L’une des règles les plus élémentaires de mathématiques, la règle de trois, ne s’est pas appliquée, lundi soir, lors du dévoilement des résultats électoraux. La Coalition avenir Québec (CAQ) a obtenu 41 % des votes, mais 72 % des sièges à l’Assemblée nationale. À l’inverse, les conservateurs ont récolté 13 % des votes, mais n’ont fait élire aucun député. Un scrutin proportionnel aurait-il tout réglé ? Voici ce qu’en pensent des experts consultés par La Presse.

LE sujet de l’heure

Pourquoi la réforme du mode de scrutin fait-elle autant jaser ? « C’est évident que la différence entre le résultat en pourcentage de votes pour chaque parti et le pourcentage de sièges est tellement grande que c’est impossible de ne pas l’avoir remarquée », souligne Henry Milner, membre de la Chaire de recherche de l’Université de Montréal en études électorales. À son avis, cette distorsion n’a jamais été aussi frappante au Québec. Les chefs de Québec solidaire (QS), du Parti québécois (PQ) et du Parti conservateur du Québec (PCQ) ont d’ailleurs tous déploré cette « distorsion » entre leur nombre de sièges et leur pourcentage de vote, lundi soir.

Que fera Legault ?

Lors de son premier mandat, François Legault avait pourtant déposé le projet de loi 39 établissant un nouveau mode de scrutin semblable à celui de l’Allemagne. L’idée d’une réforme avait toutefois été abandonnée quelques mois plus tard. « Je me suis engagé à ne pas ouvrir le débat sur le mode de scrutin et je vais respecter mon engagement », a-t-il réitéré mardi lors d’une conférence de presse postélectorale. Pourtant, sa nouvelle députée Kateri Champagne Jourdain semblait croire que le dossier de la réforme avancerait positivement sous la CAQ, lors d’une entrevue à LCN, mardi.

Le Québec mûr pour une réforme ?

On parle plus que jamais du mode de scrutin, mais l’idée d’une réforme date d’il y a déjà 100 ans. Est-ce que cette fois-ci sera la bonne ? « C’est le gagnant qui décide des règles du jeu et c’est un peu ça le problème. C’est lui qui a le pouvoir de modifier le mode de scrutin », explique Joanie Bouchard, professeure adjointe à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. « Techniquement, la CAQ n’a pas avantage à modifier le mode de scrutin parce qu’il faudrait qu’elle accepte de perdre des députés. »

À l’Université Concordia, la politologue Mireille Paquet abonde en ce sens. « Les résultats démontrent que c’est une revendication légitime. Ça fait longtemps qu’on en parle. Mais tant qu’un parti en position majoritaire ne sera pas intéressé à le faire, rien ne va réellement bouger », dit-elle.

Si le projet de loi 39 avait été adopté

Si le Québec avait adopté le projet de loi 39, 10 députés conservateurs auraient fait leur entrée à l’Assemblée nationale, selon un exercice effectué par Radio-Canada. La CAQ aurait 15 députés de moins, soit 75 au lieu de 90. Ce scénario hypothétique est-il réaliste ? Non, prévient la professeure Joanie Bouchard. « On ne peut pas faire un copier-coller des résultats et se demander ce qu’une proportionnelle mixte aurait changé. Certains électeurs qui votent stratégiquement se seraient comportés différemment et les partis auraient fait campagne autrement », nuance-t-elle.

Le scrutin proportionnel mixte n’est pas une solution à tout, signale également Mme Paquet. « Il y a des avantages et des désavantages à chaque mode de scrutin. Le proportionnel créerait forcément des dynamiques auxquelles les électeurs québécois ne sont pas habitués. Il y a quand même une réflexion à avoir. »

Quelques munitions

Le directeur et chercheur principal du Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval, Thierry Giasson, rappelle que les opposants au mode de scrutin actuel auront « certaines cartes » à utiliser. « Il y a des gens dans ce gouvernement, comme Martine Biron ou Bernard Drainville, qui est un ancien ministre de la Réforme des institutions démocratiques, qui ne pourront pas infirmer ce qu’ils ont dit dans le passé », illustre-t-il.

Ailleurs dans le monde

PHOTO MICHELE TANTUSSI, ARCHIVES REUTERS

Le Bundestag, l’assemblée parlementaire d’Allemagne

L’Allemagne utilise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un scrutin proportionnel mixte. Les partis politiques présentent des candidats dans chaque circonscription, mais aussi une liste de députés potentiels qui pourraient accéder au Parlement, selon l’issue du vote. Les électeurs, eux, votent deux fois sur leur bulletin de vote : pour un candidat de circonscription et pour une formation politique. « C’est une sorte de compromis pour garder un député dans chacune des circonscriptions, ce qui ne se fait pas dans tous les pays », explique M. Milner, qui milite aussi en faveur d’une réforme. La Nouvelle-Zélande et l’Écosse se sont inspirées de ce modèle dans les années 1990.

Pas que des défauts

Le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour (celui qu’on utilise actuellement) est la cible de bien des critiques, mais il a aussi des avantages. « Ça assure une stabilité. On le voit qu’au Québec et au Canada, nous n’avons pas une tradition de gouvernement de coalition parce que les partis parviennent à faire élire un assez grand nombre de députés pour former un gouvernement », explique Joanie Bouchard.

Les opposants à la réforme font aussi valoir que le Québec a besoin d’une majorité forte puisque la province fait figure de village gaulois au Canada et en Amérique du Nord, explique M. Milner. « Ma position par rapport à cet argument, c’est que dans un système plus proportionnel, les partis s’habituent à travailler ensemble », nuance-t-il.

Des publicités pour une réforme

Le Mouvement démocratie nouvelle lancera d’ailleurs une nouvelle campagne publicitaire afin de promouvoir l’idée d’une réforme du mode de scrutin, dès demain. L’organisme, dirigé par Jean-Pierre Charbonneau, plaide pour la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel mixte avec liste régionale. « Une démocratie doit être juste et donc vraiment représentative pour susciter la confiance et être un socle solide pour notre société. Or, le socle est brisé et depuis longtemps. L’élection de lundi en a fait une fois de plus la démonstration évidente », affirme l’ancien président de l’Assemblée nationale. La campagne intitulée « C’est juste pas juste » sera notamment déclinée sur un site internet.

Avec la collaboration de Vincent Larin, La Presse