Lorsque les ouvriers sont venus, jeudi dernier, retirer les lettres du nom de la caisse populaire de mon quartier, c’était comme si une lumière s’éteignait sur ce bout de rue pourtant dynamique. En plein jour, ça faisait un trou. Le soir, c’est maintenant noir. Un vide s’est installé sans s’excuser. Je n’ose même pas imaginer le malaise ressenti par les orphelins de Desjardins un peu partout sur le territoire.

Permettez que je revienne sur mon texte de la semaine dernière, « Desjardins et nous ». J’en ai beaucoup entendu parler. Vous m’avez raconté vos histoires. J’en retiens que vous êtes sensibles au tricotage du fil des quartiers et des villages, et qu’une banque qui ferme n’est pas qu’un service qui part : c’est une géographie qui se déglingue. J’ai entendu cette anecdote révélatrice : la Caisse a abandonné son comptoir de services du centre d’une petite municipalité pour aller établir un guichet… sur la route nationale, à quelques kilomètres, obligeant les sans-auto à se quêter des lifts, et dégarnissant un autre cœur de village. Dédé Fortin, visionnaire, chantait La rue principale en 1993. Le centre d’achats était le responsable de la misère des habitants. En 2024, c’est la Caisse.

Lisez « Desjardins et nous »

Au moment précis où une équipe nettoyait les traces de Desjardins sur les devantures éteintes, l’organisme Cœur de villes et villages lançait son plan pour la vitalité des communautés. Ce regroupement d’associations patrimoniales et économiques existe pour sonner l’alarme sur les défis auxquels les centres de villes et de villages font face. Sa déclaration s’adresse aux gouvernants afin de déterminer ce qui met à mal le tissu de nos lieux de vie, et d’apporter des solutions durables et structurantes. Ce document, qui résume les enjeux, est remarquable par ses huit propositions, dont la densification des centres, et par, tiens donc, « la mise en œuvre de stratégie de localisation exemplaire des édifices publics (CLSC, SAQ, etc.) priorisant la proximité ».

Consultez le Plan pour la vitalité des cœurs de villes et de villages

Tout est là, clair et limpide. En avez-vous entendu parler ? Non. Les médias étaient très occupés par le show populiste de Justin autour du vol d’autos, puis par le cocktailgate des caquistes, par les voyages en jet de Taylor Swift ou les recettes d’ailes de poulet à l’air fryer pour le Super Bowl. Grosse semaine.

C’est pourtant capital, parce que le territoire est ce qui nous unit, ce qui nous divise. Si la moitié de la population québécoise est agglutinée autour de Montréal, l’autre moitié est toujours bien répartie sur un territoire sans bon sens.

Mais Montréal a aussi sa « région », sa mal-aimée : l’Est. Et en son cœur, le Stade olympique, constamment conspué, dont on refera finalement le toit et l’anneau technique pour 870 millions.

Le dossier était piloté avec ferveur et compétence par le PDG du Parc olympique, Michel Labrecque. Je crois que lui et la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, ont pris une bonne décision, mûrie et réfléchie. Décision qui a toutefois soulevé colère et perplexité. Celle des régions : « Même pas capables de le démolir, comme à Vegas où on efface deux casinos par année pour des pinottes ! ». Des bien-pensants : « Pensez aux logements sociaux qu’on aurait pu construire pour 800 millions ! ». Celle de la moitié des Montréalais pour qui le Stade est un stigmate à cause de son histoire difficile.

Pourtant, le Stade est un repère, un élément de l’identité montréalaise. On l’aime mal, comme on s’aime mal…

Un nouveau toit sera le début d’une remise à niveau, le sésame pour le rendre fréquentable, même sans équipe sportive. On a même évoqué la présence de Taylor Swift dans… 10 ans. Il est, pour l’Est, au centre du discours de « cœur de ville », et pour Montréal, un symbole.

Montréal et les régions font face aux mêmes enjeux de remise en question de leurs centres. Tout est lié. À force de s’isoler dans nos problématiques paroissiales, identitaires, exclusives, on perd de vue l’ensemble. Ça vaut pour les idées comme pour le territoire.

Comme les régions et ce qui s’y passe et ceux qui y vivent devraient tous nous intéresser, Montréal devrait concerner tous les Québécois. La métropole n’existe pas sans le reste du Québec, et le Québec n’existe pas sans elle. Quand un village perd son école, sa Caisse, sa station d’essence, c’est le début de la fin. Une métropole qui laisserait son Stade olympique à l’abandon – ou qui le détruirait – s’autodénigrerait. On s’oublie beaucoup, ici. On disparaît du radar de nos propres préoccupations. Ce qui se passe à Saint-Denis-de-Brompton ou dans l’est de Montréal est un miroir de l’avenir de tous.

Il est urgent de nous réintéresser à notre territoire et à son patrimoine bâti, à ses institutions comme à ses pignons. Toutes les crises actuelles – du logement, identitaire, économique – convergent vers lui. Voulons-nous le réduire à un espace bêtement utilitaire, à ses services essentiels reliés par des autoroutes, ou voir plus loin, plus vaste, et le « revamper » avec âme et solutions créatives ? Le Stade olympique et le guichet automatique du village sont tous deux des symboles forts. Que ne fréquentera pas Taylor, mais who cares ?

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