Depuis quelques années, l’actualité de l’Afrique francophone semble évoluer au rythme des coups d’État. Se sont succédé des putschs au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (à deux reprises en 2022), en Guinée (2021), au Tchad (2021), au Niger (2023) et au Gabon (2023). Et le rythme ne cesse de s’accélérer.

De nombreux observateurs considèrent qu’un tournant semble rebattre les cartes sur le continent, plus particulièrement dans son espace francophone. Pour le célèbre philosophe africaniste Achille Mbembe, un « néo-souverainisme » – sorte d’avatar populiste de l’africanisme historique – paraît s’ancrer en Afrique de l’Ouest.

Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer cette succession de coups d’État en Afrique subsaharienne ? Les contextes sont bien sûr différents et méritent d’être regardés à l’aune de l’histoire de ces pays avec plus de finesse. Néanmoins, nous y voyons des tendances qui méritent d’être soulignées.

L’ennemi : la « Françafrique »

La « Françafrique » est un terme assez vague désignant les liens étroitement tissés entre les élites politiques africaines francophones et celles françaises ainsi que leur inféodation et dépendance politique, économique et militaire à la France.

Ce terme est souvent mobilisé pour dénoncer la corruption des élites africaines, mais aussi un néocolonialisme qui s’exercerait toujours sur le continent par l’ancienne puissance coloniale.

Déjà très répandu dans la rue depuis de nombreuses années, ce récit a été réactivé par de nombreux intellectuels, leaders politiques et d’opinion africains dans le contexte de l’insécurité grandissante au Sahel depuis 2012 et au regard de l’incapacité de l’opération militaire française Barkhane à endiguer la menace terroriste. Alors que le phénomène du terrorisme ne concerne pas le cas du Gabon, il est intéressant de noter que la chute récente du clan Bongo – monopolisant le pouvoir du pays et considéré comme intimement lié à la France – a été vue comme un coup fatal porté à cette politique étrangère française « à l’ancienne » en Afrique.

PHOTO ARCHIVES GABON 24 / AGENCE FRANCE-PRESSE

Déclaration télévisée du gouvernement de transition du Gabon, le 7 septembre 2023, après la destitution d’Ali Bongo Ondimba à la suite d’un coup d’État militaire

Cette politique est aussi rejetée, car elle s’accompagne souvent d’une relation verticale, soit d’un dominant s’adressant à des États inféodés – à l’instar de la convocation au sommet de Pau en France en 2020 –, et de discours moralistes de la part de l’exécutif français. Le « deux poids, deux mesures » de la politique étrangère française provoque également l’exaspération. Ce fut notamment le cas lorsque les autorités françaises ont fermement dénoncé les coups d’État au Mali, pourtant soutenus par sa population, mais ont gardé le silence autour de celui au Tchad, sachant la proximité des liens avec le clan Déby.

L’appareil militaire français semble également avoir besoin d’une profonde remise en question. Un imaginaire, structuré autour de la nostalgie des premiers explorateurs et des heures de gloire de la colonisation, demeure très ancré au sein de l’institution et rend fragile toute coopération avec les partenaires africains. Dans l’état actuel des choses, l’armée française est vouée à être honnie du continent et peinera à y développer de bonnes relations.

Les leaders d’opinion et les récits sur le continent

PHOTO MAHAMADOU HAMIDOU, REUTERS

Le militant franco-béninois Kemi Seba s’adresse aux partisans de la junte qui s’est emparée du pouvoir à Niamey, au Niger, et appelle au retrait des forces françaises du pays, le 28 septembre 2023.

Les élites africaines ne sont pas les seules intimement connectées à la France. En effet, une importante diaspora africaine diversifiée vit en France et permet d’établir des ponts culturels et de tisser des liens socioéconomiques avec le continent. Or, au sein de cette diaspora, certains individus, très écoutés sur le continent, alimentent ce climat de défiance grandissante entre l’Afrique francophone et la France, voire avec l’ensemble de l’Occident.

Sur les réseaux sociaux, des leaders d’opinion, sorte d’influenceurs racontant l’oppression vécue sur le continent à l’image de Kémi Seba ou de Nathalie Yamb, sont très virulents.

Dans leurs discours, ces individus mobilisent certaines convictions profondément ancrées au sein du continent africain, notamment sur le rapport d’oppression avec les anciennes puissances coloniales, sur l’exploitation économique et, plus globalement, sur la domination exercée par l’Occident durant la période postcoloniale. Ils recyclent, de manière moins sophistiquée, des arguments déjà présents dans les débats scientifiques, à l’instar de la théorie du système-monde, développée par le sociologue Immanuel Wallerstein, et de la relation structurelle économiquement inégale entre le Nord et le Sud. Si ces récits se basent sur une certaine réalité, ils demeurent caricaturaux. Ils s’avèrent néanmoins mobilisateurs, en puisant dans la douleur et le ressentiment des citoyens africains.

Vivant souvent en Occident et se rendant rarement sur le continent, ces influenceurs sont aussi déconnectés des différentes réalités locales. Ils dénoncent régulièrement une grande politique. Cependant, toute la politique étrangère française n’est pas nécessairement le fruit d’une décision cohérente. Les acteurs sur le terrain mettent en œuvre les politiques et programmes de développement (ou humanitaires) de manière très différenciée – certains faisant preuve d’un dialogue avancé et nourri avec leurs partenaires africains. Néanmoins, la posture verticale et moraliste, souvent incarnée par l’exécutif français, pose toujours un problème et donne du grain à moudre à ces influenceurs.

Si les coups d’État sont aussi soutenus sur le continent, c’est parce qu’ils sont considérés comme des actes d’émancipation pour les populations africaines, et ce, bien que la vision politique et stratégique des putschistes puisse être fragile, voire absente. Et c’est aussi pour cela qu’il y a un regain d’intérêt sur le continent africain pour des partenaires autres, comme la Russie.

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