(Épernay) Pas moins de deux ministres se sont rendus vendredi à Épernay, berceau du vin pétillant de la Champagne, pour affirmer le soutien du gouvernement français face à une nouvelle loi russe qui ébranle la précieuse appellation protégée.

« La position du gouvernement est très claire sur ce sujet : le champagne, c’est français et ça vient de la Champagne », a déclaré Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, sur le site de l’exploitation viticole Pol Roger, en martelant que protéger l’appellation d’origine, c’était protéger l’identité de la France et son rayonnement international.

La nouvelle loi vitivinicole russe, signée le 2 juillet, oblige les distributeurs de champagne à troquer le titre prestigieux de « champagne » contre celui de « vin pétillant » sur la contre-étiquette des bouteilles écrite en cyrillique, réservant la dénomination « champanskoïe » aux producteurs russes de… vins pétillants.

Laurent d’Harcourt, président du directoire de l’exploitation du Champagne Pol Roger, a fait visiter à ses invités une partie de ses caves.

Neuf kilomètres de couloirs sinueux, peu éclairés, où reposent des centaines de bouteilles à température ambiante, vieilles de plus d’un siècle pour certaines.

Il en a profité pour raconter le savoir-faire ancestral d’un métier qui se transmet de génération en génération.

Pour le moment, les exportations vers la Russie sont suspendues.

« Le sujet ce n’est pas une question financière, mais de faire reconnaître aux autorités russes que “champagne” en caractère latin ou en caractère cyrillique ne peut désigner que des vins de Champagne, c’est une question de principe », a déclaré David Chatillon, directeur général de l’Union des maisons de Champagne, rappelant qu’il ne s’agit pas de partir en guerre contre les Russes qui sont « des amis du champagne ».

Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne a conseillé aux producteurs de ne pas se plier à la nouvelle loi russe et de suspendre temporairement les exportations.

« On ne souhaite pas entrer dans la démarche d’une adaptation de nos étiquettes », a attesté David Chatillon.

Mais l’un des plus illustres producteurs, Moët Hennessy (groupe LVMH), a apparemment cédé et choisi l’inverse : il a annoncé dimanche dernier vouloir reprendre au plus vite les livraisons de ses différents champagnes, le temps d’effectuer les changements d’étiquetage.

« Beaucoup de maisons ont tout intérêt (à ne pas suspendre leurs exportations, NDLR) car il n’y a aucune raison de casser le commerce », a commenté laconiquement Maxime Toubart, coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne.

Russie : 15e marché à l’export

« Ça fait 300 ans que les Champenois investissent dans le nom, en qualité, en notoriété, c’est ce qu’ils ont de plus cher, ça ne vaut pas quelques bouteilles, la cause est plus importante », insiste pourtant David Chatillon.

La diplomatie s’en mêle. Le gouvernement français dit travailler à des solutions pour protéger l’appellation dont la réglementation a nécessité plusieurs siècles de gestation.

« Nous devons mobiliser toute notre énergie, à la fois au niveau français, mais aussi au niveau européen puisque la politique commerciale est négociée au niveau européen », a dit Franck Riester, chargé du Commerce extérieur, ajoutant qu’il échangerait sous 10 jours avec le commissaire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Selon Julien Denormandie et les producteurs, voilà d’ailleurs 20 ans que la France négocie avec les Russes sur la protection de l’appellation « Champagne ».

« Vraisemblablement, ça n’est pas seulement une problématique pour le champagne, mais pour d’autres appellations protégées comme le Cognac », dit M. Riester.

L’exploitation Pol Roger dit produire 1,8 million de bouteilles à l’année et le marché russe représente 1,5 à 2 % de ses ventes. La perte est donc relativement minime, a fortiori face à la dynamique des marchés.

Globalement, la Russie est le 15e marché d’exportation du Champagne, avec environ deux millions de bouteilles sur les 150 millions vendues en moyenne chaque année hors de France. Mais symboliquement, pour une appellation qui a toujours défendu la moindre usurpation de son nom, la bataille doit impérativement être gagnée.