(Québec) Un gros casse-tête. C’est en ces termes que trois anciens conseillers de Robert Bourassa ont résumé le premier défi auquel fait face François Legault après une réélection écrasante jamais vue depuis 1989 : former un nouveau conseil des ministres. Son dévoilement se ferait dans la semaine du 16 octobre.

Le premier ministre prononcerait son discours d’ouverture de la session parlementaire à la fin de novembre, après le Sommet de la Francophonie qui se tiendra les 19 et 20 novembre à Djerba, en Tunisie.

Lundi soir, François Legault a obtenu son deuxième mandat majoritaire consécutif avec 41 % des voix et 90 députés sur 125. C’est une première depuis Robert Bourassa en 1989 (50 % des suffrages et 92 sièges).

Jean-Claude Rivest, John Parisella et Ronald Poupart étaient aux premières loges à l’époque, quand M. Bourassa a sélectionné ceux qui allaient se retrouver autour de la table de décision.

L’exercice exige « beaucoup de doigté », insiste M. Parisella. Surtout pour éviter des crises au sein d’un caucus imposant, forcément plus difficile à gérer.

« Avant même de faire le cabinet, la première clé, c’est de trouver une personne qui s’occupe à temps plein des députés, une personne crédible. C’est la clé pour le maintien de la cohérence du groupe », affirme Jean-Claude Rivest, qui avait joué lui-même ce rôle.

À l’heure actuelle, Elyse Pépin-Laporte, directrice de la députation, et Sébastien Lauzon, adjoint exécutif du premier ministre, s’occupent des relations avec le caucus au cabinet de M. Legault.

Jean-Claude Rivest conseille à François Legault se faire « très accessible » pour les députés. « M. Bourassa attachait la plus grande importance aux députés. Il pouvait rappeler un député à 11 h le soir » pour régler un problème.

« Combien de fois j’ai été mandaté pour aller calmer x, y, z. Parce que M. Bourassa avait entendu parler qu’il y avait du monde de mauvaise humeur ! », se souvient Ronald Poupart.

L’important pour M. Legault, c’est que son conseil des ministres soit « acceptable » pour tout le caucus. « Pas accepté » par tous, précise-t-il, car il y aura des mécontents. Et ceux-là, il faudra les avoir à l’œil.

Sous Robert Bourassa, on utilisait une expression anglaise pour résumer la situation : « Il vaut mieux l’avoir à l’intérieur de la tente et qu’il pisse dehors, qu’à l’extérieur et qu’il pisse dedans. » « L’idée, c’est de régler les problèmes à l’interne et que ça ne se retrouve pas sur la place publique », explique M. Poupart, ancien directeur des communications au bureau de l’ancien premier ministre libéral.

Pour John Parisella, qui a été le chef de cabinet de M. Bourassa, « le but est d’avoir un gouvernement performant et cohésif avec un caucus qui ne se sent pas diminué ou mis de côté ».

Ce n’est pas un hasard si l’on dit que la tâche la plus difficile et délicate d’un premier ministre est la formation de son cabinet.

Gérer l’abondance

François Legault a formé une équipe de « transition » vers le second mandat, formée de Mme Pépin-Laporte et d’un proche conseiller, le directeur des politiques gouvernementales Carl Renaud. Le choix de Mme Pépin-Laporte tend à confirmer le souci de soigner le caucus dans le passage au deuxième mandat. Le directeur et la directrice adjointe de cabinet, Martin Koskinen et Claude Laflamme, sont évidemment impliqués dans toute cette opération.

François Legault peut difficilement franchir le seuil des 30 ministres. « Plus que ça, ce serait ridicule ! », lâche M. Rivest. Il en a 26 en ce moment.

Bernard Landry avait essuyé bien des critiques pour avoir nommé 32 ministres en 2002, un an avant de déclencher les élections générales. Philippe Couillard avait fait passer son cabinet de 25 à 30 ministres en 2017, un an avant le premier scrutin à date fixe de l’histoire.

