Les menaces qui se multiplient en ligne auprès des élus, en plein contexte électoral, appellent à une sérieuse « conversation collective » sur ce qu’est la politique, plaident des experts, qui craignent les dérives d’une telle situation si rien n’est fait. À tout prix, plaident-ils, le Québec doit maintenant orienter le débat sur le dialogue, et les solutions à apporter.

Prise de conscience nécessaire

« Je pense qu’il y a une prise de conscience commune, une conversation collective, à avoir par rapport à cette réalité-là. Ce n’est pas la première fois qu’on prend conscience dans les dernières années des difficultés auxquelles sont confrontés les élus, et les femmes en politique en particulier. Dès 2019, Christine Labrie l’avait soulevé au parlement. Et ça, c’était avant la pandémie », rappelle le directeur et chercheur principal du Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval, Thierry Giasson. Sur les réseaux sociaux, le premier ministre François Legault a lancé jeudi un appel au calme, implorant les citoyens de ne pas « attiser la colère ». Mercredi, la libérale Marwah Rizqy avait révélé avoir été victime de menaces de mort. Puis, jeudi, le candidat de la CAQ Sylvain Lévesque a porté plainte à la police après qu’un photomontage montrant une de ses pancartes électorales couverte de sang a été publié en ligne.

Attentes envers les élus

Mais pour M. Giasson, faire disparaître ce climat passe d’abord passe une vraie discussion sur les solutions à envisager. « Ça va prendre une éducation à la citoyenneté, aux médias sociaux, à la vie collective, qu’on ne fait pas du tout chez nous. Il faut aussi qu’on réfléchisse aux attentes qu’on a envers nos élus, qui sont peut-être démesurées par rapport à leurs capacités », évoque-t-il. « De la manière dont on parle du parlementarisme dans notre société, il y a probablement aussi quelque chose à changer », poursuit M. Giasson, selon qui les médias sociaux ont « un rôle à jouer » dans la multiplication de la haine, mais ne sont pas les seuls responsables. « Cette réalité-là, elle existait tout de même avant leur arrivée. Ce n’est pas que lié à ça. »

Débat insuffisant pour le moment

Certes, le contexte pandémique a probablement « exacerbé ou ouvert une parole violente », mais celle-ci « était déjà présente avant », rappelle Thierry Giasson. « Ça montre qu’on n’a pas un débat suffisant sur ce problème qui existe depuis de nombreuses années », fait-il remarquer. Professeur au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal, Bernard Motulsky abonde dans le même sens. « On ne peut pas cacher ces gestes-là, mais en même temps, il est vrai que plus on en parle, plus on peut générer de l’insécurité, et donner des idées à certaines personnes. Tout dépend de la façon dont on en parle. Ça prend des solutions », dit-il.

Contexte partisan et inopportun

« S’il y a un enjeu de sécurité, il faut qu’on le dise clairement, et qu’on discute des solutions. Mais pour cela, ça prend un vrai débat, afin qu’il y ait une vraie recherche de solutions. Là, pendant une campagne électorale, c’est à peu près impossible de penser qu’un enjeu peut rester non partisan. On verra donc après la campagne », poursuit M. Motulsky à ce sujet. « La conséquence de tout ça, clairement, c’est que pour le prochain gouvernement, la haine en ligne sera un des enjeux en haut de la pile », conclut le spécialiste, en rappelant que les « impacts collatéraux » de la haine sont multiples, tant dans la vie d’un élu que dans celle d’un citoyen.