Les bleuets cultivés sont arrivés à la mi-juillet dans les champs du sud du Québec, et ils sont suivis ces jours-ci des bleuets sauvages, qui poussent surtout au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Si la récolte est très variable dans le Sud, elle s’annonce abondante dans le Nord… Un excellent prétexte pour s’en gaver !

« Je suis presque gênée de le dire, mais chez nous, ça va bien », raconte Amélie de la Durantaye, copropriétaire avec son conjoint, Luc Lussier, de Bleu ciel bleuets, qui possède 4200 plants de bleuets à Saint-Pie, en Montérégie. « Les fruits ont mûri avec une dizaine de jours d’avance, et on a beaucoup de monde pour l’autocueillette. »

Pour remplir des paniers de petits fruits bleus, il ne faut toutefois pas tarder dans les régions du sud du Québec, car la saison prendra fin d’ici une dizaine de jours environ. Une saison que certains producteurs préféreront oublier. « C’est pas mal la pire année depuis que j’ai repris la ferme de mon père en 2017 », se désole Raphaël Gaucher, de la bleuetière Le rêve bleu, à Saint-Damase, pourtant tout près de Saint-Pie.

« Le froid hivernal a endommagé les bourgeons de beaucoup de mes variétés, poursuit celui qui exploite 9000 plants. Je ne vendrai pas de bleuets en épicerie cet été. Pour l’autocueillette, ç’a été un peu moins mauvais... »

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Amélie de la Durantaye, copropriétaire avec son conjoint, Luc Lussier, de Bleu ciel bleuets

Un peu plus à l’ouest, à Saint-Jacques-le-Mineur, la récolte a été si peu abondante à la bleuetière Édouard VII que Manon Landry a décidé, à regret, de ne pas ouvrir aux cueilleurs. « C’est la première fois que ça arrive », dit celle dont la plantation a maintenant 17 ans. « En plus du froid, on a manqué de bourdons pour la pollinisation. On a perdu à peu près 70 % de notre petite production. »

« On a moins de fruits, mais ils sont gros, la qualité est très belle », observe de son côté Benoit Coulombe, propriétaire de la ferme bio Giroflée, qui compte 6000 plants à Hemmingford.

C’est une année atypique, nos bleuets mûrissent tous en même temps, même ceux qui devaient être prêts pour une récolte le 20 août !

Benoit Coulombe, propriétaire de la ferme bio Giroflée

En Montérégie comme en Estrie et en Chaudière-Appalaches, surtout, les fermes cultivent des bleuets en corymbe. Ces fruits, de trois à cinq fois plus gros que les bleuets sauvages, poussent dans des arbustes hauts de 1,8 m, une « culture qui s’apparente davantage à celle d’un verger », précise le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Et qui connaît un certain essor, avec 525 producteurs en 2021, en hausse de 12 % sur cinq ans.

Au tour du bleuet sauvage

Or, le bleuet « géant » (comme il est souvent surnommé) reste très marginal par rapport au bleuet sauvage. En moyenne, le Québec a produit au cours des dernières années autour de 2,5 millions de livres de bleuets de corymbe, comparativement à 60 millions de livres de bleuets sauvages, qui poussent en talles, près du sol.

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Le froid hivernal a été dur pour les plants, mais la chaleur revient en force.

Au Québec, à peu près 80 % de la production de bleuets sauvages se fait au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où la récolte s’amorce ces jours-ci. Et elle s’annonce excellente.

« Passablement de pluie, un peu de soleil : on a eu cette année des conditions très bonnes pour le bleuet sauvage », dit Pierre-Luc Gaudreault, directeur général du Syndicat des producteurs de bleuets du Québec (SPBQ), qui compte quelque 275 membres producteurs.

Si rien ne vient gâcher la fête d’ici la mi-septembre, le SPBQ s’attend à une récolte d’autour de 100 millions de livres de bleuets, pas loin du record de 112 millions de livres de 2016. « Du volume, avec un prix intéressant en plus, c’est une bonne nouvelle pour les producteurs », ajoute M. Gaudreault. En particulier dans la foulée d’une année difficile en 2021, avec seulement 30 millions de livres.

À peine entre 2 % et 4 % de tous ces bleuets seront consommés frais, le reste sera congelé pour être vendu, puis transformé, surtout à l’étranger. « Environ 70 % de la production s’en va à l’exportation, notamment aux États-Unis, mais aussi au Japon », estime le directeur général du SPBQ. Le bleuet sauvage jouit d’une excellente réputation, notamment parce que 98 % de la production se fait sans intrants dans l’année de la récolte.

Une longue tradition

De mémoire humaine, il y a toujours eu des bleuets sur le territoire québécois. Les autochtones en faisaient une pâte qui se conservait tout l’hiver. Le fruit était aussi séché au soleil pour être ensuite utilisé pendant la saison froide, une pratique rapidement adoptée par les colons français.

Un incendie de forêt dévastateur en 1870 a joué un rôle important dans l’histoire du bleuet au Saguenay–Lac-Saint-Jean, car le petit fruit pousse bien dans les brûlis.

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Les bleuets sont intimement liés au Saguenay–Lac-Saint-Jean, mais on en retrouve beaucoup ailleurs.

« Il semblerait que c’est grâce au Grand Feu que les bleuets sont devenus un produit identitaire et une activité économique majeure pour la région », résume Nellie Fillion-Bois, ancienne employée du MAPAQ, dans Histoires de gourmands, des mémorialistes Rose-Hélène Coulombe et Michel Jutras.

« Dans mon livre à moi, le bleuet est un produit identitaire pour tout le Québec », estime Rose-Hélène Coulombe. En milieu rural, elle rappelle que tous les enfants se faisaient donner une petite chaudière pour aller ramasser des bleuets. « Petite fille, je haïssais ça, mais ça faisait partie de nos réalités », dit-elle en rigolant.

Certains utilisaient les bleuets pour en faire de l’alcool, comme la « bagosse » des Îles-de-la-Madeleine, d’autres les faisaient macérer comme les cerises ou encore se servaient de fruits séchés dans la cuisson des viandes de gibier. Mais dans la plupart des familles, les bleuets entraient surtout dans la composition de desserts : tartes, gâteaux et poudings. « Ma mère nous préparait un gâteau blanc aux bleuets et elle servait ça avec une sauce semi-liquide à la vanille, c’était assez débile », se souvient Rose-Hélène Coulombe.

Vite, aux bleuets !

4 $/lb

Le prix des bleuets à l’autocueillette varie d’un endroit à l’autre, mais il se situe généralement entre 3,50 $ et 4,50 $ la livre dans le sud du Québec. Du côté de chez Bleu ciel bleuets, les cueilleurs paient 25 $ pour un panier de 4 L à remplir… à ras bord ! Pour 4 L de bleuets bios, la ferme Giroflée demande quant à elle 28 $ en autocueillette.

Pouding vapeur aux bleuets

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Le pouding vapeur aux bleuets est délicieux nature… ou avec de la crème glacée.

Le pouding aux bleuets est un grand classique des desserts des campagnes québécoises. Chaque famille ou presque a sa recette, avec son lot de particularités. En général, il était préparé dans un plat rond, explique la mémorialiste Rose-Hélène Coulombe, qui est aujourd’hui vice-présidente de la Société d’histoire de Saint-Romuald, à Lévis. La recette que nous vous proposons est inspirée de celle de la grand-mère maternelle de Monique Parent, trésorière de l’organisation.

Jusqu’au siècle dernier, la cuisine se faisait souvent de mémoire, avec des mesures approximatives. La version ci-dessous, avec des quantités plus précises, a été cuite dans un bain-marie, mais à découvert, ce qui lui donne un air de parenté avec les cobblers, des desserts américains aussi populaires au Québec. Une cuisson sous couvert donnera un gâteau plus pâle et plus moelleux.

Ingrédients

  • 2 tasses de farine
  • 2 c. à thé de levure chimique (poudre à pâte)
  • 1 pincée de sel
  • 1/2 lb de beurre froid coupé en cubes
  • 1/2 tasse de lait
  • 2 tasses de bleuets
  • 1/4 de tasse de sucre ou de cassonade

Préparation

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Cuit à découvert dans un bain-marie, le pouding vapeur ressemble à un cobbler, avec une pâte plus croustillante en surface, et plus moelleuse au fond du moule.

  1. Préchauffer le four à 200 °C (400 °F). Placer un linge propre au fond d’un grand plat qui va au four, qui servira de bain-marie. Beurrer un moule à pain en métal d’environ 25 cm sur 12 cm. Un moule à gâteau rond de 20 cm de diamètre fera aussi l’affaire.
  2. Combiner la farine, la levure, le sel, le beurre et le lait dans un bol pour former une pâte. Ne pas trop mélanger, de manière à avoir encore des morceaux de beurre de la taille d’un pois dans la pâte.
  3. Rouler la pâte jusqu’à ce qu’elle soit à peu près deux fois grande comme le moule à pain. Placer dans le moule.
  4. Verser la moitié des bleuets sur la pâte, puis le sucre, puis l’autre moitié des fruits. Rabattre la pâte sur les fruits.
  5. Placer le moule au centre du plat dans lequel se trouve un linge et verser de l’eau bouillante dans le plat (autour du moule) jusqu’à ce que l’eau atteigne la mi-hauteur du moule.
  6. Cuire pendant environ 2 h 30 min. Une cuisson à découvert donnera une texture plus croustillante. Si le moule est couvert, de papier d’aluminium par exemple, la texture sera plus moelleuse. Ajouter un peu d’eau au besoin en cours de cuisson pour que son niveau se maintienne dans le bain-marie.
  7. Laisser refroidir pendant 30 minutes. Savourer nature, avec de la crème ou de la crème glacée.