Il y a quelques mois, j’ai appris l’existence d’un membre de ma famille que je ne connaissais pas. Daniel, un cousin de ma mère. C’était lors d’un party de famille élargie.

On avait jasé pas mal lui et moi. De son travail dans le département des fruits et légumes dans une épicerie de Montréal-Nord. De ses soucis de santé. De l’impossibilité de diminuer ses heures en raison de l’inflation et par crainte de la réaction de son patron. De sa peur de se faire évincer de son logement à 62 ans. Des trajectoires de vie qui se dessinent dès l’enfance.

Il y a deux semaines, j’ai appris qu’on lui avait diagnostiqué un cancer des poumons sans aucune chance de rémission. Daniel a laissé du jour au lendemain son logement pour l’hôpital. C’est mon oncle et une petite cousine qui ont vidé l’appartement. Tout est allé à l’enfouissement.

Les Fêtes approchent et, avec elles, le moment de l’année où on nous encouragera à prendre des nouvelles d’un proche ou d’un voisin âgé.

Dans les médias, les équipes de production en sont d’ailleurs à mettre la dernière touche à la programmation du temps des Fêtes. Pour les émissions quotidiennes, restent encore quelques trous à combler. Le sujet de nos aînés et de leur isolement reviendra immanquablement dans la pile. Un peu comme lors des points de presse de François Legault, durant la pandémie. Le premier ministre nous sommait régulièrement d’appeler notre grand-mère après avoir assigné à résidence toutes les personnes nées avant 1950.

C’est facile de jeter la pierre après coup, mais on commence à peine à se rendre compte à quel point cette mesure a causé du tort. Dépression, voire suicide de résidents dans les RPA où les locataires se sont retrouvés enfermés-confinés. Une corrélation dont on parle avec précaution. Sans compter l’âgisme qui a pris du galon. On pourrait penser que ça aurait provoqué l’inverse, tous ces décès en CHSLD. Un excès d’empathie. Mais non. Plusieurs personnes aînées me confient avoir gagné en frustration ce qu’ils ont perdu en estime de soi. Une dame – ou plutôt « une grande dame » – m’a expliqué choisir dorénavant sa file à l’épicerie en fonction de la caissière. « Je choisis celle qui m’infantilisera le moins. »

Augmentation de l’âgisme

Cette anecdote est d’ailleurs corroborée par d’autres anecdotes similaires dans un rapport qui vient tout juste d’être mis en ligne par le gouvernement fédéral. « Ce que nous avons entendu1 » est le fruit d’une vaste consultation pancanadienne réalisée l’an dernier sur l’âgisme et ses effets sur les aînés dans les milieux de travail ou l’accès aux soins de santé notamment. Plus des deux tiers des répondants affirment avoir constaté une augmentation de l’âgisme au Canada depuis la pandémie. On y parle aussi du fossé numérique qui ne fait que s’agrandir en excluant davantage une partie des personnes aînées. Se débrouiller dans la vie avec une ligne fixe comme seul outil de communication tient maintenant de l’absurde. Parler au téléphone est un geste anachronique.

J’ai d’ailleurs téléphoné à Daniel tantôt, après une journée de télétravail à scroller en alternance les plateformes numériques. Il avait l’air heureux. « J’suis dans un château », s’est-il réjoui, en parlant de sa nouvelle chambre depuis quelques jours dans une maison de soins palliatifs. « Je peux appeler Vincent et me faire livrer des hot dogs si je veux, j’suis bien mieux qu’à l’hôpital. »

— C’est qui, Vincent, un de tes amis ?

— Hehe, non. C’t’un resto pas loin d’ici. « Vincent sous-marins », que ça s’appelle.

— Penses-tu que tu seras encore avec nous en janvier ? Je passerai te voir quand je serai à Montréal. Je ramènerai de quoi du casse-croûte si tu veux.

— Je pense ben que oui. T’es la bienvenue.

C’est Nowel. Osez prendre le téléphone. Je vous garantis que vous raccrocherez le combiné grandis.

1. Lisez « Âgisme, médias et médias sociaux »