En bon québécois, on appelle ça se faire niaiser.

Pour diminuer l’attrait du vapotage chez les jeunes, Québec a interdit l’automne dernier les produits aux parfums autres que celui du tabac.

Fini, donc, les liquides à vapoter aux arômes de pina colada, de barbe à papa ou de citron-gin.

Bravo. Les chiffres les plus récents, qui datent de 2019, montrent que pas moins de 35 % des jeunes de cinquième secondaire vapotent. Il fallait réagir.

Or, que font maintenant certains petits futés de l’industrie ? Ils vendent des liquides de vapotage neutres… et des additifs pour les aromatiser juste à côté. C’est ce qu’a révélé mon collègue Charles-Éric Blais-Poulin dans un dossier récent qui m’a arraché un beau gros juron1.

Dans la catégorie « contourner l’esprit de la loi de façon grossière », c’est du calibre de champion. Il est évident qu’on ne peut pas laisser passer ça. C’est la santé des jeunes Québécois qui est en jeu.

Entre 2013 et 2019, l’utilisation de la cigarette électronique a été multipliée par cinq, selon l’Institut de la statistique du Québec. Une génération est en train de devenir dépendante à la nicotine en inhalant des trucs dont on connaît mal les effets sur la santé.

De quoi effacer une partie des gains réalisés par la baisse constante du tabagisme au Québec, une victoire de santé publique remportée au prix d’efforts colossaux. C’est décourageant.

Disons que j’ai très peu de respect pour ceux qui font du profit en créant ces dépendances. Quelle est la meilleure façon de réagir devant l’arrogance de certains vendeurs de produits de vapotage ?

C’est ce que j’ai voulu savoir.

D’abord, on me dit que le ministre de la Santé lui-même, Christian Dubé, est loin de la trouver drôle. Québec a effectué près de 300 inspections dans les boutiques de vapotage depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 31 octobre dernier, en plus de faire une surveillance du marketing en ligne. Si on peut démontrer que les produits aromatisants sont destinés au vapotage, on sévit.

Cette approche a toutefois des limites. Plusieurs vendeurs prétendent que leurs arômes d’ananas ou de cappuccino servent à aromatiser… l’eau ou les boissons alcoolisées. Quand il est écrit « VAPE » en gros sur la devanture de la boutique qui les vend, c’est évidemment douteux. Mais ceux qui veulent contourner la loi pourraient bien s’en tirer.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Trois produits vendus pour aromatiser une base nicotinée

Une ligne de défense bien simple m’a été proposée par Flory Doucas, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Elle consiste à interdire de vendre dans la même boutique des produits de vapotage et des arômes.

Cela demanderait un tour de vis à la loi actuelle, qui est complexe. Une boutique qui veut étaler ses produits de vapotage à la vue des clients est déjà frappée par l’interdiction de vendre autre chose. Elle doit aussi s’assurer qu’aucun mineur n’entre chez elle.

Mais les commerces qui cachent les produits de vapotage peuvent vendre des bonbons, des boissons, des arômes – ce qu’ils veulent. C’est pourquoi des dépanneurs, par exemple, offrent des cigarettes électroniques et tout ce qu’il faut pour les remplir.

La proposition de Mme Doucas est de faire un ménage là-dedans et de s’assurer que toute boutique qui vend des produits de vapotage n’offre rien d’autre, point final.

« Ça viendrait avec un système de permis qui pourraient facilement être révoqués », précise Flory Doucas.

Bien sûr, un consommateur pourra toujours se procurer ses arômes ailleurs. « Mais ce ne serait pas aussi facile d’usage », dit Mme Doucas.

C’est vrai. Le problème est que chaque fois qu’on colmate ainsi une faille dans la loi, l’industrie parvient à en trouver d’autres. L’image qui me vient en tête est ce jeu d’arcade où il faut taper avec un maillet des taupes qui sortent de leurs trous. Quand vous parvenez à en assommer une, deux autres surgissent ailleurs.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE ZONNIC

Les pochettes de nicotine parfumées Zonnic, commercialisées par Imperial Tobacco

Récemment, par exemple, des pochettes de nicotine parfumées appelées Zonnic, commercialisées par Imperial Tobacco, sont apparues dans les pharmacies. En théorie, elles sont destinées aux fumeurs qui veulent écraser. Mais les boîtiers colorés et les publicités incitant à consommer le produit avant de faire du sport ou de rencontrer des amis suscitent les craintes des spécialistes de santé publique.

Et parce qu’elles sont considérées comme des produits de santé naturels par Santé Canada, ces pochettes peuvent être vendues aux mineurs. C’est problématique et ça montre le besoin d’une stratégie plus large.

Marianne Dessureault et Kim Brière-Charest, de l’Association pour la santé publique du Québec, me soulignent les « incohérences » qui existent dans les différentes façons de vendre des substances psychoactives au Québec. La vente de cannabis est strictement encadrée ; celle de l’alcool est plus libérale. Le tabac et la nicotine (qui sont aussi des substances psychoactives puisqu’elles stimulent le système nerveux central et créent facilement une dépendance) sont vendus selon un autre modèle encore.

« Les mêmes principes de base devraient pourtant s’appliquer », dit Kim Brière-Charest, qui souligne que la santé des consommateurs devrait être la préoccupation première.

Pourrait-on confier la vente des produits du tabac à la Société québécoise du cannabis, dont les profits sont réinvestis en prévention et en recherche ? Je lance en tout cas la question.

Flory Doucas, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, suggère de son côté de plafonner le nombre de points de vente où des produits contenant de la nicotine sont proposés. Ça me semble intéressant.

Certains vont beaucoup plus loin. San Francisco a complètement banni la vente de produits de vapotage. La Nouvelle-Zélande a adopté une loi interdisant la vente de tabac à toute personne née après 2008 afin d’éviter de créer de nouveaux consommateurs. La loi a toutefois été retirée à la suite de l’élection d’un nouveau gouvernement avant d’entrer en vigueur.

Ces mesures me semblent toutefois excessives. Les interdictions favorisent souvent le marché noir, où l’on perd tout contrôle sur la qualité des produits et la façon dont ils sont vendus. Il faut aussi garder en tête que les produits de vapotage restent des outils intéressants pour les fumeurs qui cherchent à arrêter.

Chose certaine, on ne peut tolérer qu’une industrie se moque ainsi de nos lois au détriment de la santé des adolescents. Certains vendeurs de produits de vapotage se trouvent sans doute bien malins actuellement. C’est le moment de leur montrer qu’il s’agit d’un jeu qui se joue à deux.

1. Lisez le dossier « Vapotage : un pied de nez à la nouvelle loi » de Charles-Éric Blais-Poulin Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue