Après avoir mis l’OCPM sous tutelle, la Ville de Montréal vient de nommer Philippe Bourke directeur par intérim de l’organisme. Réussira-t-il à rétablir sa réputation entachée ? Des universitaires s’inquiètent des conséquences du scandale des allocations de dépenses sur la qualité de la participation citoyenne à Montréal. Nous les avons rencontrées.

Vingt ans, c’est court dans la vie d’une institution. C’est le sentiment de ceux et celles qui se portent à la défense de l’OCPM depuis le scandale provoqué par les dépenses outrageuses de ses dirigeants.

J’en ai discuté avec trois chercheuses qui, contre vents et marées, défendent l’organisme aujourd’hui sous tutelle. Je précise que je les ai rencontrées avant la nomination de Philippe Bourke, un ancien patron du BAPE, au poste de directeur intérimaire de l’organisme pour un mandat de six mois.

Florence Paulhiac Scherrer est professeure titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et titulaire de la Chaire internationale sur les usages et pratiques de la ville intelligente. Marie-Odile Trépanier est professeure honoraire de la faculté d’aménagement de l’Université de Montréal et membre du conseil d’administration de l’organisme Les amis de la montagne. Laurence Bherer est professeure au département de science politique de l’Université de Montréal. Ces trois femmes connaissent l’organisme comme le fond de leur poche. Et elles espèrent qu’il survivra à la tempête de l’automne.

C’est vraiment choquant de dire que l’OCPM ne sert à rien. Ça sert à énormément de choses. C’est devenu une institution incontournable.

Florence Paulhiac Scherrer, professeure titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

On a beaucoup entendu dire que l’organisme ne servait à rien parce que ses recommandations n’étaient pas appliquées. La professeure Paulhiac Scherrer tient à remettre les pendules à l’heure. « Ce n’est pas un outil de démocratie directe, lance-t-elle. C’est une photographie d’une opinion à un moment donné. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le nouveau directeur intérimaire de l’OCPM et ancien patron du BAPE, Philippe Bourke, en 2019

Et selon elle, les citoyens y tiennent. « Ça leur permet de porter des enjeux, de proposer des voies de solution dans une arène publique, de laisser des traces. Les consultations de l’Office permettent de fixer un état de la question à un moment donné. »

Un outil de travail

La professeure Paulhiac Scherrer a évalué les retombées des consultations menées par l’OCPM dans le secteur des Faubourgs, à l’est du centre-ville, à la fin des années 2010. Cela lui a permis de comprendre qu’au sein de l’administration municipale, les rapports de l’organisme sont un outil utilisé au quotidien par les fonctionnaires. « Ils ont toute une grille pour évaluer les recommandations et leur faisabilité, explique-t-elle. Et ça leur sert parfois d’outil de négociation avec les promoteurs. »

On l’a dit, la Ville de Montréal n’est pas tenue de suivre les recommandations de l’organisme. « C’est vrai qu’une fois le rapport de l’OCPM publié, ça s’en va dans le gros tuyau de la décision politique, reconnaît Florence Paulhiac Scherrer. Une fois que c’est dans ce tuyau-là, c’est la boîte noire, même pour nous, chercheurs. Par contre, tous les fonctionnaires disent que c’est un outil quotidien d’enrichissement de leur pratique. Et ça permet d’exposer des enjeux orphelins, des angles morts. C’est loin d’être négligeable. »

Au cours des dernières semaines, les détracteurs de l’OCPM ont brandi l’exemple de la voie Camillien-Houde pour contester la pertinence de l’organisme. Rappelons que l’administration Plante a fait fi de la principale recommandation de l’organisme de conserver une voie pour la circulation automobile. « Les commissaires de l’Office traduisent et synthétisent l’opinion des citoyens qui se sont exprimés, souligne Marie-Odile Trépanier, qui a suivi de près ce dossier. Camillien-Houde, c’est un choix politique. »

Le gâchis de Griffintown

Il y a toutefois des exemples où l’OCPM a fait une réelle différence, comme lors de la consultation sur le racisme systémique, en 2019. « Cette consultation, qui était le résultat d’une initiative citoyenne, a permis de créer un poste de commissaire et d’instaurer des mécanismes de suivi, souligne Laurence Bherer. Il y a encore plein de choses à revoir dans les 38 recommandations du rapport. »

La professeure de science politique me propose de prendre le problème à l’envers : qu’arrive-t-il quand il n’y a pas de consultation de l’OCPM ? Le meilleur exemple, selon elle ? Griffintown, un quartier très mal aménagé pour lequel il y a eu très peu de consultation.

« C’est un quartier où l’on retrouve très peu d’infrastructures pour les familles », indique-t-elle.

Les trois chercheuses avancent un autre argument : les consultations de l’OCPM ont un effet positif sur les promoteurs immobiliers et permettent de rehausser la qualité de leurs projets. « Les promoteurs prennent la consultation au sérieux et préparent mieux leurs dossiers », disent-elles.

À leur avis, on devrait plutôt se questionner sur les raisons pour lesquelles certains projets ne sont PAS soumis à la consultation publique. « Tous les grands projets devraient l’être, estime Marie-Odile Trépanier. Prenez l’édifice de condos Maestria, une tour de 61 étages en plein centre-ville ! J’ai cherché le processus de consultation et je ne trouve rien alors que c’est un projet majeur. » (NDLR : Vérification faite, bien qu’il n’ait pas été soumis à une consultation de l’OCPM, le Maestria a fait l’objet de recommandations du comité consultatif d’urbanisme – CCU – et a ensuite été soumis à une consultation publique à l’arrondissement de Ville-Marie.)

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le Maestria, dont la construction s’achève dans le Quartier des spectacles. L’OCPM n’a pas mené de consultation sur ce projet.

Est-ce que le projet de loi 31 – qui accorderait des pouvoirs accrus aux villes afin qu’elles puissent passer outre leurs règlements d’urbanisme – risque de nous faire tourner les coins ronds et passer outre des règles d’urbanisme difficilement adoptées au fil des ans ? C’est une crainte que j’entends.

La pause forcée de l’OCPM peut être très préjudiciable, craignent mes interlocutrices. Il y a de gros dossiers qui s’en viennent, dont le plan d’urbanisme de la Ville de Montréal qui sera déposé au printemps.

Les trois chercheuses se disent très inquiètes pour l’avenir de l’organisme.

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, disent-elles. C’est la responsabilité de la Ville de Montréal de réformer l’institution et de rétablir la confiance dans le processus de consultation.

Le temps nous dira si Philippe Bourke réussira à redresser le navire.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue