À qui la chance ? Une bouteille de cognac vieille de 155 ans sera mise aux enchères la semaine prochaine à Montréal. Un évènement rare, qui offre la possibilité d’un petit voyage dans le temps par la dégustation d’un spiritueux issu de raisins récoltés deux ans avant la Confédération.

En 1865, les premiers tramways tirés par des chevaux faisaient leur apparition dans la ville de Québec. Aux États-Unis, la guerre de Sécession se terminait et le président Abraham Lincoln tombait sous les balles d’un assassin. En Angleterre, Lewis Carroll publiait un roman déroutant intitulé Les aventures d’Alice au pays des merveilles.

Du côté de la France, la maison Denis-Mounié entamait la production de son cognac 1865 haut de gamme, dont une bouteille a traversé les siècles jusqu’à nous, intacte. La relique sera mise en vente par la maison Iegor, rue Sherbrooke Ouest, le 20 octobre.

« C’est en effet peu commun de voir un produit comme celui-là », confirme Yann Langlais-Plante, porte-parole de la SAQ, qui a autorisé la vente.

Encore bon

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La maison Iegor a estimé le prix de vente de cette bouteille entre 1200 $ et 2200 $, mais tout dépendra des enchères.

Pour ceux qui douteraient de la conservation du liquide, les experts de la société d’État se font rassurants : il serait tout à fait apte à la consommation. Un spiritueux gagne en finesse pendant son vieillissement en fût, mais une fois dans une bouteille, il ne change que très peu.

Le pourcentage d’alcool a probablement diminué légèrement, ce qui pourrait lui donner une impression de douceur et un goût plus généreux qui risque d’être agréable à la dégustation. Cela étant dit, la valeur de cette bouteille pour le moins historique relève beaucoup plus de la rareté du produit que de sa qualité propre.

Yann Langlais-Plante

À New York ou à Paris, de grandes maisons d’encan proposent régulièrement de très vieux spiritueux à vendre, mais au Québec, il est rare de voir des bouteilles du XIXe siècle sur le marché. « Il est beaucoup plus fréquent de voir des produits à partir des années 1920 », explique le porte-parole de la SAQ.

Une antiquité à boire de ce type n’est évidemment pas à la portée de toutes les bourses. La maison Iegor a estimé le prix de vente entre 1200 $ et 2200 $, mais tout dépendra des enchères. Le consignataire qui lui a confié la bouteille affirme qu’elle appartient à sa belle-famille depuis toujours.

Deux types d’acheteurs

Le commissaire-priseur de la maison, Laurent E. Berniard, affirme qu’il existe deux types d’acheteurs pour un tel cognac : ceux qui projettent d’ouvrir la bouteille, et ceux qui souhaitent la garder fermée indéfiniment.

« J’ai les deux. J’ai les épicuriens, qui sont trop contents d’ouvrir quelque chose d’exceptionnel. Et les autres qui veulent un trophée qu’on expose pour se la péter, comme on dit. »

La seule bouteille plus ancienne qu’il a déjà vendue était un cognac 1858. « Il a été débouché, et apprécié, ça, je le sais. Il était encore bon à boire », raconte M. Berniard.

Le commissaire-priseur affirme qu’en dehors du goût, certains amateurs recherchent le frisson associé à la dégustation d’un produit qui vient d’aussi loin dans l’histoire.

C’est faramineux, ouvrir une bouteille de 150 ans, c’est un grand moment. J’ai déjà eu la chance d’ouvrir des bouteilles de vin qui dataient des années 1930 et 1940. Il n’y avait plus de fruit, presque plus de tannin, mais il y avait une incroyable émotion.

Laurent E. Berniard

Thierry Pelven, professeur en service et sommellerie à l’ITHQ, abonde dans le même sens. « Le côté dégustation est quasiment secondaire. Je pense que ce produit, par sa rareté, ne peut que faire appel à l’émotion de la mémoire. C’est un produit qui ne vit qu’une fois. On partage ce flacon, l’espace d’un instant, avec une époque », dit-il.

« C’est sans doute une des plus belles machines à voyager dans le temps ! Vous pouvez essayer de vous imaginer quel grand personnage a pu marcher à côté des vignes, ou qui, à l’époque, aurait pu se retrouver à partager ce flacon avec vous », avance l’expert.

Aussi en 1865…

— Les députés de la province du Canada-Uni votent en faveur du projet de fédération canadienne.

— Louis Pasteur dépose un brevet pour un procédé de conservation des aliments par chauffage à température élevée, la pasteurisation.

— La comtesse de Ségur commence la publication en feuilleton du roman Un bon petit diable.