« Ce n’est pas facile de gérer l’abondance » pour François Legault, qui doit faire ses choix parmi 89 députés. « Il faut tenir compte de ceux qui sont là depuis longtemps et attendent leur tour, des candidats-vedettes qui ont des espoirs de jouer un rôle et des ministres qui étaient là avant », explique John Parisella. Et c’est sans compter la parité hommes-femmes, la représentation régionale, l’âge… « Il n’y a pas un plan ou un livre qui donne les directives. Il faut que tu agisses pour le mieux-être de la population. »

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François Legault et son équipe au lancement de la campagne électorale, le 28 août

Mais tous ces critères et ces contraintes rendent les choix difficiles.

Des gens avec certaines compétences, qui ont eu des responsabilités assez importantes dans le privé, vont se réveiller avec juste le rôle de député. C’est ça aussi, le dilemme de M. Legault.

Ronald Poupart, qui a été directeur des communications au bureau de Robert Bourassa

Tous les ministres du gouvernement Legault ont été réélus. « C’est un gros problème ! », lance en riant Jean-Claude Rivest. « Sept ou huit devront sûrement céder leur place » selon lui.

Mais attention : avec les départs en fin de mandat de Danielle McCann, Nadine Girault et Marguerite Blais, les postes à l’Enseignement supérieur, aux Relations internationales et aux Aînés sont vacants. Il en va de même pour l’Immigration, puisque Jean Boulet s’est « disqualifié » du poste de ministre responsable de ce dossier en raison de ses propos erronés et inacceptables au sujet des nouveaux arrivants, comme l’a dit François Legault. Il a aussi les portefeuilles du Travail, l’Emploi et la Solidarité sociale, mais le premier ministre devra réfléchir aux répercussions de son maintien au cabinet après pareille bévue, et malgré ses excuses.

Des ministres sont par ailleurs « inamovibles », estime Jean-Claude Rivest.

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Christian Dubé devrait conserver le ministère de la Santé et des Services sociaux.

On sait déjà que François Legault maintiendra Christian Dubé à la Santé pour mettre en œuvre sa réforme. Il n’a pas parlé du sort du neurologue Lionel Carmant, mais il a évoqué l’idée de conserver trois ministres pour le secteur de la santé et des services sociaux. L’ex-PDG du CISSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal Sonia Bélanger fait partie des recrues. À suivre.

Autres indétrônables selon M. Rivest : Eric Girard (Finances) et Pierre Fitzgibbon (Économie). L’autre membre du « trio économique » dont M. Legault a vanté les mérites est Sonia LeBel.

Il l’a d’ailleurs dépeinte comme sa caution éthique au Conseil du trésor. Elle avait bien fait dans les négociations avec les employés de l’État, mais le processus de renouvellement des conventions collectives commencera cet automne ; l’enverrait-on encore à la table ?

Parité et régions

Le premier ministre entend former un conseil des ministres « dans la zone paritaire », donc composé entre 40 % et 60 % de femmes. En 2007, Jean Charest avait été le premier à avoir un cabinet comptant autant d’hommes que de femmes. François Legault y était parvenu au début de son mandat en 2018 (13 hommes et 13 femmes), mais il s’était éloigné de cette parité parfaite par la suite. On voit mal comment il pourrait ne pas l’atteindre. Il s’est d’ailleurs réjoui que les Québécois aient élu le plus grand nombre de femmes dans l’histoire. Il y a 41 femmes parmi les élus de la CAQ, 45 % du caucus.

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Geneviève Guilbault restera-t-elle vice-première ministre ?

Geneviève Guilbault peut trouver dans l’histoire des raisons d’espérer son maintien comme numéro deux : Lise Bacon a été vice-première ministre pendant deux mandats sous Robert Bourassa, de 1985 à 1994. Dans la capitale, rien n’a bougé lundi soir. Mais maintiendra-t-on trois ministres dans cette région (Mme Guilbault, Éric Caire et Jonatan Julien) ?

Il faut aussi se demander si François Legault gardera au cabinet les deux anciens adéquistes restants au caucus. Réélu avec une impressionnante majorité de 16 000 voix, François Bonnardel est un pilier ; et la situation se corse donc davantage pour Éric Caire. Celui-ci a créé à la toute fin du mandat un nouveau ministère quasi sur mesure, celui de la Cybersécurité et du Numérique. On le laisse continuer son œuvre ou on lui fait comprendre que c’est son legs ?

François Legault n’avait aucun ministre dans Chaudière-Appalaches. La situation sera assurément corrigée. En campagne électorale, il n’a pas exclu d’en nommer deux sur la Rive-Sud. Les regards se tournent évidemment vers les nouveaux venus à Lévis, Bernard Drainville et Martine Biron.

