Pizza « napolitaine » au smoked meat, plat de chou-fleur au doenjang et fromage de Charlevoix, tacos au boudin, à la courge et à la pomme du Québec… Bienvenue à Montréal, où nous avons « un appétit pour l’étonnant » !

Le 1er novembre, plus de 200 membres de l’industrie des métiers de bouche – chefs, sommelières, restaurateurs, journalistes, chercheuses et autres – se sont réunis au Centre PHI à l’occasion de l’évènement Tous dans la même assiette, qui en était à sa troisième année.

Il a beaucoup été question de l’identité culinaire de la métropole, qui a plus que jamais une volonté de se positionner comme capitale gourmande d’Amérique du Nord sous l’impulsion de l’Office montréalais de la gastronomie (OMG), créé en 2021.

Montréal est une ville où on mange vraiment bien. Cela ne fait plus aucun doute et notre réputation nous suit maintenant un peu partout dans le monde. Mais Montréal est aussi une ville un peu rebelle et allergique aux étiquettes (et aux étoiles !). Les tentatives de circonscrire la foisonnante identité culinaire de la métropole se soldent généralement davantage par une liste de pratiques, d’attitudes et de philosophies que par une énumération de plats précis.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Évidemment, le smoked meat vient à l’esprit lorsqu’on parle de Montréal.

Certes, nous avons quelques emblèmes bien concrets comme le bagel, la viande fumée et les épices à steak de Montréal, entre autres, mais ce qui ressort avant tout est la diversité, l’ouverture, la créativité, la bonne ambiance, le côté décontracté et décomplexé de notre gastronomie, entre autres.

Cela dit, il ne faut pas non plus avoir peur des clichés, déclare Stéphanie Laurin, directrice de l’OMG.

Quand on arrive à Lisbonne, on a les sardines et les natas directement dans le front ! Les clichés sont importants comme premier niveau d’accès à notre gastronomie. Il faut les embrasser, même s’ils ne nous définissent évidemment pas totalement.

Stéphanie Laurin, directrice de l’Office montréalais de la gastronomie

Montréal, ville plurielle

L’OMG se penche sur la question de l’identité culinaire depuis sa création, en 2021. L’année dernière, à pareille date, Amélie Masson-Labonté, historienne culinaire fondatrice de l’entreprise Storica, nous avait présenté quelques résultats préliminaires d’un projet réalisé dans le cadre d’une entente entre la Société du réseau des économusées et l’OMG. Un an plus tard, toujours à Tous dans la même assiette, elle a révélé les facteurs et les indicateurs de « montréalité » qui sont ressortis de ses recherches et consultations.

« À partir de la seconde moitié du XIXsiècle jusqu’au début du XXe, les grandes villes de la côte Est comme Montréal, New York et Boston voient déferler des vagues migratoires assez similaires : des milliers d’Irlandais fuyant la famine, des Chinois cantonais à la recherche de travail, des Juifs fuyant les pogroms en Europe de l’Est et des Italiens, chassés par le climat instable suivant l’unification l’Italie. Culinairement parlant, on est en droit de se demander ce qui distingue vraiment Montréal des autres grandes villes du nord de l’Amérique. Son caractère français certainement, mais aussi la façon dont les cultures culinaires juives, chinoises ou italiennes par exemple commencent à s’hybrider au fil du temps, entre elles et avec les spécialités d’ici. »

Montréal est donc une ville à la fois francophone et plurielle, c’est une ville festive, ouvrière et populaire, innovante, gourmande et créative. Ce n’est pas pour rien que la nouvelle signature proposée par l’OMG, développée avec la firme LG2, est « Montréal, un appétit pour l’étonnant ».

Pendant l’année, l’inspirée et dynamique stratège Lily Barrière Groppi (LG2) a animé des ateliers avec un grand nombre d’acteurs du milieu (dont l’autrice de ces lignes) pour en arriver à ce positionnement qui sert avant tout à développer un vocabulaire commun autour de notre unicité.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Ces populaires dumplings du restaurant 9 Tail Fox, rue Notre-Dame Ouest, farcis aux champignons et au parmesan, baignent dans une sauce yuja coréenne.

Enfin, les Montréalais commencent à comprendre à quel point l’éclatement de leurs traditions de bouche sont une chance plutôt qu’un manque. Il permet l’expression de soi avant tout. Chez nous, aucune hérésie culinaire n’est possible (sauf celle d’être fade !), ce qui n’est pas le cas dans bien d’autres cultures. Parlez-en à Tommaso Melilli, un jeune chef de la « nouvelle cuisine italienne » qui a scandalisé les purs et durs avec ses classiques réinventés.

Les traditions, un frein

Les traditions, si elles sont source de fierté, peuvent devenir un sérieux frein à la créativité. Nous envions souvent les recettes plusieurs fois centenaires, voire millénaires, de la Chine, de l’Italie, du Moyen-Orient, etc. Et certes, les premières pâtes alla carbonara, cacio e pepe et all’amatriciana que l’on peut déguster lors d’un séjour à Rome sont délicieuses. Mais mangez la même cuisine plusieurs repas de suite et, si vous êtes montréalais, vous aurez rapidement envie d’un cari thai, d’un falafel ou d’un café de spécialité. Même les meilleures pizzas romaines ou napolitaines de notre métropole ont peu à envier à celles d’Italie, foi d’une journaliste qui arrive tout juste d’une grande virée de pâte et de fromage à Rome et à Naples.

PHOTO DOMINIQUE LAFOND, FOURNIE PAR LARRYS

Le spaghetti au maquereau du chef Marc Cohen est un hybride entre la bolognaise et la puttanesca. Il rappelle l’importance qu’a le « spag » dans notre culture culinaire d’ici.

L’ajout de viande fumée (la nôtre est d’origine lituanienne) à une pizza napolitaine, une poutine surmontée de griot haïtien ne sont que deux exemples d’une hybridation qui ne fait sourciller aucun Montréalais. Le chef britannique Marc Cohen (Larrys et Lawrence) propose depuis plusieurs années un spaghetti au maquereau qui nous rappelle à quel point le « spag » est important dans notre répertoire culinaire depuis l’immigration des Italiens du Sud à partir de la fin du XIXsiècle, jusqu’aux années 1950. Il remplace la viande hachée de la bolognaise et les anchois de la puttanesca par un poisson plus local. Et voilà qu’un nouveau « classique » montréalais est né !