Il fallait être un peu fou pour vouloir faire du vin au Québec dans les années 1980. Du moins, c’est ce qu’on a raconté. Le recul nous permet de constater qu’il fallait surtout être visionnaire. Après quatre décennies d’exploration et de labeur, le vin québécois se taille une place de plus en plus affirmée aux côtés des classiques de l’industrie. Différent — et non moins savoureux, contrairement à ce qu’on a pu penser à une époque —, le produit de la vigne d’ici affiche aujourd’hui sans complexes ses nuances nordiques et son caractère unique.

Ce jour-là, une quinzaine de vignerons québécois sont conviés à une table ronde virtuelle pour le lancement de la télésérie La vigne est belle, diffusée à Télé-Québec. Cette « réunion de famille » exceptionnelle, où différentes générations de producteurs sont représentées, est une occasion d’observer le chemin parcouru en 40 ans d’aventure vitivinicole au Québec. L’esprit est à la camaraderie. On y est pour une même passion. Pour une même cause.

Il fallait d’ailleurs être investi d’une mission pour se lancer dans la vigne en territoire inconnu, il y a 40 ans. Charles-Henri de Coussergues, défricheur de la première heure avec le vignoble de l’Orpailleur, en Estrie, se souvient : « En voyant arriver un jeune de 21 ans, fils de vigneron en Provence, qui veut se lancer dans la vigne au Québec, la question qui revenait tout le temps était : “Pourquoi ?” On était noyés dans une mer de préjugés et on passait pour des hurluberlus. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Charles-Henri de Coussergues, cofondateur du vignoble de l’Orpailleur, en Estrie

Remettons-nous dans le contexte de l’époque où un agriculteur québécois n’avait pas le droit de faire de l’alcool et que vouloir ouvrir ses portes aux visiteurs était encore une chimère. En allant cogner aux portes du ministère du Tourisme, Charles-Henri de Coussergues s’était d’ailleurs fait répondre que l’agriculture et le tourisme étaient comme l’huile et le vinaigre : deux choses qui ne se mélangent pas. Le producteur, qui reçoit chaque année bon nombre de visiteurs au vignoble, a depuis démontré qu’une détermination à toute épreuve peut émulsionner le tout.

« J’ai souvent entendu que la vigne serait un feu de paille, mais tout ça, c’était du carburant pour moi, raconte le vigneron. On en est là, 40 ans plus tard : on manque de vignerons et on manque de vin. » Ce constat vient confirmer son choix : la vigne était bien enracinée et pas près de disparaître.

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Carole Desrochers et Mario Plante, du vignoble Négondos, dans les Basses-Laurentides

Au début, on consommait le vin québécois pour le drapeau, parce que c’était un produit local et que c’était fait avec beaucoup de bonne volonté. Maintenant, on voit que plusieurs d’entre nous ont réussi à développer des produits que la clientèle consomme par pur plaisir.

Mario Plante, du vignoble Négondos

L’arrivée du bio et le boom des années 2000

En 2026, la moitié des vignerons membres du Conseil des vins du Québec (CVQ) seront certifiés bio ou en transition pour le devenir, selon de récentes données de l’industrie. Dans les années 1990, l’idée était non seulement farfelue, mais aussi fortement déconseillée à Carole Desrochers et Mario Plante, qui décidaient néanmoins d’aller de l’avant en démarrant le vignoble Négondos en culture biologique. Ils se targuent aujourd’hui d’avoir été les seuls vignerons bio certifiés du XXe siècle au Québec, les autres ayant suivi au millénaire suivant.

On y allait par essais-erreurs, raconte Mario Plante. « L’expertise était française et on tentait d’appliquer un modèle connu sur un terroir différent et dans des conditions climatiques différentes. Ici, avec nos hivers très longs, on devait repenser notre manière de travailler tant la vigne que les vins. Il a fallu tout un cheminement pour arriver à être plus humbles devant nos conditions et pour accepter nos limites et les caractéristiques de nos cépages. »

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

La vigneronne Ève Rainville, du Domaine Bergeville, à North Hatley

Les années 2000 auront été une décennie de développement de la vigne avec des cépages rustiques ou hybrides, dont des croisements entre la vigne native de l’Amérique du Nord et celles d’Europe. Or, ces cépages ont en commun une acidité marquante : un net désavantage dans un univers dominé par des vins tanniques comme les bordeaux ou des cépages plus charnus, observe Simon Naud, dont la famille a créé le vignoble La Bauge, en 1986. Pour le Domaine Bergeville, de North Hatley, cette acidité a été un atout certain et l’élément déclencheur pour se lancer dans l’aventure, indique la vigneronne Ève Rainville. « L’acidité est la colonne vertébrale d’un vin mousseux. Pour nous, le défi était de vinifier pour faire de bons vins mousseux. »

Le Québec demeure un climat marginal pour la vigne. À chacun son terroir, à chacun ses particularités, précise toutefois Yvan Quirion, du Domaine St-Jacques, en Montérégie, qui a perfectionné les techniques de protection hivernale. « Les hybrides américains fonctionnent extrêmement bien à plusieurs endroits au Québec, mais pas chez nous. C’est la preuve que chaque territoire a ses spécificités », affirme le vigneron, qui a lancé son premier millésime en 2008 et qui produit aujourd’hui 12 vins, dont un chardonnay et un pinot noir.

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

La famille Beauchemin, du Domaine du Nival

L’affirmation d’une identité

Si les succès des années 1980 et 1990 ont modelé le développement du vin québécois au tournant du siècle, la suite a été exponentielle. La pression est aujourd’hui sur les vignerons pour produire davantage. « La croissance du vignoble québécois est fulgurante », affirme Stéphane Lamarre. Son Château de cartes, à la fois vignoble et cidrerie, produisait de 8000 à 9000 bouteilles avant d’entrer en SAQ et en épicerie.

Avec fierté, aujourd’hui, je produis 120 000 bouteilles, puis j’en manque ! Donc plantez-en, de la vigne, y a pas de souci.

Stéphane Lamarre, du vignoble Château de cartes, à Dunham

La voie ayant été défrichée, il est maintenant possible de se concentrer davantage sur le développement et la recherche, estiment les vignerons de la relève, dont font partie entre autres les Mathieu Beauchemin, du Domaine du Nival, Véronique Lemieux, qui a fondé un projet expérimental d’implantation de vignobles en milieu urbain, et Sophie Bélair-Hamel, des Sœurs Racines. « L’histoire du Québec est super jeune. On y participe chacun à notre façon, mais on l’écrit encore, relève cette dernière. Je pense qu’il faut rester allumés sur cette réalité pour faire le pont avec nos vignerons aguerris. »

La nouvelle génération de viticulteurs québécois ne peut se complaire dans le savoir acquis par les générations précédentes, pense également Guillaume Laliberté, cofondateur de l’étiquette Lieux communs. Les défis à relever ne manquent pas. L’accès aux terres est un cheval de bataille important. L’affirmation d’une identité aussi, selon la sommelière et propriétaire du domaine La Vieille Grange, en Beauce, Win Le Phan. « Notre défi sera de faire partager ce qu’est le vin québécois et de faire comprendre aux gens qu’il ne goûtera pas l’amarone ou le vin que vous aimez. C’est un autre type de vin qu’on est fiers de vous présenter et qui est issu de notre terroir. »

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Steve Beauséjour et Simon Naud, du vignoble La Bauge, à Brigham

« Pendant des années, on a essayé de faire des vins pour plaire, ce qui a mené au fil du temps à des vins pour être, ajoute Steve Beauséjour, qui s’est joint au vignoble La Bauge. On est dans notre quête d’identité et on est à la recherche d’une authenticité qui représente notre endroit : des vins avec de jolies acidités de canneberge, de rhubarbe et de petits fruits qui poussent ici, des vins qui nous ressemblent. On est en train d’assumer cette identité, de la comprendre et de la nourrir. »

Consultez le site Vins du Québec pour découvrir les vignobles du Québec Regardez la série documentaire La vigne est belle, diffusée à Télé-Québec
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