Les milieux de la restauration et de l’agriculture gourmande sont remplis d’histoires, de réflexions, de solutions. Une fois par mois, nous donnons la parole à ceux et celles qui font la richesse et la diversité des métiers de bouche du Québec.

Cette semaine, Patrice Demers et sa partenaire Marie-Josée Beaudoin ont surpris beaucoup de monde en annonçant la fermeture prochaine de leur entreprise Patrice Pâtissier, qui connaît pourtant une popularité fulgurante. Le pâtissier se confie sur sa vision de la profession, son parcours, ses ambitions.

Premier service

« Cela m’a pris quelques années avant de savoir que j’allais juste faire de la pâtisserie. Au début, la cuisine m’intéressait davantage. Les premières années, je faisais vraiment les deux. À un moment donné, quand je travaillais Chez L’Épicier, il n’y avait plus de pâtissier, alors j’ai commencé à faire ça à temps plein. Je voyais que j’avais à apprendre, qu’il y avait des choses que je ne connaissais pas, donc je l’ai pris comme un défi, j’ai fait de la recherche. Avec le recul, je pense que mon tempérament est plus celui d’un pâtissier — il faut être très organisé et méthodique —, même si je me suis toujours senti près des cuisiniers. »

Il y avait une ouverture vers une pâtisserie moins traditionnelle que je voyais aux États-Unis, en Europe, mais pas ici. Un chef que j’ai beaucoup admiré, c’est l’Américain Charlie Trotter. Il a été un des premiers chefs cuisiniers à publier un livre de desserts. On était loin du dessert architectural, avec des desserts cuisinés, avec plein de fruits de saison, des légumes, des assaisonnements. Ça m’a beaucoup parlé.

Patrice Demers

« J’ai eu la chance de travailler avec des chefs cuisiniers qui appréciaient et avaient de bonnes connaissances en pâtisserie. Stelio [Perombelon] est un des meilleurs exemples, notre collaboration a quand même été assez longue ; elle a commencé au Leméac et s’est poursuivie aux Chèvres. On a rapidement développé une amitié, Stelio est un très bon pâtissier, avec beaucoup de connaissances, donc on échangeait sans arrêt.

« Ça comblait pour moi ce manque, car dans ma carrière, je n’ai jamais travaillé avec un pâtissier. J’en suis quand même fier, car c’est rare que dans mon métier, quelqu’un sorte de l’école et ne travaille jamais avec un pâtissier, un mentor. Mes mentors ont plutôt été des chefs cuisiniers. Les livres ont comblé mon manque de connaissances… et des heures de recherches sur l’internet ! [rires]

  • Le Vert, un des desserts les plus connus de Patrice Demers

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Le Vert, un des desserts les plus connus de Patrice Demers

  • À l’époque, Le Vert avait même été remarqué par Massimo Bottura.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    À l’époque, Le Vert avait même été remarqué par Massimo Bottura.

  • Pommes vertes, pistaches, huile d’olive : les éléments clés du dessert emblématique de Patrice Demers

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    Pommes vertes, pistaches, huile d’olive : les éléments clés du dessert emblématique de Patrice Demers

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« Mon dessert qui a fait le plus parler, c’est Le Vert, je l’ai d’abord servi au Newtown, puis aux 400 Coups. Je ne suis pas tanné de le faire, mais je ne sais pas si aujourd’hui, en 2022, je créerais un dessert avec de la pomme verte, de l’huile d’olive et de la pistache, alors que j’essaie d’avoir le plus possible de produits locaux dans mes créations… Mais j’en suis très fier, il a été important dans mon parcours et côté gustatif, il me ressemble encore beaucoup. Il correspond encore à ma façon de voir la pâtisserie.

« C’est récent qu’on parle de “désucrer” les desserts. Mon idée n’a jamais été d’enlever le sucre pour un côté santé, c’est vraiment par goût. Je n’aime pas quand c’est trop sucré. J’aime quand le dessert n’est pas monotone, quand ce n’est pas la même chose du début à la fin. J’aime l’acidité, du sel, des variations de textures, le travail sur le plan du goût, des amertumes.

