En seulement quelques années, l’industrie brassicole québécoise a développé une expertise enviable et des dizaines de microbrasseries ont vu le jour. Chaque mois, nous parlons d’un aspect du monde effervescent de la bière.

Amorcée il y a quelques années à titre expérimental ou presque, la collaboration entre brasseurs et vignerons continue de s’affirmer au Québec. Malgré leur caractère saisonnier, les bières brassées avec du marc de raisin ou vieillies en fûts de vin sont de plus en plus faciles à dénicher dans les détaillants spécialisés. On peut aussi les trouver directement dans les microbrasseries. Raison de plus d’aller voir du pays et profiter des belles couleurs de l’automne !

« Il y a assurément un pont qui a été jeté entre les mondes du vin et de la bière », affirme Mathieu Beauchemin, copropriétaire du Domaine de Nival, qui collabore depuis quelques années avec les brasseries Auval et Dunham, mais aussi avec la cidrerie Le Chemin des Sept. « Depuis trois ou quatre ans, il y a énormément de liens humains qui se créent et qui débouchent sur des produits collaboratifs connexes entre les quatre grandes familles de boissons alcoolisées, soit le vin, la bière, le cidre et les spiritueux.

« Jamais je n’aurais pensé que ces univers-là se seraient parlé, enchaîne celui qui s’apprêtait à commencer ses vendanges dans les jours suivant notre entrevue. Je ne connaissais pas trop le monde brassicole et dans ma tête, c’était assez simple : la bière, c’est de la bière, le vin, c’est du vin. Cette idée d’avoir des produits hybrides n’était pas du tout sur mon radar. Mais c’est tellement le fun, on établit un réseau d’êtres humains, on discute, on crée. »

Le raisin, pourquoi pas ?

D’ailleurs, Mathieu Beauchemin avoue s’intéresser un peu plus aux produits créés à partir du marc de ses raisins — les résidus récupérés après la presse, auparavant destinés au compost. « Chaque année, Ben [Couillard] de chez Auval venait me chercher du marc de pinot noir, mais je lui ai proposé l’an dernier d’utiliser du raisin blanc parce que j’avais le sentiment que ça pourrait cadrer encore mieux avec ce qu’il fait, nous explique le vigneron du domaine situé à Saint-Louis, entre Sorel et Saint-Hyacinthe. Il a donc pris de l’albarino, un raisin très aromatique. Le travail reste bien sûr dans la cour du brasseur, mais des discussions s’installent, ça va dans les deux sens. »

Christian Marcil, copropriétaire de la brasserie Les Trois Mousquetaires, à Brossard, nous apprend justement que c’est à la suggestion de Normand Guénette, du vignoble Le Chat botté, qu’il a mis au point sa Cuvée Orange. « On travaillait déjà avec eux pour notre Cuvée Marquette-Frontenac, mais il m’a suggéré de ramasser ses raisins qui avaient été utilisés en prémacération pour le vin orange. »

Moi, j’adore le vin orange, il a un côté funky qui se retrouve aussi dans la bière, je me suis dit que cette technique-là pouvait certainement avoir une valeur ajoutée.

Christian Marcil, copropriétaire de la brasserie Les Trois Mousquetaires

Maître-brasseur à la brasserie Le Prospecteur, à Val-d’Or, Jonathan Deschamps a commencé en 2015 à faire maturer ses bières dans des fûts de chêne ayant contenu du vin. Titulaire d’un baccalauréat en génie biotechnologique et d’une maîtrise en génie chimique avec une spécialité en bioprocédés, il comprend bien ce qui est à l’œuvre quand vient le temps de créer une bière avec des éléments du vin.

Néanmoins, rien ne remplace selon lui l’expérience. « Il n’y a pas de formation pour travailler avec des fûts, ça prend un bon travail d’autodidacte, exprime-t-il. Chaque année, quand je vais à la chasse à l’original, je lis des livres, je me mets à jour. C’est trippant, la science derrière la macération en barils de chêne, mais si on veut améliorer nos connaissances, il faut se tourner vers des études qui sont destinées au vin. L’œnologie, c’est une référence qu’il ne faut pas mettre de côté en tant que brasseur. »

Des produits locaux

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Les vendanges ont commencé dans la semaine du 20 septembre au Domaine du Nival et les récoltes s’annoncent exceptionnelles, à la fois en volume et en qualité. « Quand on a une belle maturité phénolique, le jus est meilleur et tout ça se retrouve dans la pulpe du raisin, explique Mathieu Beauchemin. Les brasseurs ont donc aussi une matière intéressante en main, ils vont en tirer plus de complexité. Il y a aussi un effet millésime sur les bières. »

