En politique, le bip-bip n’est jamais un son rassurant.

Le léger recul du gouvernement Trudeau sur la tarification du carbone trahit une certaine panique à l’interne. Quatre mois à peine après l’entrée en vigueur dans les provinces atlantiques de sa taxe carbone, il revient en arrière en suspendant la mesure pour le chauffage au mazout.

Les libéraux ont entendu la colère de leurs électeurs ruraux. Pour les conservateurs, c’est perçu comme un aveu de faiblesse. Et une incitation à aller plus loin dans la démonisation de tout le programme environnemental libéral.

Sur papier, le recul n’est pas si grand. Les libéraux suspendent la tarification du carbone pour la livraison de mazout pendant trois ans. En contrepartie, ils bonifient de 50 % la subvention pour remplacer le mazout par une thermopompe. On enlève un bâton et on grossit la carotte.

À cela s’ajoute une bouée.

Au Québec, les recettes du marché du carbone servent à financer des politiques vertes. Mais dans le système fédéral, qui s’applique dans la majorité des autres provinces, les recettes sont redistribuées aux contribuables. Les moins riches sont actuellement gagnants au net.

En outre, ce chèque est 10 % plus élevé en région, là où les citoyens dépendent davantage de leur voiture. Les libéraux bonifieront cette prime rurale, qui passera à 20 %.

Mais pourquoi reculer si vite après s’être tant battu pour vendre la taxe carbone ?

Les libéraux expliquent que le prix du mazout a bondi de 75 % dans la dernière année. C’est trois fois plus que pour le gaz. Ce bond fait d’autant plus mal que le mazout est davantage utilisé par les ménages à faible revenu. L’inflation les fouette au visage.

On devine toutefois que la décision est d’abord politique et qu’elle vient du sommet du gouvernement. Si les élections avaient lieu demain, les libéraux perdraient la majorité de leurs sièges dans l’Atlantique. Près de la moitié des électeurs y souhaitent carrément l’abolition de la tarification du carbone.

Justin Trudeau espère ici calmer la grogne, mais ce n’est pas tout. Il voit le portrait d’ensemble. La bataille principale commence à peine, et elle se mènera sur un autre front.

Son gouvernement vise la carboneutralité d’ici 2035 pour l’électricité. Il veut aussi imposer un plafond pour les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pétrole et du gaz. Dans les deux cas, la réglementation n’est pas finalisée. Et déjà, le lobby pétrolier et les conservateurs – du fédéral et des provinces – partent en guerre.

Le chef libéral avait essayé la même stratégie en 2018 en rachetant l’oléoduc Trans Mountain. Il espérait ainsi calmer l’Ouest afin de mieux faire digérer sa taxe carbone, qui n’avait pas encore été adoptée.

Or, sa main est restée tendue dans le vide. Le compromis avait surtout fait de nouveaux mécontents, et l’histoire menace de se répéter avec le mazout. On le voit avec les réactions de M. Poilievre et de la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith. Ils intensifient déjà leurs attaques pour réclamer de nouveaux reculs.

Le premier ministre conservateur du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, prétend que la tarification du carbone est à la fois onéreuse pour les citoyens et inefficace pour l’environnement. Ses alliés répètent la même chose.

Leur logique est difficile à suivre. Si la taxe coûte cher, elle incite à réduire sa consommation. Et, donc, à réduire sa pollution.

Ce n’est pas un secret ni un scandale. Au contraire, l’augmentation du prix de l’essence est précisément le but.

Cet effet a déjà été estimé par le Directeur parlementaire du budget. En 2021, il prévoyait que la hausse prévue du prix du carbone d’ici 2030 – de 50 $ à 170 $ par tonne – réduirait les GES de 96 mégatonnes⁠1.

Et si on abolit la taxe ? Ça aussi, ça aurait un prix. Une tonne de carbone entraîne des dégâts environnementaux estimés à 261 $, et ce chiffre ne fera qu’augmenter avec le temps.

La question est donc de savoir qui doit payer.

La tarification du carbone touche les particuliers et les entreprises.

Pour les individus, elle équivaut à une redevance sur l’essence et le gaz. Chaque année, son coût augmente. En 2030, en moyenne, les ménages canadiens recevront moins qu’ils ne payent.

En dollars, la facture sera plus petite pour les gens aux revenus modestes. Mais cette somme grugera une proportion plus importante de leurs revenus⁠2. Rien n’empêche toutefois de compenser en les aidant autrement.

Tout en appuyant en général la tarification du carbone, les néo-démocrates réclament un congé de TPS sur le chauffage et la fin des subventions aux énergies fossiles – les libéraux s’attaquent seulement aux aides jugées « inefficaces », tout en finançant généreusement la technologie incertaine du captage du carbone.

Ceux qui veulent éliminer la taxe sur le carbone doivent prendre position. Ou ils proposent un autre plan de réduction de GES. Ou ils avouent honnêtement ne pas vouloir faire quelque chose pour contrer le dérèglement climatique, alors que sept des huit limites planétaires ont été atteintes⁠3 et que les écosystèmes se rapprochent dangereusement de plusieurs points de bascule⁠4.

Si M. Trudeau veut apaiser les résidants de l’Atlantique qui en arrachent pour payer leurs factures, son recul s’explique. Mais s’il croit que le compromis aidera à faire digérer ses autres réformes environnementales, il sera déçu. Car chez ses rivaux, l’odeur du sang ne fait qu’aiguiser l’appétit.

1. Lisez le rapport du Directeur parlementaire du budget sur les gaz à effet de serre 2. Lisez l’analyse distributive du Directeur parlementaire du budget 3. Lisez l’étude sur les limites planétaires publiée dans Nature (en anglais) 4. Lisez l’étude de l’Institute for Environment and Human Security de l’Université des Nations unies (en anglais)