« C’est grâce à Omnivore que mon nom est parvenu aux oreilles de Ladurée, car ils cherchaient un chef pâtissier canadien pour leur collection de bûches de Noël. Quand j’ai reçu leur courriel, je pensais que c’était une blague ! Je devais aller au Omnivore Paris en avril, ils sont venus assister à ma démonstration et le lendemain, j’allais visiter le laboratoire de production. En reprenant l’avion vers Montréal, je leur envoyais déjà des idées pour des bûches, des macarons. Les délais étaient très courts, car c’était offert partout à travers le monde. C’était une belle expérience qui a demandé beaucoup de travail. »

Deuxième service

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Patrice Demers derrière le comptoir de Patrice Pâtissier

« J’aime le coup de feu de la cuisine. En boutique, j’ai moins de liberté. Les premières années, j’ai trouvé ça vraiment difficile. Je créais un dessert, parfois c’était quand même très bien, mais je n’étais pas satisfait : ça faisait trop français, ce n’était pas moi !

« Au début, on ne remboursait pas notre prêt très vite, et l’argent qu’on avait investi, encore moins ! Dans les premières années, on s’est mis à imaginer qu’on ne récupérerait jamais notre investissement personnel. On essayait d’en faire trop : le bar à vin, les lunchs, le traiteur. Augmenter le volume des desserts, c’est ce qui a tout changé. Au début, on était sold out à deux heures de l’après-midi les samedis ! Ça s’est mis à aller mieux et, avec la pandémie, on a finalement réussi à rembourser notre prêt et à nous rembourser également.

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Le fameux chou à la crème de Patrice Pâtissier

« On y pensait depuis l’automne, mais c’est vraiment en décembre qu’on a décidé que ce serait notre dernier Noël. Financièrement, c’est le fun, mais la logistique du temps des Fêtes, les bûches, le stress, la gestion des employés… Ce n’est pas si agréable. Cette année, en 24 heures, on avait vendu 850 bûches sur 1000. C’est un beau problème ; on est chanceux, privilégiés d’avoir cette popularité, mais il faut aussi gérer les clients insatisfaits. »

Un restaurant qui est complet, tout le monde comprend. Mais ici, les clients n’ont aucune idée du volume qu’on fait, des étapes pour réaliser chaque dessert. Il y a les chaînes qui nous ont habitués à avoir des gâteaux à longueur de journée ; ils sortent ça du congélateur, les comptoirs sont tout le temps pleins. Ça crée cette impression que c’est facile de produire, que ça sort tout seul comme dans une usine.

Patrice Demers

« On n’avait pas le goût d’agrandir, ni d’en ouvrir d’autres… On a reçu plein d’offres pour ouvrir des Patrice Pâtissier à Québec, à Toronto, sur la Rive-Sud… Mais Marie-Josée pourrait en témoigner : je suis tellement control freak que ce serait impensable ! Je n’aurais aucun plaisir à faire ça, à voir mes desserts sortir ailleurs dans un endroit que je ne peux pas superviser.

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Patrice Demers prépare un dessert dans la cuisine de Patrice Pâtissier.

« Je suis vraiment content de l’avoir fait, j’ai l’impression qu’en huit ans, mon niveau technique est rendu tellement plus loin. Le fait de faire ce volume-là avec la qualité qu’on offre au client m’a amené à un niveau que je n’aurais jamais imaginé. »

Troisième service

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Le kouign-amann, incontournable du comptoir Patrice Pâtissier

« C’est ce désir d’entretenir encore ma passion qui motive aussi notre décision. Je sentais que continuer encore ici, il y a ce côté routinier dans la boutique qui me contraint un peu… Les kouing-amanns, je ne peux pas les enlever, je suis obligé d’en faire tous les jours, et 200 le samedi. Il y a des choses comme ça dont je vais pouvoir décrocher. »

J’ai plein de projets de pop-up, d’évènements, de voyage. Cette année, j’ai enseigné à temps très partiel aux étudiants de l’ITHQ, j’ai beaucoup aimé cela. Donner des ateliers aux professionnels, c’est quelque chose qui me passionne beaucoup aussi. À la fin juin, je vais enseigner à New York durant trois jours ma vision de la pâtisserie à des pâtissiers qui viennent de partout aux États-Unis et même de l’extérieur. J’adore ça et j’espère pouvoir en faire plus.

