Chaque jeudi, nous abordons un évènement marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’UQAM

Le carnage auquel nous assistons depuis le 7 octobre est une preuve supplémentaire de la centralité du conflit israélo-palestinien, qu’il est vain d’ignorer. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président Joe Biden, déclarait, quelques jours auparavant, que depuis une vingtaine d’années, le Moyen-Orient n’avait jamais été aussi calme. Cet aveuglement procède d’une vision selon laquelle une solution militaire au conflit était possible et l’effondrement du processus de paix lancé dans les années 1990 n’allait pas engendrer des conséquences dramatiques.

Les accords d’Oslo conclus en 1993 par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien n’étaient pas parfaits. Leur principal défaut fut d’avoir reporté des questions cruciales comme la création d’un État palestinien, le statut de Jérusalem et le retour des réfugiés. D’autres points nécessaires à la paix, comme l’annulation de nouveaux projets de colonies israéliennes sur les territoires occupés, ont été ignorés. Les négociateurs pensaient que les accords signés allaient créer une dynamique de paix qui, avec le temps, rendrait ces questions plus faciles à traiter. La création de l’Autorité palestinienne prêtait par ailleurs à confusion. S’agissait-il du noyau d’un futur État palestinien comme l’espéraient les Palestiniens et le camp de la paix israélien ? Ou cette entité gouvernementale jouait-elle plutôt le rôle de simple sous-traitant de l’occupation israélienne, comme le soutenait le Hamas et l’ont toujours voulu les opposants israéliens à Oslo ?

La valeur du processus de paix demeure indéniable. Elle se situe précisément dans la logique de la modération et du pragmatisme qui l’a sous-tendu. La modération signifie ici une conscience aiguë des limites de la violence et de la guerre.

Face à un État doté de l’arme nucléaire et soutenu par la plus grande puissance du monde et ses alliés ainsi qu’à l’absence de soutien militaire des pays de la région, l’OLP et Yasser Arafat lui-même ont admis que la meilleure chance de rétablir la souveraineté palestinienne était de récupérer les territoires occupés en 1967 par la négociation. De son côté, le gouvernement travailliste israélien de Yitzhak Rabin a compris que l’usage de la force permettait de poursuivre la politique de colonisation, mais pas de faire disparaître le conflit. En effet, ce conflit a une dimension démographique qui ne peut être ignorée, et le recours systématique à la force signifie soit le nettoyage ethnique, soit l’apartheid. Les deux parties ont donc préconisé une action pragmatique. Il faut cependant ajouter que le président George Bush père a aussi contribué à donner une impulsion à ce processus de paix. Il penchait, depuis longtemps, vers une paix négociée et fut le seul président américain à ne pas avoir laissé d’autre option à Israël que celle de la négociation.

Comme en témoignent les actes de violence qui ont accompagné le processus de paix – assassinat de Rabin, attentat meurtrier contre une mosquée à Hébron, attentat tout aussi meurtrier contre une pizzeria à Natanya, etc. –, d’autres forces politiques voyaient les choses autrement. Leur vision inversait, voire abandonnait, la logique de la modération et laissait tomber avec elle le processus de paix en entier. S’appuyant sur les imperfections réelles des accords d’Oslo, le Hamas pensait pouvoir obtenir, par la violence, beaucoup plus que ce que l’OLP allait gagner par la négociation. L’opposition israélienne de droite, avec Benyamin Nétanyahou à sa tête et l’extrême droite et la droite religieuse comme alliées, s’est à son tour violemment opposée au processus de paix. Sa solution de rechange à l’idée de « terre contre la paix », fondement d’Oslo, était celle de « la terre et la paix » pour Israël sans négociation, et ce, à travers trois éléments : la violence systématique contre les Palestiniens, la colonisation des territoires occupés jusqu’à l’annexion, et la normalisation diplomatique bilatérale avec un maximum d’États arabes sans que la question palestinienne soit incluse. Une fois au pouvoir, cette alliance a miné le processus de paix de l’intérieur. Mais elle n’a pu le faire avec autant de succès que parce que les néoconservateurs (à ne pas confondre avec les conservateurs) américains, les plus farouches opposants à quelque forme de paix négociée avec les Palestiniens, sont arrivés au pouvoir avec le président George W. Bush. Le processus était condamné.

Aujourd’hui, 23 ans plus tard, en Israël comme aux États-Unis, on a cru que cette stratégie avait bien fonctionné. Or, une telle lecture des évènements n’a de sens que si la situation, en détérioration continue, des Palestiniens sous l’occupation est ignorée. Le bain de sang actuel montre clairement que la solution fondée sur toujours plus de violence est un échec. Comme l’ont compris des esprits éclairés depuis longtemps, ce conflit n’a pas de solution militaire. Il n’y a pas de solution de rechange à la paix négociée, non pas par idéalisme naïf, mais par lucidité.

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