À l’instar des cigarettières, les pétrolières sont des empoisonneuses qui cherchent à nous endormir par leurs promesses doucereuses.

La Californie a lancé en septembre une poursuite contre le Big Oil, qui aurait berné le public et causé des milliards en dommages. Une poursuite qui fait penser à celle qui avait permis à des États américains d’arracher 360 milliards US au Big Tobacco dans les années 1990.

On connaît les conséquences mortifères du tabac pour les fumeurs, mais il y a pire. La survie de l’humanité est incompatible avec la consommation actuelle des hydrocarbures. Malheureusement, se passer de pétrole sera plus dur que d’arrêter de fumer. Il le faudra pourtant.

Des politiques musclées sont nécessaires pour forcer la décarbonation graduelle mais résolue de l’économie mondiale, afin d’atteindre la cible de zéro émission nette d’ici 2050, et de limiter le réchauffement à 1,5 ˚C.

Échéancier serré mais encore jouable, même si on pourrait bien atteindre 1,4 ˚C en 2023 avec le retour d’El Niño, estime l’agence européenne Copernicus. Une année d’exception ne fait pas la moyenne, mais les incendies de l’été sont un avant-goût des catastrophes à venir.

Les pétrolières ont longtemps nié l’existence du réchauffement causé par les gaz à effet de serre (GES), que les scientifiques d’ExxonMobil avaient pourtant prédit avec une précision remarquable dès les années 1970.

Leur mensonge dévoilé, les pétrolières nous ont promis la bouche en cœur de s’engager dans la transition vers des énergies renouvelables, une promesse emportée par le vent.

Le bond du pétrole provoqué par la guerre en Ukraine les a confortées dans leur métier : forer, pomper et maximiser les profits. Beaucoup ont tassé leurs investissements verts, moins rentables à court terme.

D’ailleurs, l’industrie américaine s’engage dans une consolidation. ExxonMobil vient d’acheter Pioneer Natural Resources pour 59,5 milliards US et Chevron, Hess pour 53 milliards US, afin d’accroître leurs réserves. Au risque de voir ces actifs s’échouer sans valeur, si la demande mondiale atteint son pic avant 2030, pour chuter de moitié en 2050, selon le scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), où les gouvernements donnent suite à leurs engagements.

La bonne foi des pétrolières a cédé à la pression des investisseurs myopes qui réclament plus de bénéfices chaque trimestre, sans regarder plus loin que le bout de leur nez. C’est la « tragédie de l’horizon » identifiée par Mark Carney, lorsqu’il dirigeait la Banque d’Angleterre.

Reste à voir ce que feront les sociétés européennes Shell, BP et Total, mal aimées en Bourse, parce qu’elles sont plus avancées dans la transition énergétique, grâce à des gouvernements déterminés.

Au Canada, le patron de Suncor (Petro-Canada), Rich Kruger, a tenté de rassurer les parlementaires en réitérant sa cible de zéro émission nette d’ici 2050, alors qu’en août, il avouait avoir négligé la vigueur du pétrole à cause d’« un accent disproportionné » vers la transition verte.

Le gouvernement fédéral doit donc brandir carotte et bâton pour amener les pétrolières comme Suncor à investir dans une décarbonation des sables bitumineux, compatible avec le recul attendu de la demande.

Ottawa a d’abord octroyé de généreux crédits à l’investissement pour le captage et le stockage en profondeur du carbone (CSC), dont pourra se prévaloir Pathways Alliance, qui réunit les exploitants de sables bitumineux, pour son projet de 24 milliards.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault

Quant au bâton, on attend l’imposition par le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault d’un plafond décroissant des émissions des pétrolières, qui constituent la plus grande source – toujours en hausse – des GES au pays.

Le directeur général de l’AIE, Fatih Birol, avoue que « l’histoire du CSC a été une grande déception ». Il craint que les projets, souvent reportés, « servent d’excuse pour de grands investissements dans les carburants fossiles ». La technologie devrait être surtout utilisée pour décarboner les industries qui peuvent difficilement se passer des hydrocarbures.

Selon une enquête de Bloomberg Green, le plus grand projet de captage et de stockage au monde, construit au Texas par Occidental Petroleum, n’a jamais opéré à plus du tiers de sa capacité, en raison de coûts trop élevés, que pourrait toutefois soulager le plan environnemental du président Biden.

Ottawa tente un arbitrage politique délicat : financer les usines de batteries en Ontario et au Québec, en échange de l’aide à la décarbonation des sables bitumineux d’Alberta. Une hausse graduelle de la taxe sur le carbone aidera la demande et l’offre de pétrole à s’ajuster à la baisse.

De Québec, on attend la réforme nécessaire de la Bourse du carbone, gérée conjointement avec la Californie, pour obtenir un prix en phase avec la taxe fédérale ailleurs au pays.

Enfin, le projet de taxonomie, qui définit les « investissements de transition » dans les entreprises polluantes qui veulent vraiment se décarboner, doit aller de l’avant afin que les placements durables l’emportent sur les myopes.

Lisez les recommandations de l’Institut climatique du Canada au sujet du secteur pétrolier Lisez la chronique de l’auteur sur le projet de taxonomie sur l’investissement de transition Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue