La campagne vient de commencer, mais déjà, la sécurité autour des chefs de parti est plus visible que lors des élections précédentes. Des gilets pare-balles ont même été distribués. Une situation légitime et « nécessaire », jugent des spécialistes, au moment où les menaces contre des élus québécois et canadiens semblent plus présentes que jamais.

« On m’a présenté des vestes pare-balles. Pour le Parti québécois, c’est une question sensible, on va célébrer bientôt le 10anniversaire de l’élection de Pauline Marois, notre première première ministre », a évoqué lundi le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, rappelant par le fait même l’attentat contre Mme Marois survenu au Métropolis le soir des élections, en 2012, attentat qui a fait un mort et un blessé.

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Sécurité autour du chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, et de sa conjointe au premier jour de la campagne

Depuis le début de la campagne, il n’est pas rare d’observer au moins une douzaine de policiers et d’agents en civil autour de M. St-Pierre Plamondon lors des annonces, et ce, même si le péquiste n’a fait aucune demande à la Sûreté du Québec en ce sens.

Ils font de l’excellent travail, mais on ne se cachera pas que c’est quand même une transformation du climat politique au Québec.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

« On doit aujourd’hui se rendre à l’évidence : la menace est partout. En fait, elle est contre toute personne qui veut se présenter en politique ou qui est en politique à l’heure actuelle », résume l’ex-agent du Service canadien du renseignement de sécurité Michel Juneau-Katsuya.

Un protocole strict s’applique aussi au Parti libéral. La cheffe Dominique Anglade est accompagnée d’agents de sécurité en permanence.

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Quelques-uns des policiers qui accompagnent la cheffe libérale, Dominique Anglade

Sur la caravane caquiste, le dispositif de sécurité accompagnant François Legault est également imposant. Dimanche, à Jonquière, les policiers ont demandé à cinq femmes du collectif Mères au front de quitter le stationnement où se rassemblaient des militants. Les représentantes du groupe avaient de petites pancartes invitant les candidats à un débat sur l’environnement. Elles ont été escortées de l’autre côté de la rue.

Partout où il va, le chef caquiste est précédé d’une délégation de policiers qui patrouillent le lieu où il se rend avant son arrivée.

« M. Legault tient absolument à aller à la rencontre des Québécois. C’est le but même d’une campagne électorale. Cela dit, chaque campagne électorale apporte son lot d’imprévus », a expliqué son attaché de presse, Ewan Sauves, remerciant les autorités pour leur soutien en sécurité.

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François Legault entouré d’agents lors du lancement de la campagne de la Coalition avenir Québec, dimanche

Tous les élus visés

Pour Michel Juneau-Katsuya, cette nouvelle réalité est en grande partie attribuable à ce qu’il appelle la « dégradation du décorum démocratique », autrement dit la disparition graduelle du « respect qui existait autrefois entre les élus et la population ». « Pour moi, c’est vraiment depuis une vingtaine d’années qu’on constate ça. Mais aujourd’hui, et on l’a vu avec les camionneurs à Ottawa, ce sont tous les élus qui sont visés. Ils sont tous perçus comme des collaborateurs », poursuit-il.

L’augmentation de la sécurité autour des partis n’est donc pas « surprenante », mais elle a aussi des travers.

À peu près tous les partis rapportent avoir de la difficulté à recruter des gens en raison du climat. Les gens ne veulent pas tous se donner le trouble de recevoir des menaces de mort, d’être ciblés.

Michel Juneau-Katsuya, ex-agent du Service canadien du renseignement de sécurité

À la Sûreté du Québec (SQ), la porte-parole Catherine Bernard confirme simplement qu’une sécurité est assurée auprès des chefs. « C’est notre devoir d’être présents sur les lieux, au cas où il y aurait une infraction criminelle. En contexte électoral, on sait qu’il y a des rassemblements intérieurs, et la présence de chefs de parti », s’est limitée à dire lundi Mme Bernard, sans s’avancer davantage pour des raisons « de stratégie opérationnelle ».

Des sources policières révèlent toutefois que l’effectif policier a été « renforcé », ou du moins qu’il est « beaucoup plus visible », cette année. L’an dernier, le même phénomène avait également été observé sur la scène fédérale. « Avant, il y avait un souci que ça ne paraisse pas, notre présence. Aujourd’hui, ce n’est plus ça. On veut être visibles », confie une source sous le couvert de l’anonymat.

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Sécurité autour de Gabriel Nadeau-Dubois lors d’un rassemblement à Montréal lundi

À Québec solidaire également, la sécurité est omniprésente, du jamais-vu pour un parti de l’opposition. Lundi, à Outremont, Gabriel Nadeau-Dubois était entouré d’une dizaine de voitures de patrouille du SPVM. « J’ai constaté comme élu une augmentation importante des menaces de tout type dans les deux, trois dernières années. Quand je parle à mes collègues députés, solidaires ou non, tout le monde a constaté la même chose », a-t-il dit lundi, refusant toutefois de commenter dans le détail ses mesures de sécurité.

C’est indéniable qu’il y a en ce moment au Québec une augmentation des menaces envers les élus.

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

Le son de cloche est toutefois différent au Parti conservateur du Québec (PCQ), chez qui aucun policier n’est visible lors des évènements. « Je suis déjà allé en Irak pendant la guerre, donc ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète », avoue Éric Duhaime, qui avait travaillé dans ce pays en 2009 et 2010 pour un organisme à but non lucratif. « On n’a pas fait de demande officielle », a-t-il ajouté au sujet de la protection de la Sûreté du Québec. « Je ne sais pas ce qu’est le risque par rapport aux autres chefs, indique-t-il. Je ne sais pas si je suis moins à risque ou plus à risque. Peut-être qu’on est moins à risque que les autres ? », s’est-il demandé.

M. Duhaime invite néanmoins les artisans de sa campagne à être prudents. Lors de deux incidents distincts, des bénévoles se seraient fait menacer avec un couteau. Le dernier serait survenu dimanche dans la ville de Port-Cartier, sur la Côte-Nord. La Sûreté du Québec dit être au courant, mais attendait toujours une plainte pour faire enquête. « On invite tout le monde au calme. On peut détester nos adversaires, mais la violence n’est aucunement justifiée », a affirmé le conservateur.

Une ligne mince

Ancien expert en sécurité nationale qui a aussi travaillé au ministère de la Défense nationale en tant qu’agent de politique, le professeur à l’Université d’Ottawa Thomas Juneau est aussi d’avis qu’il est « nécessaire » d’en faire plus pour protéger les élus.

La possibilité qu’une agression physique se produise sur la voie publique, pour moi, elle est très forte. Et c’est dommage, parce que plus de sécurité veut aussi dire moins d’accès aux politiciens pour la population, ce qui contribue dans un sens au problème de confiance envers les institutions.

Thomas Juneau, ancien expert en sécurité nationale

Jusqu’ici, personne ne sait quand ce climat s’estompera, avance Thomas Juneau. Mais il émet déjà une recommandation. « Quand ça se stabilisera, il faut qu’on s’assure d’avoir des mécanismes pour retirer progressivement toute cette sécurité-là et rétablir les ponts avec la population. C’est essentiel », soutient-il.

« Ce n’est pas tous les politiciens qui y sont sensibilisés, mais personne n’est à l’abri d’avoir de mauvaises surprises. La réalité, c’est que pour avoir un meilleur système politique qui fonctionne, il faut que les élus et les candidats puissent faire leur travail », lance de son côté Claude Sarrazin, président du groupe Sirco, qui est spécialisé en protection privée.

Des élus visés

Chrystia Freeland

Deux jours avant le déclenchement de la campagne québécoise, vendredi, la vice-première ministre fédérale, Chrystia Freeland, a été victime d’une agression verbale en Alberta. Dans une vidéo diffusée en ligne, on voyait la ministre entrer dans un ascenseur au moment où un homme costaud s’approche d’elle pour lui crier des jurons et l’insulter. Dans la foulée, Justin Trudeau avait demandé aux politiciens de s’unir et de s’afficher publiquement contre le harcèlement et l’intimidation. L’an dernier, le chef libéral avait été atteint par des petites pierres, lors d’une annonce à London, en Ontario.

François Legault

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François Legault faisant le point sur la campagne de vaccination contre la COVID-19, le 16 août dernier

Le premier ministre québécois François Legault a souvent été l’objet de menaces durant la pandémie de COVID-19. Récemment, en juin, Pierre Dion, complotiste et admirateur du tueur de la mosquée de Québec, a été condamné à 30 jours de prison pour avoir menacé de faire « pendre » le premier ministre François Legault dans une vidéo sur les réseaux sociaux. Le juge avait alors vivement dénoncé les impacts du « fléau » que sont les menaces en ligne depuis la COVID-19.

Jagmeet Singh

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

En mai, alors qu’il était de passage à Peterborough, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh avait été pourchassé et copieusement insulté par certains individus. « C’était le moment le plus tendu de ma vie politique », avait-il d’ailleurs avoué à La Presse quelques jours plus tard. Des manifestants s’opposant aux règles sanitaires avaient alors interpellé M. Singh, qui sortait d’un local électoral, le suivant jusqu’à sa voiture tout en l’insultant et en lui faisant des doigts d’honneur.

Pascal Bérubé

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Pascal Bérubé

Alors qu’il était encore chef par intérim du Parti québécois, Pascal Bérubé avait porté plainte à deux reprises en 2020 à la Sûreté du Québec (SQ) contre un individu qui avait écrit sur Facebook qu’il méritait la « peine de mort » pour ses positions critiques envers les manifestants complotistes. « Pascal Bérubé, tu es pire que pire, tu vas mériter la même peine que ton mentor François Legault, crime contre l’humanité, vous êtes des criminels de guerre, c’est indiscutable = peine de mort. J’espère que justice sera rendue », avait notamment dit l’individu, en s’identifiant comme Billy Gagné.

Catherine McKenna

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Catherine McKenna

L’ex-ministre fédérale de l’Environnement Catherine McKenna a également été la cible de torrents d’insultes en ligne, qui ont finalement débordé de la sphère virtuelle. Dès 2017, elle avait attiré l’attention de la communauté internationale lorsqu’elle a dénoncé l’ancien député conservateur Gerry Ritz, qui l’avait qualifiée sur Twitter de « Climate Barbie », une insulte sexiste née d’abord sur le site d’extrême droite The Rebel. À l’aube des élections de 2019, elle avait confié avoir besoin de sécurité rapprochée en raison des menaces croissantes qui visaient dorénavant sa personne. Il n’était pas rare, disait-elle, que des hommes lui crient des injures lorsqu’elle sortait avec ses enfants à Ottawa.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque, de Charles Lecavalier, d’Hugo Pilon-Larose et de Mylène Crête, La Presse, et de La Presse Canadienne