Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

La femme la plus influente du monde a 34 ans. Elle est grande, blonde et porte du rouge à lèvres écarlate. Dans ses mains : une guitare, pas une arme. Ses munitions : des notes et des mots. Sa puissance s’est bâtie sur l’amitié, la sororité, l’harmonie.

Et Dieu que ça dérange !

Aux États-Unis, les politiciens conservateurs la voient dans leur soupe et craignent qu’elle incite ses millions de fans, les Swifties, à voter pour le candidat démocrate Joe Biden aux prochaines élections.

Il faut dire que l’aura de Taylor Swift est encore plus forte — si c’est possible – cette semaine. En partie grâce à sa victoire historique de dimanche dernier aux prix Grammy, où elle a fracassé un record en remportant pour la quatrième fois le Grammy de l’album de l’année pour Midnights. Un record qui, jusqu’ici, était détenu par trois hommes : Frank Sinatra, Stevie Wonder et Paul Simon.

PHOTO RICHARD A. BROOKS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Deux Swifties se prennent en photo devant le Tokyo Dome peu avant le début de la première étape de la tournée asiatique d’Eras Tour, mercredi.

Au lendemain des Grammy, l’autrice-compositrice interprète s’envolait pour le Japon, un voyage qui ne fascine pas seulement les nerds qui suivent son avion sur les radars. La tournée de Swift en Asie, qui durera un mois (!), déplace les foules. « Quand j’écoute ses chansons, je me sens pleine d’énergie et cela me donne confiance en moi », a confié une jeune Swiftie nipponne, Hikari Oka, à l’Agence France-Presse.

Ce week-end, les regards seront tournés vers Las Vegas, où la superstar devrait finalement assister au Super Bowl où son amoureux, Travis Kelce, et son équipe, les Chiefs de Kansas City, défendront leur titre de champion de la NFL.

Comme à chaque fois, sa seule présence aura un impact sur le nombre de femmes qui regarderont le match ainsi que sur les publicités qui leur sont destinées. Et parce que Taylor n’est pas une spectatrice comme les autres, les caméras devraient nous la montrer plusieurs fois durant le match. Pauvre Usher ! Sa présence au spectacle de la mi-temps est complètement occultée.

Le Québec n’échappe pas au raz-de-marée Taylor Swift. Sa tournée ne s’arrêtera pas chez nous et cette non-visite a eu des répercussions jusque dans la vie politique : son nom a été prononcé à plusieurs reprises lors de la conférence de presse annonçant la réfection du toit du Stade olympique. Un des arguments justifiant des travaux évalués à plus de 870 millions de dollars : un éventuel concert de la chanteuse…

PHOTO JULIO CORTEZ, ASSOCIATED PRESS

Travis Kelce et Taylor Swift après la victoire des Chiefs de Kansas City contre les Ravens de Baltimore Ravens, le 28 janvier dernier

Un sujet d’étude

On compte au moins quatre universités dans le monde qui proposent un cours consacré à Taylor Swift. En novembre dernier, le USA Today a embauché le journaliste Bryan West pour « couvrir » Taylor Swift. Personnalité de l’année 2023 selon le magazine Time, la chanteuse a été nommée la même année cinquième femme la plus puissante de la planète par le magazine Forbes, derrière la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, et la première ministre italienne, Giorgia Meloni.

« Toutes ces femmes de pouvoir sont des femmes vraiment puissantes, a déclaré une experte en marketing au magazine. Mais elles ne pourront pas changer le monde de la même manière que Taylor Swift. »

C’est vrai que l’impact de la chanteuse se fait ressentir partout : dans l’industrie de la musique, mais aussi dans celle du cinéma, où le film de sa tournée, The Eras Tour, attire les foules. Influence dans le monde de la mode aussi : la créatrice qui a conçu sa veste rouge à l’effigie des Chiefs a signé une entente avec la NFL.

On dit que sa tournée a relancé l’économie post-pandémie !

Partout où Taylor Swift se déplace, elle génère des retombées économiques à ce point appréciables que les dirigeants – comme Justin Trudeau sur X – n’hésitent pas à la supplier de faire un arrêt chez eux (l’appel de notre premier ministre a été entendu : les Swifties pourront voir leur idole à Toronto et à Vancouver).

On cherche d’autres femmes qui, dans l’histoire récente, ont eu autant d’impact. Lady Di ? Oprah ? Michelle Obama ? De mémoire, le phénomène Taylor Swift est incomparable.

Le féminisme swiftien

Icône pop, icône féminine et… icône féministe. C’est inévitable. J’en ai parlé avec l’autrice de l’essai Féminisme pop, paru aux Éditions du remue-ménage en 2021. « Son féminisme manque de diversité et d’intersectionnalité, mais comment pourrait-il en être autrement, note Sandrine Galand. Elle est ce qu’elle est. »

L’autrice, qui enseigne aussi la littérature au niveau collégial, rappelle que Taylor Swift a levé le voile très tôt sur le deux poids, deux mesures dans l’industrie de la musique. « Elle a regagné son pouvoir en réenregistrant ses chansons dans un monde où ceux qui détiennent les droits et qui font de l’argent sont des hommes », affirme-t-elle. Ses fans l’ont d’ailleurs gentiment surnommée Capitalist Queen.

Autre facette intéressante du phénomène, selon Sandrine Galand : « Swift s’est réapproprié la joie d’être une fille, ce qu’on appelle le girlhood en anglais – soit le passage de la fille à la femme. Elle-même représente cette grande fille un peu gauche, maladroite. »

Quant à sa musique, elle est transgénérationnelle. On retrouve aussi bien des jeunes filles de 18, 19, 20 ans parmi ses fans que des femmes dans la quarantaine. Et on ne sait pas qui a fait découvrir la musique à l’autre.

Sandrine Galand, autrice de l’essai Féminisme pop

Selon l’autrice, les paroles des chansons de Taylor Swift – à première vue des chansons d’amour plutôt inoffensives – sont « un outil pour parler de plein d’autres choses, comme de la trahison que l’artiste a ressentie lorsque sa compagnie de disques a vendu les droits de ses chansons ».

« La lecture que font les fans de ses paroles permet aussi à d’autres communautés – les queers, par exemple, qui ont donné naissance à la théorie Gaylor qui dit en gros que Swift serait elle-même queer – de vivre ses paroles et de se les approprier », poursuit Galand.

Les conservateurs ont-ils raison de craindre le pouvoir de Taylor Swift ?

Oui, absolument. On ne peut rien y faire : les personnes haineuses vont continuer à haïr, haïr et haïr encore Taylor Swift. Qui leur répondra toujours en chantant : Shake it Off.

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