « temps » d’aujourd’hui, c’est un peu un retour à celui d’hier, celui des ancêtres qui cultivaient la terre en polyculture pour se nourrir et pour nourrir leur communauté. « On a grandi dans les pommes et les poires. Pépère et mémère [Jacques et Jocelyne, ses parents, aussi présents à Montréal cette fois-ci], qui se sont connus en 1973, avaient des arbres fruitiers. Ils ont arrêté à la fin des années 1990 parce que le marché s’est écroulé. Aujourd’hui, la polyculture qu’on est en train de mettre en place est une continuité. »

La biodiversité est donc de retour chez les Grosbois, avec des hectares en maraîchage, des vaches, des cochons et bien sûr des vignes, pour créer un environnement sain et harmonieux.

Contrairement à bien d’autres enfants d’agriculteurs qui vont étudier et vivre une vie urbaine pour revenir au vignoble bien plus tard, les deux fils Grosbois ont tout de suite étudié la viticulture et l’œnologie. « Le soir, je prenais 25 centimes pour appeler pépère et mémère et je leur contais tout ce que j’avais appris pendant ma journée en classe », se rappelle Nicolas Grosbois.

Les frères sont tout de même allés poursuivre leur apprentissage ailleurs.

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Nicolas Grosbois

Nicolas Grosbois a travaillé dans le sud de la France. Il a fait une vendange dans l’Oregon, où l’approche plus humaine, moins hiérarchique, lui a plu. En Nouvelle-Zélande, il a constaté qu’il était possible de rêver, d’innover, que la vinification n’était pas une chose figée.

Son frère Sylvain, lui, faisait du vin au Chili pendant ce temps-là.

De retour à Chinon, Nicolas Grosbois a tranquillement commencé à pousser ses parents à la retraite, entre 2005 et 2008. En 2007, le domaine a commencé sa conversion en culture biologique. La certification biodynamique a été considérée, mais parce que son cahier de charges était inadapté à la réalité du vignoble et aux croyances de la famille, c’est la polyculture qui a prévalu.

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Le domaine a commencé sa conversion en bio vers 2007.

Nouveau maître à bord, Nicolas Grosbois s’est permis d’expérimenter avec le cépage roi de la région, le cabernet franc. « Pendant 15 ans, on a tout essayé », déclare-t-il. Il y a eu de très longues macérations (45 jours en 2015), des moyennes (trentaine de jours), puis des courtes (20 jours). Quelques tests de contenants ont été faits. « On a tenté le soufre volcanique à la place du soufre pétrochimique, avec des résultats mitigés. Mais je reste convaincu qu’il faudra y revenir et qu’on apprendra à l’utiliser parce que du pétrochimique, il n’y en aura plus », explique le vigneron.

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Nicolas Grosbois parle du domaine familial.

Nicolas Grosbois raconte tout ça à un public de sommeliers et de sommelières, dans une des salles privées du restaurant Monarque, où il nous fait le cadeau d’une dégustation verticale sur 10 millésimes de la cuvée principale du domaine, Gabare, offerte à la SAQ. Les expérimentations se goûtent et la bonne voie semble être trouvée, si on se fie au délicieux 2021.

Quelles sont donc les leçons de ces années d’essais auxquelles le frère Sylvain, rentré en France en 2017, a aussi participé ? « On préfère les macérations plus courtes, les raisins égrappés, les contenants de béton, du moins pour la cuvée Gabare. »

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Nicolas Grosbois

Le vin « de mon beau-père »

Mais le vin n’est pas tout, chez les Grosbois. C’est même plutôt l’humain et le vivant en général qui priment. « De ce paysage où il y avait juste de la vigne, il y a quelques années, on produit maintenant tout ce qu’il faut pour manger et boire. Aujourd’hui on est 30 personnes à travailler au domaine et à bien en vivre. On a repeuplé le village, il y a une vie qui apparaît, il y a un marché où on vend nos légumes.

Si on veut changer le monde, c’est à nous de le faire. C’est à nous de construire notre tissu rural et social. Le plus difficile à gérer dans tout ça, c’est l’humain, parce qu’il faut tout réapprendre. Avant tout le monde savait amener une vache, s’occuper des animaux, faire du pâté, etc. La population doit reprendre en main ce savoir, ce bon sens paysan.

Nicolas Grosbois, vigneron

  • La cuisine de ma mère

    PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

    La cuisine de ma mère

  • Tète Nat’

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    Tète Nat’

  • Extra Ball

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    Extra Ball

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Et la planète en dépend un peu. Les Grosbois l’ont appris au fil du temps, avec des gels de plus en plus destructeurs. Aussi une gamme de vins de négoce est-elle née de ces difficultés. Vous les avez sûrement vus à la SAQ. Ils ont des noms évocateurs comme La cuisine de ma mère, Les jardins de mon père, Extra Ball, Litron et Tète Nat’ (ce pétillant naturel étant le produit d’un collectif auquel participe Nicolas Grosbois). Ce sont des vins simples et ludiques.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Photos d’une dégustation de vins par la famille Grosbois

Quant à la cuvée Gabare, du domaine « maison » : « C’est le vin que j’apporterais chez mon beau-père », nous ont confié non pas une, mais deux sommelières. Loin d’être une insulte, ce commentaire laisse plutôt entendre que ce vin a le potentiel de plaire à un grand nombre de buveurs.

Notes de dégustation

La cuvée Gabare contient le fruit de 12 parcelles de cabernet franc du domaine. Celles-ci sont isolées puis élevées pendant six mois dans des cuves neutres en béton. L’assemblage se fait par la suite. La récolte fut généreuse en 2020, un millésime chaud. On sent la maturité au nez, avec des notes mentholées et de réglisse. En bouche, une touche d’olive noire se manifeste. Il n’y a aucun doute que ce vin fera la fête avec vos grillades estivales.

Domaine Grosbois Chinon Gabare 2020, 14 %, 13096110, 29,25 $

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