Patrice Demers

« Dans ma tête, il y a deux compartiments : le côté création de desserts à l’assiette, et le côté boutique. Depuis qu’on a ouvert la boutique, et surtout depuis qu’on a arrêté la partie bar à vin, c’est comme si j’avais mis un x sur le dessert à l’assiette. C’est drôle, depuis qu’on a amorcé la réflexion autour de la fermeture de la boutique, c’est comme si j’avais rouvert une porte. J’ai créé un dossier “Desserts à l’assiette” sur mon ordinateur, qui n’était plus là depuis longtemps, et j’ai plein d’idées, c’est épeurant !

Créations de Patrice Demers
  • Croustillant et gâteau moelleux aux pacanes, gelée de pommes et canneberges, chantilly au chocolat Opalys infusée aux champignons et pommes pochées au jus de canneberge

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    Croustillant et gâteau moelleux aux pacanes, gelée de pommes et canneberges, chantilly au chocolat Opalys infusée aux champignons et pommes pochées au jus de canneberge

  • Une création végétalienne : gâteau moelleux au chocolat, sablé au chocolat, crémeux au chocolat Amatika, compote de prunes, praliné maison aux noisettes

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    Une création végétalienne : gâteau moelleux au chocolat, sablé au chocolat, crémeux au chocolat Amatika, compote de prunes, praliné maison aux noisettes

  • Un classique de chez Patrice Pâtissier : tartelette aux agrumes, amandes et chantilly à l’estragon

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    Un classique de chez Patrice Pâtissier : tartelette aux agrumes, amandes et chantilly à l’estragon

  • Une récente création du pâtissier : tartelette avec crémeux et gâteau moelleux au sésame noir, gelée d’argousier et chantilly à la vanille

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    Une récente création du pâtissier : tartelette avec crémeux et gâteau moelleux au sésame noir, gelée d’argousier et chantilly à la vanille

  • Gâteau étagé pêches et pistaches, avec groseilles et framboises

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    Gâteau étagé pêches et pistaches, avec groseilles et framboises

  • Mousse praliné, gâteau moelleux aux noisettes rôties, croustillant aux noisettes, gelée de clémentines, chantilly à la vanille, kumquats, écorces d’oranges confites

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    Mousse praliné, gâteau moelleux aux noisettes rôties, croustillant aux noisettes, gelée de clémentines, chantilly à la vanille, kumquats, écorces d’oranges confites

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« Mon côté cuisinier fait que j’aime ce côté exploratoire, tester de nouveaux ingrédients, les travailler de différentes façons. Quand je découvre un nouvel ingrédient, ou un ingrédient que je connais, mais que j’ai peu travaillé, c’est très motivant. C’est ouvrir une piste qui mène vers de plus en plus de possibilités. Par exemple, dans les prochaines années, j’aimerais travailler d’autres types de farines, c’est quelque chose qui m’intéresse énormément.

« J’aime me mettre en danger, j’aime l’inconnu. La pâtisserie végétalienne, à l’époque des 400 Coups, j’avais quand même commencé à l’explorer. Mais de faire quelque chose de très raffiné, dans un contexte de boutique, de desserts à emporter, c’est vraiment différent ; un dessert à l’assiette, tu peux davantage improviser. Je pense que je n’ai jamais fait autant de tests de ma vie sur des recettes pour qu’à l’aveugle — car c’est ça, mon barème — tu ne puisses pas savoir si c’est végétalien ou pas.

« En ce moment, la pâtisserie 100 % végétale qu’on a, je n’ai pas honte de la faire goûter à n’importe qui. Même quand on a des pâtissiers des États-Unis ou de la France qui viennent nous visiter, c’est une des premières choses que je leur fais goûter. J’en suis assez fier pour ça.

« C’est ce que je veux continuer à explorer, il y a beaucoup d’avenir là-dedans, on ne se le cachera pas. Je ne dis pas que tout le monde va devenir végétalien, mais tous regardent leur consommation de protéines animales, on n’a pas le choix. Il faut réfléchir à la manière dont on consomme. Beaucoup de pâtissiers, ça leur fait peur. Mais moi, au contraire, ça me motive ! »

Patrice Demers
Patrice Pâtissier
Dans la Petite-Bourgogne

Consultez le site de Patrice Pâtissier