N’oublions pas que François Legault a l’intention de faire de la grande région de Québec une « deuxième métropole ».

Dans la « première » métropole, la CAQ n’a toujours que deux circonscriptions, représentées par la ministre sortante Chantal Rouleau et une nouvelle venue, Karine Boivin Roy, qui est elle aussi issue du monde municipal. À noter : François Legault a l’intention, de façon « formelle ou informelle », de s’impliquer personnellement pour « rapprocher [son] gouvernement et Montréal ».

À Laval, la CAQ passe de un à quatre députés (sur six). Il y aura assurément un ministre parmi eux, une première depuis l’arrivée au pouvoir de François Legault en 2018. Oui, Christopher Skeete s’est fait les dents comme adjoint parlementaire du premier ministre pour les relations avec les Québécois d’expression anglaise, mais Céline Haytayan, qui était responsable des affaires internationales de la multinationale Ubisoft, fait assurément partie des candidatures à considérer.

Pour la première fois, la CAQ a des élus en Gaspésie : Stéphane Ste-Croix (Gaspé), ex-directeur général de Destination Gaspé, et Catherine Blouin, conseillère en communication et chargée de projet au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Gaspésie. François Legault pourrait regrouper cette région et le Bas-Saint-Laurent où l’on compte deux femmes nouvellement élues : une employée politique, Amélie Dionne, et une ancienne mairesse, Maïté Blanchette Vézina.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE KATERI CHAMPAGNE JOURDAIN

Kateri Champagne Jourdain, nouvelle députée de Duplessis, première élue autochtone à l’Assemblée nationale

La CAQ a remporté les deux circonscriptions de la Côte-Nord et y met le pied pour la première fois. Ses députés sont l’ex-maire de Baie-Comeau Yves Montigny et la première femme autochtone élue à l’Assemblée nationale, Kateri Champagne Jourdain, qui était jusqu’à tout récemment directrice des relations avec le milieu du projet de parc éolien Apuiat. François Legault a beaucoup vanté cette dernière, et c’est un choix « incontournable », selon Jean-Claude Rivest.

Des postes moins assurés

Après quatre ans à l’Éducation, un long règne à ce poste, Jean-François Roberge n’y sera plus. Et comme il fait partie du large contingent de la CAQ dans le 450, son maintien au conseil des ministres est incertain.

Ian Lafrenière, qui a terminé les rencontres avec les 55 communautés autochtones, pilotera-t-il encore le dossier ou on recommence – encore – avec un nouvel interlocuteur ?

On se questionne sur le sort de Nathalie Roy (Culture) qui, comme M. Roberge, fait partie de la première cohorte d’élus caquistes en 2012. Sa voisine de circonscription est Suzanne Roy, ancienne présidente de l’Union des municipalités du Québec.

En Abitibi-Témiscamingue, la CAQ a remporté les trois circonscriptions. Qu’adviendra-t-il de Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs ? Daniel Bernard, conseiller municipal de Rouyn-Noranda et ancien député libéral, a battu Québec solidaire, un gain important. Que faire dans le contexte du renouvellement à venir de l’autorisation ministérielle de la Fonderie Horne au sujet de ses émissions d’arsenic ?

Compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale, le choix du leader parlementaire sera primordial, selon Jean-Claude Rivest. « Simon Jolin-Barrette a fait un bon travail, mais il est un peu sec à l’occasion. Ça prend un nice guy ou une nice woman. » Selon lui, M. Jolin-Barrette pourrait toutefois rester à la Justice en raison des litiges devant les tribunaux concernant ses lois 21 et 96. Il est toutefois en conflit avec la juge en chef de la Cour du Québec. Il ne fait aucun doute que le député de Borduas aura sa place au saint des saints.

Peu importe comment François Legault rebrasse ses cartes, Ronald Poupart se dit sûr d’une chose : « Dans la première année, il n’y aura pas de problème. Les députés vont fermer leur gueule parce qu’ils savent que c’est grâce à François Legault qu’ils sont élus, donc ça ne paraîtra pas beaucoup sur la place publique. Mais dans deux ou trois ans, vous allez le sentir que ça grenouille. »