Faire du français la langue commune, soit la langue employée normalement dans l’espace public pour communiquer entre nous, reste un objectif phare de la politique linguistique québécoise. La langue dominante dans la rue et dans les commerces envoie aussi un signal important aux nouveaux venus. Avec la langue de travail, elle déterminera largement l’avenir de l’intégration linguistique.

Cette intégration linguistique se fera normalement toute seule. Toutefois, les choses se compliquent dans le Grand Montréal, où l’anglais s’emploie autant que le français. Ce n’est pas nouveau. Cette dualité linguistique existe depuis plus de deux siècles. Ce qui a changé est la place de l’anglais dans nos vies. Au rythme où progresse la mondialisation, le temps n’est pas loin où tous les Montréalais (ou presque) comprendront l’anglais.

J’invite mes concitoyens anglo-montréalais à repenser leurs choix linguistiques dans ce monde où l’anglais est devenu quasi indispensable.

Comme héritiers de la langue universelle, les membres de la communauté anglo-montréalaise portent aujourd’hui une responsabilité particulière. Le français ne pourra devenir la langue commune, du moins à Montréal, sans son adhésion.

La dynamique linguistique (singulière) montréalaise

La montée de l’utilisation de l’anglais au travail est irréversible à Montréal comme ailleurs. Cependant, un outil de travail n’est pas une langue commune. Hors de Montréal, sauf exception, la distinction est claire. Le jeune bolé qui sort de son labo à Québec (ou à Paris), peu importe sa langue maternelle, ne pensera pas à s’adresser à un passant en anglais, même s’il utilise l’anglais une bonne partie de son temps au travail. À Québec, comme à Paris, le choix de langue publique ne se pose pas.

Pour comprendre le caractère singulier du cas montréalais, imaginons le Grand Paris avec trois millions d’anglophones, pas moins parisiens pour autant, avec leurs institutions propres et le droit, bien entendu, d’employer leur langue dans l’espace public. Mais, la langue des Anglo-Parisiens est aussi, nous le savons, la lingua franca universelle, par conséquent comprise (et de plus en plus) par les francophones. Le résultat dans notre Paris imaginaire n’est pas difficile à deviner : l’anglais s’imposera comme langue commune dominante dans de nombreux quartiers, notamment au centre.

Le lecteur aura deviné que ce Paris anglophone fictif décrit Montréal. C’est la conjonction de deux réalités – le poids démographique de la population anglophone (un million environ dans le Grand Montréal) et la nature universelle de l’anglais – qui rend sa condition exceptionnelle. Si notre minorité linguistique, même nombreuse, parlait une langue dont l’utilité se limitait à son territoire d’origine (disons, le suédois ou le tchèque), l’incitation à l’apprendre serait limitée. Or, l’apprentissage de l’anglais n’a plus grand-chose à voir avec le poids démographique de la population anglophone.

Les jeunes Québécois francophones, tout comme les jeunes Français ou les jeunes Allemands, sont de plus en plus bilingues. C’est une bonne chose, mais en contrepartie, cela réduit d’autant l’incitation des anglophones à employer le français dans l’espace public.

Sans contrepoids, l’anglais risque de plus en plus de s’imposer comme la voie de la facilité, comme aujourd’hui dans l’Union européenne, surtout chez les jeunes. Ce contrepoids ne pourra venir que de nos concitoyens anglophones.

Pourquoi les anglophones devraient-ils se soucier de l’avenir du français ?

Faire du français la langue commune des Montréalais est impossible sans que la population anglophone en fasse aussi sa langue publique. Ce sera un choix et aussi un effort : utiliser une langue apprise quand on peut plus facilement employer sa langue. C’est un choix que j’ai fait⁠1 à mon arrivée à Montréal de New York il y a déjà un bon nombre d’années. Ce qui m’amène à la question centrale : pourquoi les anglophones devraient-ils se préoccuper de l’avenir du français ?

La réponse facile est : par solidarité avec leurs concitoyens francophones. Mais les peuples agissent rarement par altruisme. Il y a aussi des raisons plus intéressées, permettez-moi de suggérer, pour lesquelles les anglophones ont tout intérêt à défendre le français.

Le français au Québec est plus qu’un moyen de communication. Il est aussi garant de ce qu’il convient d’appeler le modèle social distinct du Québec.

Le Québec n’est certes pas parfait. Mais son modèle social (impôt progressif, garderies subventionnées, cégeps gratuits…) a produit une société qui se distingue en Amérique du Nord sur plusieurs indicateurs de bien-être (espérance de vie, inégalités, bonheur…), attribut clé de son caractère distinct pas moins que la langue. Les deux sont liés.

Le principal gain potentiel serait sur le plan des perceptions ; à savoir la perception que le français est menacé, laquelle est largement partagée par la population francophone pour des raisons qui ne devraient pas nécessiter plus d’explications. Imaginez le message envoyé aux nouveaux venus et aux francophones si la majorité des Anglo-Montréalais insistaient demain pour parler désormais français dans l’espace public. Or, la politique est largement guidée par les perceptions.

1. Lisez « Making English Montreal part of the solution to protecting French » (en anglais)

L’auteur participe à la conférence gratuite Faire cause commune : la langue au Québec, qui a lieu le 4 avril.

Consultez la page de la conférence Faire cause commune : la langue au Québec Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue