Les participants au récent Sommet sur l’itinérance étaient unanimes : la lutte contre l’itinérance passe par l’habitation. Mais avant que les logements soient disponibles, que peut-on faire pour rendre la ville plus inclusive ? Un projet de recherche réunissant Architecture sans frontières Québec et l’École de travail social de l’Université de Montréal s’est donné pour mission de regarder la ville du point de vue de ses citoyens les plus vulnérables. Si l’espace est public, comment peut-on arriver à mieux le partager ?

Des poubelles plus accessibles

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Ces nouveaux modèles de poubelles permettent de recueillir les canettes plus facilement.

Le rendez-vous était donné place Émilie-Gamelin. La professeure de l’École de travail social Carolyne Grimard serait ma guide. Objectif : identifier les lieux inclusifs et les lieux hostiles aux personnes en situation d’itinérance. Premier arrêt : une banale poubelle. Pas si banale que ça quand on la regarde de plus près. Carolyne attire notre attention sur les nouveaux modèles de poubelles qui permettent aux sans-abri d’avoir facilement accès au contenu et, donc, de fouiller plus aisément quand on veut y trouver des canettes pour la consigne. Fallait y penser !

Des escaliers barricadés

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« Souvent, des installations hostiles surviennent à la suite d’une confrontation », indique Carolyne Grimard, de l’École de travail social de l’Université de Montréal.

« On parle d’un espace hostile quand il vise à exclure ou bloquer l’accès, nous explique Carolyne Grimard. Pensons aux bancs où il est impossible de s’étendre ou aux espaces publics sans toilettes publiques… Ou aux dessous de ces escaliers (voir photo) où une personne en situation d’itinérance aurait pu aller se réfugier ou dormir. » « Souvent, des installations hostiles surviennent à la suite d’une confrontation, m’explique Sonia Blank, chargée de recherche chez Architecture sans frontières Québec, que j’ai jointe au téléphone après ma promenade. On répète beaucoup de gestes hostiles de manière inconsciente parce qu’on a toujours fait les choses d’une certaine manière. Notre recherche visera entre autres à sensibiliser les décideurs à faire autrement. »

Une clôture hostile et repoussante

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Comment accommoder l’espace urbain pour les personnes itinérantes sans que cela devienne permanent ?

Pendant notre promenade, Carolyne m’ouvre les yeux sur des choses que je n’aurais pas vues par moi-même : sur le trottoir, des filtres et des morceaux de pipe, signes qu’on a fumé du crack dans les environs. Elle attire aussi mon attention sur des occasions manquées. Comme ce terrain abandonné qu’on a clôturé pour empêcher les gens d’y venir. « On aurait pu installer une tente temporaire ici, avec des services pour se rapprocher des personnes itinérantes. Ou une toilette chimique. L’hiver, on pourrait installer des bancs avec des lampes chauffantes. » Une des questions que pose le projet de recherche est la suivante : comment accommoder sans que cela devienne permanent ?

Mobile, flexible, accueillant

  • Les conteneurs métalliques peuvent être aménagés avec toilettes, douches et cases postales.

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    Les conteneurs métalliques peuvent être aménagés avec toilettes, douches et cases postales.

  • Exemple de casiers solidaires, au Portugal

    PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIAÇÃO CONVERSA AMIGA (PORTUGAL)

    Exemple de casiers solidaires, au Portugal

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Les conteneurs métalliques sont des outils super intéressants en aménagement urbain. Utilisés dans le Quartier des spectacles durant les festivals (sur la photo, on voit celui de Tourisme Montréal), ces conteneurs peuvent être aménagés pour les personnes sans domicile fixe avec des toilettes, des douches et des cases postales. Leur mobilité en fait un outil super flexible. Comme me fait remarquer Carolyne Grimard, « quand une personne itinérante fait ses besoins dans la rue ou dans l’espace public, ce que ça nous dit, c’est qu’il y a un manque de toilettes. Il faut comprendre que chaque irritant cache un besoin. Et il faut penser à des lieux d’intimité qui ne compromettent pas la sécurité ».

L’esplanade Tranquille, un modèle

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Pour Carolyne Grimard, l’esplanade Tranquille est un modèle d’inclusion.

« Les lieux qui sont accueillants pour les personnes en situation d’itinérance font diminuer les tensions », me rappelle Carolyne Grimard, qui nous emmène à l’esplanade Tranquille, rue Sainte-Catherine. Il fait chaud ce jour-là. Deux hommes somnolent dans des chaises. Plus loin, un brumisateur diffuse des gouttelettes d’eau fraîche pour combattre la chaleur écrasante. « Cet endroit est incroyable, lance Carolyne avec enthousiasme. On sent que tout le monde y a sa place. Et chose rare, les espaces communs du pavillon sont ouverts à tous, à condition qu’on ne dérange pas la quiétude des lieux. » Voilà un modèle de lieu inclusif, selon Carolyne Grimard.

Pour une architecture plus humaine

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Les espaces communs du pavillon de l’esplanade Tranquille sont ouverts à tous.

« L’architecture a mis du temps à inclure les notions d’équité, de justice sociale et de care dans ses pratiques, me fait remarquer Sonia Blank, d’Architecture sans frontières Québec. La première partie de notre travail était de répertorier ce qui existe déjà, puis d’élaborer un guide pour sensibiliser les professionnels en design et en aménagement. »

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Promenade au centre-ville avec la professeure de travail social Carolyne Grimard

Le projet de recherche, qui s’étend sur trois ans, en est à sa deuxième année. Espérons que ses conclusions se rendent aux oreilles des élus municipaux partout au Québec.

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