Il faut mettre fin aux déductions fiscales des dépenses publicitaires sur les médias numériques étrangers

Au cours des 20 dernières années, de nombreux médias canadiens et québécois ont dû fermer lorsque leurs revenus de publicité se sont taris. Ceux-ci incluent de nombreux journaux quotidiens et hebdomadaires, des stations de radio et des canaux spécialisés sur le câble. Des réseaux de télévision ont dû réduire leurs effectifs de façon importante.

Et pourtant, les médias canadiens et québécois sont enracinés localement et sont des contributeurs essentiels à la vitalité culturelle et économique des communautés qu’ils desservent. Ils remplissent également la mission essentielle de définir notre culture et ultimement notre unité territoriale.

Cette débâcle est essentiellement due à la dynamique du dominant qui s’approprie toutes les ressources qui caractérisent l’ère numérique.

Toutefois, cela n’est pas dû à un manque de pertinence des médias locaux, comme on le verra plus loin. Contrairement à la croyance populaire, cela n’est pas inévitable. Des mesures concrètes peuvent et doivent être prises immédiatement pour renverser cette tendance inquiétante et ainsi solidifier le lien qui nous unit.

Le tableau 1 illustre la dérive des dépenses publicitaires canadiennes au cours des 20 dernières années. Celles-ci désertent les médias locaux au point où aujourd’hui, seulement 30 % des dépenses publicitaires canadiennes soutiennent les médias locaux canadiens1. Faut-il s’étonner qu’ils tombent en masse ! Le restant des 70 % des dépenses canadiennes en publicité est accaparé très majoritairement par les réseaux sociaux étrangers.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Certains ont émis l’hypothèse que les médias locaux canadiens auraient perdu leur pertinence. Pourtant, le tableau 2 confirme que la portée des médias locaux canadiens est très robuste. Donc, les Canadiens consomment les médias locaux canadiens bien plus que la répartition des dépenses publicitaires ne le suggérerait.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Au début des années 1960, le Parlement a ajouté un article à la Loi de l’impôt sur le revenu, connu sous le nom d’article 19. Celui-ci indique que lorsqu’un annonceur canadien utilise un média étranger, sa dépense n’est pas admissible comme déduction aux fins de calcul de l’impôt. C’est ce qui a permis aux industries des journaux, de la radio et de la télévision de prospérer pendant plusieurs années. Il existe toujours, mais son application n’a pas été étendue pour inclure les médias numériques étrangers.

Colmater la brèche

En mars 2018, les Amis de la radiodiffusion canadienne ont diffusé un article recommandant que l’application de l’article 19 soit étendue aux médias numériques étrangers (« Colmatons la brèche ! La déductibilité de la publicité sur l’internet »⁠2).

En août 2018, un rapport du Comité sénatorial permanent sur les transports et les communications (La déductibilité fiscale de la publicité étrangère sur l’internet au Canada3) a rejeté cette idée en alléguant que cela imposerait un fardeau fiscal indu sur les entreprises canadiennes. Cette conclusion repose manifestement sur l’hypothèse que la mesure envisagée ne produirait pas l’effet désiré, celui de rapatrier les dépenses publicitaires au Canada. Voilà une conclusion quelque peu cavalière.

Jusqu’à maintenant, la stratégie canadienne a reposé sur la création de fonds pour soutenir le journalisme et la production indépendante en tentant de contraindre, à travers le projet de loi 18, les médias numériques étrangers à négocier des droits d’auteur avec les médias locaux canadiens pour l’usage de leurs nouvelles. En réalité, ces initiatives sont seulement marginalement utiles et ne se comparent pas à la taille des revenus publicitaires qui, s’ils étaient rapatriés, redonneraient vie aux médias locaux canadiens.

Pour apporter une meilleure perspective, les 100 millions négociés avec Google ne représentent qu’un maigre 1 % des 10 milliards en dépenses publicitaires canadiennes perdus aux médias numériques étrangers.

Et de surcroît, le gouvernement canadien n’est pas en contrôle de l’issue du projet de loi 18 puisqu’il requiert le consentement des médias numériques étrangers, ce qui est à la base du chantage actuel de la part de certains acteurs des médias numériques étrangers, accélérant encore davantage la disparition des médias locaux canadiens.

La solution consiste à étendre l’application de l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu aux médias numériques étrangers, ce qu’un pays intelligent comme le nôtre aurait dû faire il y a 20 ans. L’implantation de cette mesure est entièrement sous le contrôle du gouvernement, ne requiert pas le consentement des médias numériques étrangers et est facile d’implantation.

Cet outil pourrait être utilisé de plusieurs façons. Pour commencer, la déduction fiscale des dépenses engagées pour l’achat de publicité sur les médias numériques étrangers peut être interdite. Et compte tenu de la masse disproportionnée de dollars publicitaires engagés à l’étranger, il pourra être nécessaire d’ajouter des crédits d’impôt pour l’utilisation de médias locaux canadiens.

Les médias locaux canadiens n’ont pas besoin ni ne réclament de cadeaux de la part du gouvernement canadien. Mais si nous pouvons ramener les budgets publicitaires au Canada, nous avons une chance de prospérer. Pourquoi cela importe-t-il ? Parce que si nous maintenons le cap avec la stratégie actuelle, nos artistes et nos journalistes recevront des peccadilles, mais leurs employeurs auront disparu !

1. Consultez une recherche du Centre d’études sur les médias 2. Lisez « Colmatons la brèche ! La déductibilité de la publicité sur l’internet » 3. Lisez le rapport La déductibilité fiscale de la publicité étrangère sur l’internet au Canada Lisez « Ensemble pour une meilleure reconnaissance des médias locaux » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue