Il n’y a pas eu que de la joie sur la Joy Hill ces derniers mois. Justine Thérien et Julien Niquet ont hâte de mettre ce difficile millésime 2022 derrière eux. Cela dit, c’est souvent dans l’adversité qu’on se surpasse, et le couple n’a pas fini d’embellir son petit paradis de Frelighsburg.

Gels, maladies fongiques dues à l’humidité, grêle deux fois plutôt qu’une et pluies de septembre ne sont que quelques-uns des obstacles qu’ont dû surmonter les fondateurs de la Maison agricole Joy Hill en 2022.

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Les vendanges battaient leur plein sur la Joy Hill, la semaine dernière.

« C’était notre sixième été et jamais on n’avait encore eu un millésime comme ça, raconte Justine, qui s’occupe avant tout du champ, tandis que Julien vaque au chai. Pour la première fois en six ans, j’ai eu le fantasme de mettre une pancarte à vendre devant le vignoble ! Mais on s’est accrochés à la vision, au plaisir qu’on peut avoir à faire ce métier, aux vins dont on est fiers, aux vignes qui étaient en santé. »

Des vignes, il y en a 37 000 sur la « côte de la joie », toutes des vitis vinifera : grüner veltliner, blaufränkisch, gamay, gamaret, melon de bourgogne, pinot blanc, riesling et chardonnay. Le couple a opté pour les cépages qu’il aime boire et qu’il imaginait heureux sur sa belle terre aux nombreux coteaux.

À notre passage au vignoble, la petite équipe est en train de vendanger les pinots blancs. Il y a quelques caisses remplies de raisin bien juteux et sucré, en attente d’être pressé. Cette année, Julien a décidé de faire de la petite, mais respectable récolte une cuvée en monocépage, pour voir ce que ça goûte. En 2020, le pinot blanc avait été ajouté à la cuvée Paysage, principalement composée de chardonnay.

Le pinot blanc
  • Julien Niquet charge du pinot blanc sur le convoyeur.

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    Julien Niquet charge du pinot blanc sur le convoyeur.

  • Avec un peu d’aide, les raisins font leur chemin.

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    Avec un peu d’aide, les raisins font leur chemin.

  • Le raisin monte vers le pressoir pneumatique.

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    Le raisin monte vers le pressoir pneumatique.

  • Et hop ! il sera bientôt transformé en moût.

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    Et hop ! il sera bientôt transformé en moût.

  • Ce jus fermentera pour devenir du vin.

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    Ce jus fermentera pour devenir du vin.

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Comme plusieurs vignerons québécois, il est amateur de macération carbonique. Cette technique de vinification perfectionnée dans le Beaujolais consiste à mettre les grappes entières et intactes dans une cuve hermétique saturée de CO2. Privées d’oxygène, les levures ne se mettent pas en branle et c’est plutôt une fermentation enzymatique qui se produit à l’intérieur du grain de raisin. La technique permet d’obtenir des vins souples et fruités. Au Québec, elle gagne du terrain, entre autres parce qu’elle entraîne une baisse de l’acidité finale du vin.

Ici, on travaille parfois aussi les blancs en macération carbonique ou en semi-carbonique, justement pour couper l’acidité et pour faire ressortir le fruit.

Julien Niquet, vigneron

« Dans le cas du grüner veltliner, par exemple, il y a de la rotundone dans la peau, qui rappelle le poivre blanc. C’est l’fun à aller chercher, comme on a fait en 2021, pour la cuvée Les Ventilos. »

Après, il y a aussi les « accidents ». Prenons la cuvée Pit à feu 2020, par exemple, aussi à base de grüner veltliner. « On a eu un problème avec le refroidisseur. Le moût a fermenté à 30 °C. Ça aurait pu être catastrophique et donner toutes sortes de déviances, mais ça a plutôt fait ressortir le côté empyreumatique [arômes de type fumé, grillé, torréfié, voire brûlé] du cépage. Puis, ça s’est calmé avec le temps. Finalement, c’était un bel accident et on aimerait bien reproduire cette cuvée un jour, si les conditions le permettent. »

Le passé brassicole et cidricole de Julien lui est bien utile. Le cofondateur de Glutenberg et d’Oshlag – dont il a vendu ses parts en 2019 –, également copropriétaire des cidres Fleuri avec Justine, est très méthodique et minutieux. Il tient à faire des vins naturels, mais bien « propres ». Au Québec, c’est plutôt aisé de travailler sans soufre et d’obtenir cette droiture.

« Le soufre est le seul ingrédient œnologique qui est classé comme toxique, alors si on peut l’éviter, on l’évite, affirme Julien. Les vinificateurs l’utilisent souvent systématiquement pour ne pas prendre de risque et parce que tout le monde a toujours fait ça. Pourtant, un levain indigène vigoureux et issu de raisins sains ne laisse aucune bactérie ou levure indésirable prendre le contrôle d’une fermentation. C’est ça, la clé du succès. Avec l’acidité élevée des moûts au Québec, c’est encore plus facile de s’en passer. C’est un milieu moins favorable pour les bactéries. »

L’approche du couple, peut-être plus carrée et scientifique au départ, laisse de plus en plus de place à l’instinct, lui-même aiguisé par l’expérience. Justine et Julien apprennent à écouter leur petite voix intérieure et à se faire confiance.

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Justine Thérien, copropriétaire, est responsable de la viticulture à la Maison agricole Joy Hill.

« Ce qui nous fait triper d’un vignoble, c’est qu’on vit le processus du début à la fin », déclare Justine, qui travaillait dans une agence de représentation en vin avant d’ouvrir sa « maison ».

On connaît vraiment bien notre matière première. Et c’est pourquoi, pour l’instant, on préfère ne pas acheter de raisin ailleurs pour augmenter notre production. On travaille avec nos bébés à nous !

Justine Thérien, copropriétaire de la Maison agricole Joy Hill

L’été dernier, Justine et Julien ont retenu les services d’un agronome holistique. Celui-ci aide les vignerons à accroître leur autonomie. Dès qu’elle aura arrêté d’éteindre des feux, Justine compte recommencer à préparer ses propres amendements et autres traitements, comme du biochar (carbone solide utilisé pour nourrir le sol), du soufre « maison » pour combattre les maladies fongiques, des bactéries lactiques pour vaincre une autre maladie, etc. Il y a quelques mois, elle préparait un « thé » de litière forestière à pulvériser, pour augmenter les colonies de micro-organismes sur ses précieuses vignes.

Ce sont ses lectures sur la méthode Jadam qui guident présentement la viticultrice. Comme la permaculture et d’autres modes de culture agroécologiques, la méthode Jadam favorise l’autosuffisance et l’indépendance aux produits chimiques par le respect des cycles naturels et la préparation de « potions » maison à faible coût. Elle a été développée en Corée du Sud, dans les années 1990, par un agriculteur et chimiste horticole nommé Youngsang Cho.

« S’il n’y a pas de vie, les pathogènes ont toute la place pour se répandre. On va donc renforcer les défenses naturelles de la plante et inoculer plus de vivant dans le vignoble », explique Justine. Ainsi, peut-être y aura-t-il à nouveau plus de joie et moins d’épreuves sur la Joy Hill en 2023.

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Quatre cuvées de la Maison agricole Joy Hill sont en « exposition » au vignoble. Les magnifiques étiquettes sont l’œuvre de l’artiste Josianne Lanthier.

Quatre cuvées sortiront en novembre. Pour avoir une chance d’en acheter en ligne, sur le site du vignoble, il suffit de suivre son compte Instagram. Les autres cuvées libérées plus tôt sont pratiquement introuvables maintenant, sauf sur les cartes des vins de divers restaurants québécois.

Consultez le site de la maison agricole Joy Hill