La bibliothèque située au carrefour du boulevard Pie-IX et de la rue Ontario, à Montréal, fait peau neuve. L’édifice en pierres de style beaux-arts s’est adjoint deux ailes de verre qui ont permis de tripler sa superficie. L’ancienne cité de Maisonneuve dans l’est de Montréal a fait l’objet d’un classement patrimonial par le gouvernement du Québec, l’an dernier. Le groupe d’immeubles municipaux de prestige, qui date du début du XXsiècle, se trouve ainsi protégé, en tant qu’œuvre architecturale et urbaine à part entière.

Les travaux majeurs d’agrandissement de la bibliothèque avaient cependant débuté avant l’entrée en vigueur de la protection gouvernementale. Le résultat est fort discutable : les transformations ont modifié à tout jamais l’intégrité de l’œuvre d’origine. On ne perçoit plus de l’extérieur les deux magnifiques façades de pierres latérales du bâtiment qui a abrité autrefois l’hôtel de ville de la cité de Maisonneuve.

L’édifice trônait jusque-là au milieu d’un espace de verdure dans un quartier densément bâti. Et comme la nature humaine a horreur du vide, la bibliothèque s’est agrandie sur cet espace de terrain libre. Les espaces verts symétriques avaient pour effet de mettre le bâtiment en valeur dans l’esprit du mouvement urbanistique City Beautiful. Les transformations récentes propulsent l’ancien hôtel de ville à une échelle monumentale qui s’apparente au Reichstag de Berlin ! Le projet est hors de proportion dans cet arrondissement qui comptait déjà trois bibliothèques.

PHOTO FOURNIE PAR BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC

L’hôtel de ville de la cité de Maisonneuve peu après sa construction

On ne peut reprocher à la Ville de Montréal d’investir dans son propre patrimoine immobilier. Sauf qu’ici, Québec a participé au projet à la hauteur de 40 % du budget. Les coûts prévus initialement ont doublé, passant de 23,2 à 42,6 millions de dollars1.

Aurait-on pu déplacer la bibliothèque Maisonneuve ailleurs dans le quartier ? L’investissement aurait pu permettre de sauver une des grandes églises au statut précaire. Dans la rue Adam, un valeureux groupe de citoyens tente de redonner vie à l’église Saint-Clément pour en faire un espace multifonctionnel. L’installation de la bibliothèque dans ce vaste espace aurait eu un effet aussi spectaculaire. On n’a qu’à penser à la bibliothèque Mordecai-Richler sur le Plateau Mont-Royal pour s’en convaincre.

Privilégier le développement durable

Des églises modernes transformées étonnent également par l’expérience unique qu’elles offrent aux visiteurs : la voûte sans colonne de la bibliothèque Rina-Lasnier à Joliette permet de libérer l’espace au plancher. Son aire de lecture bénéficie d’une abondante lumière naturelle, contrairement à ce qu’on s’attendrait d’édifices religieux. À Québec, la bibliothèque Monique-Corriveau insuffle une nouvelle énergie à une église marquante du patrimoine architectural moderne des années 1960.

De belles églises sont en train de nous filer entre les doigts. Les municipalités devraient privilégier leur conversion par rapport à des projets de construction neuve, suivant une approche communautaire et de développement durable.

Le dépassement de coûts significatif de la rénovation de la bibliothèque Maisonneuve aura sûrement des impacts sur d’autres projets financés dans le cadre de l’Entente sur le développement culturel de Montréal conclue entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec.

Des quartiers excentrés ont de très grands besoins en matière de conservation et de mise en valeur du patrimoine. Ces lieux qui forgent l’identité de communautés locales sont parfois situés loin du regard de la ville-centre. À Ahuntsic-Cartierville, par exemple, les fouilles archéologiques sont suspendues depuis des années et le site des moulins du Sault-au-Récollet tombe en ruine.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le site des Moulins du Sault-au-Récollet, à Montréal

Les municipalités du Québec, grandes et petites, s’exposent à des problèmes similaires. Le laisser-aller des propriétaires est souvent cité comme la cause principale de la détérioration des bâtiments patrimoniaux. La négligence d’entretien des bâtiments, combinée à la pression immobilière et à la rigueur du climat, constitue la recette parfaite pour leur disparition à moyen ou long terme.

Régulièrement, on annonce la démolition d’une maison ancienne, d’un couvent, d’une gare de train ou d’un pont couvert. Ce sont autant de repères familiers chers aux citoyens que ne peut égaler l’expérience d’un stationnement commercial ou d’un édifice de condos. Espérons à l’avenir que les fonds publics consacrés au patrimoine serviront moins à épater la galerie et cibleront davantage les besoins réels des communautés.

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