(Paris) Révolution silencieuse en cours dans les fournils : longtemps cantonnées à la caisse enregistreuse, les femmes mettent de plus en plus la main à la pâte dans les boulangeries françaises, allant jusqu’à damer le pion des hommes dans les concours d’excellence.

Si le dernier concours du meilleur jeune boulanger de France a sacré un jeune homme, deux jeunes femmes complétaient le podium : tous trois seront mis à l’honneur dimanche, lors du dîner de gala du Salon professionnel Europain, qui se tient du 11 au 14 janvier à la porte de Versailles à Paris.

« Moi, ce que j’aime bien, c’est façonner très légèrement, c’est-à-dire que je serre très peu mes pâtons (morceaux de pâte, NDLR), je fais un pli comme ça et après je roule, alors que je vois beaucoup d’hommes serrer très fort et à mon sens parfois brutaliser la pâte » : Aurélie Ribay est boulangère depuis deux ans à peine, dans le 10e arrondissement de Paris, mais elle revendique déjà sa touche.

Elle donne forme à ses baguettes, avant de les enfourner, alors que le magasin qui porte son nom en devanture, embaume les senteurs de grains de petit épeautre, en pleine torréfaction, avant la confection de pains spéciaux.

À 48 ans, Aurélie a connu une autre vie, avant de pétrir. Pendant 25 ans, elle a travaillé dans le secteur bancaire.

« Je souffre, mais je sais pourquoi, maintenant. Avant, je ne savais pas », dit celle qui démarre entre 6 h et 7 h le matin, pour terminer à 21 h le soir, « les bons jours », explique-t-elle, entre deux saluts à des clients.

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Un pain de la boulangère Aurelie Ribay

Même parcours de reconversion, à l’autre bout de la France, pour la boulangère marseillaise Nicolle Baghdiguian-Wéber, 58 ans, après 30 ans à la Chambre de commerce de la ville.

Diplômée de psychologie et d’économie, elle a ouvert en centre-ville sa boulangerie 100 % bio, Pain Salvator il y a un an, après une formation à l’École internationale de boulangerie de Noyers-sur-Jabron (Alpes-de-Haute-Provence), pour faire ce qu’elle avait « vraiment envie de faire » : créer sa boîte dans un « domaine dans lequel elle se sentait le mieux, le pain ».

« Marathoniens en short »

Ces deux femmes illustrent le profil dominant de la boulangère, majoritairement convertie sur le tard aux joies du levain.

« Il y a plus de femmes qu’avant », confirme à l’AFP la prestigieuse école hôtelière parisienne, Ferrandi.

La situation est toutefois très contrastée, selon les diplômes : si le CAP de boulangerie post-collège n’a attiré en 2019 que 5 % de femmes, le CAP de reconversion pour les adultes a attiré dans le même temps quelque 45 % de femmes.

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Aurelie Ribay au travail

« On a aussi un bac pro boulangerie-pâtisserie, où, pour le coup, on a 61 % de filles. C’est un chiffre qui a évolué », ajoute l’école, une tendance que confirme l’École de boulangerie de Paris (EBP), sans toutefois donner de chiffres.

Si le métier reste encore assez physique, Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, estime que « le problème était plutôt dans l’état d’esprit ».

« Tout ça s’est amélioré et c’est vrai qu’un boulanger, maintenant, ce n’est plus comme avant, où c’était les gros marathoniens en short », explique-t-il, estimant qu’« on avait du mal à imaginer une fille dans ce monde de brutes ».

Questionnée sur la plus grande présence des femmes en reconversion qu’en parcours post-collège, Mme Baghdiguian-Wéber pointe des « stéréotypes de la société. À une jeune fille, on va lui dire de faire secrétaire, infirmière et à un garçon boulanger, cuisinier », regrette-t-elle.

« Même si je devais finir sur les genoux, c’est le meilleur choix que j’ai fait », souligne-t-elle les mains plongées dans la pâte à pain. « On ne sort pas milliardaire, on n’a pas plus de vacances, mais on fait ce qu’on a envie de faire », se réjouit la commerçante.

Seul point noir à cette reconversion qu’elle tient à souligner, « le manque de soutien des banques et des institutions. Aucune banque n’a voulu me soutenir : sans doute, car j’avais passé la cinquantaine et que j’étais une femme », déplore la boulangère qui a créé son entreprise uniquement avec ses « économies ».