En ce début de mars, Donavan Lauzon court après son temps, un marathon que lui impose chaque année une occupation prenante et imprévisible, car elle est soumise aux soubresauts de la météo. Il faut être aux aguets, dit-il, car la saison des sucres arrive sans trop prévenir et n’attend pas. C’est d’autant plus vrai cette année, alors que des coulées hâtives lui imposent des jongleries inattendues dans son emploi du temps.
Si le sirop d’érable est d’or, on ne roule pas sur l’or en le faisant. Acériculteur à temps partiel, Donavan gagne sa croûte en ville depuis 11 ans comme intervenant en dépendance. Mais voilà, il a sa campagne tatouée sur le cœur, celle où les vaches laitières n’accordent aucun répit à ceux qui s’en occupent et où le sirop d’érable coule dans les veines.
Il y a quelques années, la nostalgie du patelin a eu raison de son homme. Il a eu l’idée de revenir aux sources pour exploiter une parcelle d’érablière sur la terre familiale. « Il y en a qui décrivent ça comme une maladie dont tu peux juste être de plus en plus atteint. Que tu le fasses avec 20 entailles ou 200 000, il y a toujours moyen de tripper », lance le principal intéressé, décidément frappé par ce virus sirupeux.
Il y a, dans sa démarche, quelque chose de l’ordre du folklore, du rassemblement, de l’ancrage à ses racines, songe-t-il. « Et puis, il y a une énergie le fun associée au printemps, comme un espoir de renouveau. Hier, je revenais en motoneige de mon érablière. Je regardais le ciel qui était bleu, rose, mauve. Dans cette connexion à la nature, il y a quelque chose d’une grande beauté. C’est ce qui donne du sens à ce projet. »
Un vent de renouveau
Ici s’arrête le folklore. Car tenir une érablière, c’est du boulot : « Tellement, insiste Donavan, que parfois, je me demande pourquoi je fais ça ! Recevoir ta paie toutes les deux semaines, c’est plus simple. Mais chaque année, quand tu sors ton premier sirop de l’évaporateur et que tu y goûtes, c’est comme si c’était la première fois. »
Il n’a pas ménagé ses efforts pour savourer cette récompense. Après s’être outillé d’un DEP en acériculture – même si, estime-t-il, c’est en le faisant qu’on apprend –, il a construit sa cabane lui-même pour en faire un endroit privé, familial, où on prend le temps de savourer le moment.
Moi, je n’ai pas de maison. J’investis dans la terre de ma famille.
Donavan Lauzon, acériculteur
C’est autour d’une même vision de la cabane à sucre que se sont ralliés Donavan Lauzon et le chef Clément Boivin, de Cuisine libre !.
« Il y a quelque chose d’un peu figé dans les cabanes à sucre traditionnelles. On pense à un stationnement bondé de voitures et à un service souvent rapide. Pour qu’elle perdure, la tradition est appelée à se redéfinir dans un cadre familier et plus soigné », estime l’ancien chef de Cabane d’à côté, qui entrevoit le renouveau dans une alliance avec les agriculteurs, les producteurs maraîchers et les éleveurs d’un même village.
Jusqu’à la mi-avril, le jeune chef collabore avec le chef pâtissier Rémy Couture, anciennement de Crémy, et la maître d’hôtel Samia Houle, pour présenter son Printemps des sucres, une cabane éphémère nouveau genre et gourmande à souhait qui, le jour de notre visite, teste sa formule créative entre amis.
Un savoir qui se transmet
La cabane de Sainte-Scholastique ressemble plutôt à un « loft à sucre » chaleureux, sans prétention. Moins rustique que les cabanes traditionnelles, elle peut accueillir 24 convives autour de grandes tablées et c’est après avoir retiré nos bottes de pluie pour enfiler des pantoufles en phentex qu’on ira prendre place à la table familiale.
Sur les murs s’affichent des clins d’œil à la région et aux ancêtres. Chaque chose a sa petite histoire, précise notre hôte, comme ce portrait sépia du grand-père paternel, un « faiseur de tire » qui en aurait long à raconter sur la saison des sucres. « Dans le temps, c’était une occasion de se rassembler entre voisins, lance madame Lauzon mère. Mon père aussi en faisait, tout le monde en faisait ! Pâques, ça se passait toujours à la cabane à sucre. »
C’était avant que le gouvernement ne saisisse les terres du secteur et que la population de Sainte-Scholastique ne soit expropriée pour la construction de l’aéroport international de Mirabel. « Ça a bouleversé tellement de vies. On ne mesure pas le drame que ç’a été pour la région – des familles éparpillées, des écoles et des maisons rasées… souligne monsieur Lauzon père. Mais dès qu’il a pu, mon père est revenu s’installer chez lui. C’est notre coin, ici ! »
Alors qu’on s’enfile allègrement du flanc de porc façon soupe aux pois, de la tarte au canard, des fèves au lard à l’agneau braisé ou des endives garnies de vinaigrette aux pois, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’Aimé, l’aïeul, en aurait pensé. « Tu sais, c’était un gars traditionnel, répond poliment Mme Lauzon. Il aurait sûrement trouvé ça trop raffiné, trop exotique… » Mais aurait-il vraiment pu bouder l’irrésistible plateau de desserts composé de babas au rhum, de tartes au sucre et arachides pralinées, de guimauves maison à l’érable et de neige de cidre à la tire d’érable ? On en doute.
Repue par ces délices de saison étalés sur près de trois heures de repas, et se félicitant d’avoir opté pour un jeans extensible, on conclura en riant que, ouf ! on a eu notre ration de sirop d’érable pour l’année ! « Pour l’année ? s’étonne M. Lauzon père. Jamais ! » Le sirop d’érable trônera sur la table dès le lendemain, mais ce soir, nous avoue-t-il, peut-être qu’il se contentera d’un petit bouillon. Certaines choses ne changent pas.
Un menu qui réinvente la tradition
Jusqu’à la fin avril, Cuisine Libre ! et son chef Clément Boivin, avec la participation de Rémy Couture (Crémy), élèvent le traditionnel menu de la cabane à sucre dans le contexte intime, décontracté et ô combien gourmand des Sucres St-Joachim.
Dans une convivialité fidèle à l’esprit de la saison, le Printemps des sucres déballe un menu neuf services qui se conclut par une brochette de desserts tout aussi copieuse. Le duo de chefs, épaulé par la maître d’hôtel Samia Houle, concocte ses plats devant les invités dans un espace petit et chaleureux qui sert bien le concept.
Nos hôtes se réjouissent d’être la plus petite cabane à sucre ouverte au public. Et si ce n’est pas le cas, on retiendra l’intention : célébrer une ressource et un savoir-faire unique de façon actuelle, mais dans une atmosphère familiale d’antan. « On veut faire honneur au sirop d’érable avec les meilleurs produits d’ici », souligne Clément Boivin, qui réussit son pari de mettre le nectar du Québec sur un piédestal.
On peut réserver sa place au Printemps des sucres du vendredi au dimanche, jusqu’à la fin du mois d’avril, sur le site de Cuisine Libre !. Le 1er avril sera le jour du « Boisson d’avril » à la cabane. Pour l’occasion, le sommelier invité Steve Beauséjour viendra faire déguster les vins naturels du vignoble de la Bauge.
Le menu est appelé à changer au fil de la saison des sucres.
Consultez le site de Cuisine Libre !