Le bilan du conflit israélo-palestinien est chaque jour plus choquant. La situation à Gaza a été qualifiée de carnage à l’ONU et soulève l’indignation, aux quatre coins du monde, chaque jour davantage.

Et ce n’est pas le seul conflit armé qui nous semble actuellement insoluble. Le monde traverse en ce moment des heures sombres.

Êtes-vous à la recherche de raisons d’espérer ?

Pour tout vous dire, c’était mon cas.

C’est pourquoi j’ai contacté Séverine Autesserre, spécialiste franco-américaine de la construction de la paix. Et j’ai obtenu ce que je cherchais.

Séverine Autesserre est directrice du département de science politique de la faculté Barnard à l’Université Columbia (à New York). Mais c’est aussi une chercheuse qui a une solide expérience du terrain. Et pas n’importe quel terrain : elle a travaillé dans une douzaine de zones de conflit.

Pourtant, elle n’est pas du genre à se décourager.

Je lui ai par exemple demandé si elle gardait espoir quant à une résolution pacifique du conflit israélo-palestinien.

Sa réponse ?

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une frappe israélienne sur la bande de Gaza, dimanche, dans le cadre des combats entre Israël et le Hamas

« Bien sûr que je garde espoir. Et je veux garder espoir, parce que je pense que c’est important de garder en tête qu’il y a de l’espoir même au pire de la violence. Même dans des situations comme celle qu’on vit actuellement. »

Séverine Autesserre vient de publier un livre à ce sujet, intitulé Sur les fronts de la paix. Il est basé sur le travail qu’elle a effectué, de la République démocratique du Congo à l’Afghanistan, en passant par Israël et les territoires palestiniens – entre autres.

Elle explique dans cet essai qu’il existe « des graines d’espoir cachées dans la boue de la guerre, des graines que nous pourrions peut-être apprendre à faire germer partout sur la planète ».

« C’est un livre qui montre qu’il y a des causes d’espoir, qu’il y a des réussites dans toutes les zones de guerre, qu’on peut construire la paix », me dit-elle.

Penser à la paix pendant la guerre

PHOTO MENAHEM KAHANA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats israéliens se déployant près de la frontière entre le sud d’Israël et la bande de Gaza, lundi

Est-il possible de penser à la paix alors que la guerre fait rage à Gaza ? En fait, même si ça peut sembler contre-intuitif, on aurait tout avantage à envisager la construction de la paix dès maintenant.

C’est ce que certains experts, dont Séverine Autesserre, plaident déjà.

« On peut tout à fait et, surtout, on doit penser à la paix même au pire de la violence et au pire des conflits », me dit-elle.

« Cette idée qu’il y a une dichotomie entre la guerre et la paix, et puis un moment clé avant lequel on ne peut pas penser à la paix et après lequel on va penser à la paix, c’est une idée qui est complètement dépassée », ajoute la politologue.

Je précise ici que le message de Séverine Autesserre ne se résume pas à un appel à la paix.

Elle soutient aussi – et c’est au cœur de son approche – que pour construire la paix, il faut cesser de faire ce à quoi les dirigeants internationaux et divers gouvernements, organismes et institutions nous ont habitués.

À son avis, « il faut qu’on change complètement notre regard sur la paix et sur les façons d’y parvenir ».

PHOTO MAHMUD HAMS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme portant un enfant blessé lors d’une frappe israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, lundi. La situation à Gaza a été qualifiée de carnage à l’ONU et soulève l’indignation aux quatre coins du monde.

L’horreur qu’on voit aujourd’hui en Israël et dans les territoires palestiniens est une preuve de plus que notre approche classique dans la construction de la paix ne fonctionne pas du tout.

Séverine Autesserre, politologue

L’approche classique dont elle parle, c’est la façon de travailler « du haut vers le bas », en travaillant avant tout avec les gouvernements et autres « élites nationales » d’un pays en crise. Et en n’accordant pas assez d’importance à l’avis des « citoyens ordinaires » qui vivent dans des zones de conflit.