C’est aussi par souci de produire de la bière avec des produits locaux que les brasseurs font appel aux vignerons pour développer de nouveaux produits. « C’est bien beau de faire des IPA à la mangue, mais on peut aussi faire autre chose, affirme en riant Mathieu Beauchemin. Avec la montée qualitative des vignobles québécois, c’est quand même drôle de voir les brasseries vouloir se coller aux vignobles qui ont le vent dans les voiles ! »

Ces partages permettent par ailleurs aux brasseries de s’ouvrir à une clientèle plus âgée qui lève encore le nez sur la bière. « Quelqu’un qui n’est pas porté à regarder la bière peut se faire influencer par des amis amateurs de vin, soutient Christian Marcil. D’ailleurs, on l’a vu au restaurant Pastaga avec notre Cuvée Gamay, développée avec le chef Martin Juneau avec du marc de raisin ainsi que des moûts en fermentation provenant du vignoble Pinard & Filles. Les gens disaient que ce n’était pas de la bière. Mais oui, c’en est ! »

À l’inverse, les vignobles québécois profitent aussi de leur association avec les microbrasseurs pour se découvrir de nouveaux adeptes. « Notre collaboration suscite de l’intérêt pour nos vins, reconnaît Mathieu Beauchemin. Pour les gars de bière qui ne boivent pas de vin, ça crée un doute dans leur esprit de voir leurs brasseurs préférés s’associer avec des vignobles ; ils se disent qu’ils pourraient bien goûter à nos vins ! »

Quatre découvertes

Cuvée des champs

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Cuvée des champs, 8e Péché

8e Péché, 6,8 % alc./vol., 500 ml.

Brassée en collaboration avec La Barberie, cette pilsner à l’effervescence fine a été affinée pendant près de huit mois dans des fûts de bordeaux. On l’a ensuite rehaussée de mûres, framboises et cassis juste avant l’embouteillage, des fruits très perceptibles au nez qui donnent aussi une belle acidité à l’ensemble. Très accessible, sèche et directe, elle a des tannins qui s’attardent un peu mais ne traînent pas en longueur, cédant la place à une subtile finale vineuse.

Viti Vini Vici

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Viti Vini Vici, Cuvée 20e anniversaire des Pervenches, Dunham

Cuvée 20e anniversaire des Pervenches, Brasserie Dunham, 5,6 % alc./vol, 750 ml.

Ale de type saison fermentée sur le marc de chardonnay vendangé en 2020 pour réaliser le vin Le Couchant, des Pervenches. Cuvée Vini Viti Vici hors série brassée pour souligner les 20 ans du vignoble de Farnham, elle s’avère extrêmement rafraîchissante, agréablement douce, mais aussi goûteuse et complexe. Malgré son taux d’alcool somme toute raisonnable, elle est ronde et pleine en bouche, avec une touche boisée déjà annoncée par le bouquet – la bière a séjourné neuf mois dans des barriques de chêne. Très réussie, à l’image de l’ensemble de la série Vini Viti Vici.

Champagne du Nord

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Champagne du Nord, Vrooden

Vrooden, 7 % alc./vol., 750 ml.

Berliner Weisse double qui a mûri six mois en fût de vin rouge, puis a ensuite été affinée en bouteille pendant six mois de plus. Les premiers effluves laissent deviner des notes de banane et de vanille, mais ce sont les agrumes que l’on goûte, le pamplemousse en tête, avec des touches d’ananas et de vanille qui s’expriment en retrait. Très sèche, sans sucre résiduel, elle n’usurpe pas son nom avec une effervescence naturelle à la fois fine et intense. Vineuse, elle peut être très bonne en apéro et excellente avec des fromages. Elle a par ailleurs une grande capacité de garde, ce qui devrait lui permettre de gagner en complexité. La rondeur du chêne devient aussi plus perceptible à la faveur de quelques degrés en plus.

Cuvée orange

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Cuvée orange, Les Trois Mousquetaires

Les Trois Mousquetaires, 7,6 % alc./vol., 750 ml.

Ale sure brassée et macérée sur marc de raisin du vin orange du Vignoble Le Chat Botté, elle a ensuite été affinée en fût de chêne pendant 12 mois. Vineuse à souhait, elle s’accompagne d’accents d’agrumes et de raisin, avec des tannins robustes qui s’accrochent en bouche — on perçoit l’amertume des pépins du raisin. Finale très sèche qui camoufle les 7,6 % d’alcool. Excellente avec fromages et charcuteries, elle n’est pas la plus facile d’accès ; elle affirme en ce sens pleinement sa parenté avec le vin orange.