Échange avec le porteur d’une idée qui bouscule. Notre chroniqueur se laissera-t-il convaincre ?

Voilà un moment que j’observe le comité consultatif sur les changements climatiques du Québec comme on regarde un bateau qui prend l’eau.

On voit ceux qui quittent le navire. Et on se demande combien de temps il reste avant le naufrage.

Ce groupe d’experts qui conseille le gouvernement provincial sur les questions climatiques est formé, en théorie, de 13 experts. Ils sont indépendants et censés fournir un éclairage scientifique au gouvernement pour guider ses décisions.

En deux ans, pour des raisons diverses, quatre d’entre eux ont déjà démissionné. Le départ le plus fracassant a été celui de Pierre-Olivier Pineau. À la fin de l’été, l’influent professeur de HEC Montréal a claqué la porte, qualifiant le comité de « dysfonctionnel et non productif ».

Peu de temps après, le groupe publiait un avis recommandant au gouvernement d’instaurer une taxe kilométrique aux camions lourds.

Il n’a même pas fallu 24 heures au gouvernement Legault pour retourner le comité comme une crêpe et rejeter l’idée.

À quoi sert un comité si ses avis ne sont pas écoutés ? Le capitaine du bateau a accepté d’en discuter avec moi.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alain Webster

Alain Webster est président du comité consultatif sur les changements climatiques et professeur d’économie de l’environnement à l’Université de Sherbrooke. Il est arrivé en entrevue avec une telle fougue qu’il m’a fallu insister pour poser mes questions à travers le flot d’arguments débités à toute vitesse.

L’homme, manifestement, croit à son comité.

« Je continue sur la base de deux critères, m’a-t-il lancé. D’abord, je veux qu’on ait du plaisir. Ensuite, il faut que l’on contribue à la transition énergétique. Au cours des dernières semaines, je me suis demandé si le premier était encore vrai. Mais je me suis donné un peu de temps et le plaisir est revenu. »

L’allusion concerne la tempête déclenchée par le départ de Pierre-Olivier Pineau. Alain Webster refuse toutefois d’en parler davantage.

« L’objet environnemental est trop fondamental par rapport à ce petit débat personnel. Je veux me concentrer sur comment on fait la transition climatique », justifie-t-il.

Je demande alors au professeur en quoi un avis qui recommande une taxe kilométrique peut contribuer à la transition climatique s’il est lancé sur une tablette avant même que l’encre ne soit sèche.

« On ne s’attend pas à ce que ça fonctionne chaque fois du premier coup, répond-il. Dans ce cas-ci, ce n’est pas étonnant. Il y a des lobbys, des pressions. Des discussions comme ça, on va en avoir des tonnes au cours de la transition. »

Lorsqu’on évoque le risque que son groupe serve de caution à l’inaction d’un gouvernement, Alain Webster invite à accepter le fait que le comité consultatif n’est pas une « structure décisionnelle ».

On pousse, on met de la pression, on amène un éclairage scientifique indépendant. Notre avis sur la taxe kilométrique a ramené des enjeux d’écofiscalité dans la discussion publique. À la fin, si le gouvernement ne fait rien, ce sera aux citoyens de faire leurs choix.

Alain Webster, président du comité consultatif sur les changements climatiques

Me prenant par surprise, Alain Webster m’interpelle directement en me demandant si j’ai déjà écrit des textes d’opinion en faveur de mesures d’écofiscalité.

« Je pense que j’en ai lu plusieurs, dit-il avant même que je puisse répondre. Et est-ce que tu t’es dit : “J’arrête parce que ça n’a pas été mis en œuvre ?” Je pense que non. »

Touché, M. Webster.

Cinq avis en deux ans

En deux ans d’existence, le comité consultatif a produit cinq avis pour le ministre de l’Environnement.

Je me souviens que le premier m’avait laissé perplexe. On y affirmait que le Québec devait devenir carboneutre d’ici 2050. La deuxième recommandation stipulait qu’il faut « miser, pour l’essentiel, sur la réduction des gaz à effet de serre » pour y parvenir.

A-t-on vraiment besoin d’un comité pour écrire de telles évidences ?

Alain Webster me rappelle que le Québec n’a pas signé l’Accord de Paris.

« À la veille de la COP 26, on s’était dit que pour être crédible comme entité infranationale, il fallait que le Québec s’arrime avec ce qu’on a à l’échelle internationale », dit-il.

J’admets que c’est plus réfléchi que ce qui m’avait semblé.

La décision du Québec de contribuer au Fonds pour l’adaptation aux changements climatiques des Nations unies figurait aussi dans un avis du comité consultatif. Le Québec y verse 10 millions par année depuis trois ans.

Le comité consultatif n’a pas hésité à s’éloigner de son mandat pour offrir une formation sur le climat à tous les élus de l’Assemblée nationale. Ou pour lancer un programme de bourses destinées aux étudiants au doctorat.

Il faut élargir la discussion, pas seulement la ramener au bureau du ministre.

Alain Webster, président du comité consultatif sur les changements climatiques

Le comité planche actuellement sur un bilan de l’action climatique du gouvernement du Québec.

Alain Webster jure qu’il partage l’impatience d’une partie de la population.

« Est-ce que ça va assez vite ? Non, dit-il. Je ne suis pas en train de dire que l’action gouvernementale est correcte. »

Mais il plaide que son comité contribue à mettre de la pression du bon côté.

« Il faut être modeste dans notre capacité d’influence, mais je pense qu’on est un acteur qui contribue à accélérer la transition. Au lieu de porter un message individuellement, on le fait à travers un organisme indépendant et officiel, qui amène ça directement au bureau du ministre », dit-il.

« Je fais ça de façon bénévole, rappelle Alain Webster. Si je pensais que ça ne sert à rien, j’irais faire du vélo. »

Verdict

Professeur Webster, vous m’avez convaincu. J’ignore si c’est vraiment le rôle du comité consultatif de lancer des bourses étudiantes, par exemple. Mais des avis au ministre fouillés, s’appuyant sur des bases scientifiques, sont essentiels pour guider la transformation du Québec. J’ai aussi hâte de voir le bilan de l’action climatique du Québec. La prochaine fois qu’un avis du comité n’est pas suivi, je promets de ne pas tirer sur le messager, mais bien de talonner le gouvernement pour savoir pourquoi il a ignoré la science dans ses décisions.

Qui est Alain Webster ?

• Président du comité consultatif sur les changements climatiques

• Professeur titulaire au département d’économique de l’École de gestion et au Centre universitaire de formation en environnement et en développement durable de l’Université de Sherbrooke

• A été vice-recteur à l’administration et au développement durable et vice-recteur au développement durable et aux relations gouvernementales à l’Université de Sherbrooke.

• Ses recherches portent sur l’utilisation d’instruments économiques dans la gestion des changements climatiques.

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