C’est l’inverse qu’il faut faire, insiste Séverine Autesserre.

« On ne peut pas arriver en terrain conquis comme on le fait d’habitude, en pensant que nous, on sait tout mieux [faire] parce qu’on vient des États-Unis, du Canada, de la France, et on va apprendre aux gens – aux Palestiniens et aux Israéliens, par exemple – comment construire la paix chez eux. »

En somme, penser qu’on « va sauver le monde pour eux et qu’on va repartir après trois jours sur place », ça ne fonctionne pas.

Réunir les pompiers et les pyromanes

Je n’ai pas évoqué l’avenir de la solution à deux États ou d’autres détails du conflit israélo-palestinien avec Séverine Autesserre. Elle m’avait prévenu qu’elle ne se prononcerait pas à ce sujet.

Ce qu’elle soutient, d’ailleurs, c’est qu’il y a « autant de façons de construire la paix qu’il y a de circonstances locales et individuelles et que les recettes d’un succès sont spécifiques au contexte ».

Ce qu’elle n’a pas hésité à m’offrir, ce sont les ingrédients essentiels de ces recettes.

Les habitants parviennent à la paix grâce à des initiatives qui viennent de la base. Des initiatives locales et des initiatives où tout le monde est inclus. Y compris les plus pauvres, les moins puissants des membres de la communauté, les citoyens ordinaires. Et les combattants.

Séverine Autesserre, politologue

Elle rapporte à ce sujet ce qu’on lui a dit en République démocratique du Congo : « On inclut les pompiers et les pyromanes. »

PHOTO ALEXIS HUGUET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats congolais sautent dans un véhicule en mouvement. En République démocratique du Congo, « on inclut les pompiers et les pyromanes » dans le processus de paix, explique Séverine Autesserre.

L’idée est donc de travailler du bas vers le haut. Et aussi d’acquérir une fine connaissance des « histoires, politiques, croyances et coutumes spécifiques, uniques à la localité ou au pays où l’on veut construire la paix » et de s’en servir à cette fin.

Parmi les exemples de succès dont on peut s’inspirer, la chercheuse cite notamment le village de Wahat al-Salam Neve Shalom (dont Rima Elkouri a raconté l’histoire récemment), en Israël. Une preuve, selon elle, que la paix est possible dans ce pays⁠1.

Il s’agit du « seul village au monde qui a été créé pour prouver que deux groupes ennemis peuvent vivre ensemble, donc c’est un village qui est binational, bilingue, biculturel ». Et ça a fonctionné !

Après le pire, la paix

J’ai appris l’existence des recherches de Séverine Autesserre en discutant avec Marie Lamensch, coordonnatrice de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia.

Celle-ci a fait sa maîtrise sur le Rwanda il y a une douzaine d’années et a utilisé, à l’époque, les travaux de l’experte de l’Université Columbia.

Je ne veux pas idéaliser la situation actuelle au Rwanda, ravagé il y a moins de 30 ans par un monstrueux génocide.

Mais il reste que le pays est « la preuve que l’esprit humain peut guérir des blessures les plus profondes et qu’une société plus résiliente peut émerger des tragédies les plus sombres », disait l’an dernier le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

PHOTO SIMON WOHLFAHRT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des photos de victimes exposées au Mémorial du génocide de Kigali, au Rwanda. Le pays est « la preuve que l’esprit humain peut guérir des blessures les plus profondes et qu’une société plus résiliente peut émerger des tragédies les plus sombres », disait l’an dernier le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

Ça confirme à mes yeux qu’il y a effectivement des graines d’espoir cachées un peu partout. Et que la paix peut émerger même des pires circonstances.

Bien sûr, il y aura sûrement des gens, à la lumière de ce qui se passe en Israël et dans les territoires palestiniens, qui vont douter des possibilités d’y construire un jour une paix durable.

Ce à quoi Séverine Autesserre répond par une autre citation qu’elle aime beaucoup.

« Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient. »

Lisez la chronique « L’art de la paix en temps de guerre » de Rima Elkouri Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue