« Il y a des PME, actuellement, qui vont avoir deux choix. Soit elles investissent dans des robots, dans la numérisation, pour augmenter leur productivité et augmenter leurs salaires. Ou, sinon, elles vont disparaître. » — François Legault

Ouch ! Pour la sensibilité et le tact, disons que c’est raté.

Dans cette chronique intitulée « Casser la cassette », nous décortiquons des citations qui font jaser. On aime bien s’attaquer à la langue de bois et aux phrases qui ne veulent rien dire.

Ici, François Legault a péché par excès inverse. Ses propos, tenus au micro du journaliste Paul Larocque de TVA, sont au contraire tellement directs qu’ils sonnent comme une claque au visage des entrepreneurs qui forment le tissu économique du Québec.

Le premier ministre, on le sait, flottait sur un nuage quand l’entreprise suédoise Northvolt a choisi le Québec pour installer sa première usine de batteries nord-américaine.

Si elles partagent généralement cet enthousiasme face à la création d’un nouveau secteur économique, les petites et moyennes entreprises du Québec ont quand même des inquiétudes.

La pénurie de main-d’œuvre leur fait déjà très mal. Or, avec l’arrivée de la filière batterie, elles s’apprêtent à voir débarquer des sociétés étrangères subventionnées à l’os, susceptibles d’offrir de meilleurs salaires qu’elles. De façon bien légitime, elles craignent de devoir se battre contre elles pour recruter et conserver leurs employés.

Que dit François Legault pour les rassurer ?

« Notre objectif, c’est que la personne qui gagne [actuellement] 20 $ l’heure soit capable d’aller chercher un salaire de 35 $ ou 40 $ chez Northvolt », a-t-il affirmé lors de la même entrevue à TVA.

Ouch, prise deux.

De tels propos ont très mal passé auprès des associations de PME.

« Non, je ne suis pas de bonne humeur », m’a lancé François Vincent, vice-président pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

« C’est clair que nos membres ont été surpris », dit aussi Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ).

Un retard à combler

Au-delà du ton abrupt, François Legault a raison sur une chose : la productivité des entreprises québécoises est à la traîne. Il s’agit d’un problème connu depuis longtemps. En 2022, pour chaque heure travaillée, les entreprises québécoises ont généré 54,40 $, contre 58,90 $ en Ontario et 61,10 $ dans l’ensemble du Canada.

M. Legault a aussi raison de dire que la clé pour combler ce retard de productivité est l’investissement dans l’automatisation.

Sauf que c’est plus facile à dire qu’à faire.

Ce n’est pas en pointant les entreprises du doigt négativement qu’on va arriver à quoi que ce soit de constructif.

François Vincent, de la FCEI

M. Vincent souligne que les dirigeants de très petites entreprises, par exemple, sont frappés si fort par la pénurie de main-d’œuvre qu’ils travaillent des heures de fou pour simplement se maintenir à flot. Ils n’ont ni le temps ni l’énergie pour entamer des processus d’automatisation.

« Ce n’est pas que les entreprises n’ont pas envie d’investir ou qu’elles trouvent que ce n’est pas important ! », me dit aussi Véronique Proulx, de MEQ.

Souvent, explique-t-elle, le problème est le manque d’expertise disponible pour réaliser l’automatisation… ou même pour faire fonctionner la chaîne de montage une fois l’automatisation achevée.

Québec, il faut le dire, est conscient de certains de ces problèmes et agit pour les régler.

Investissement Québec a notamment lancé une initiative appelée Productivité innovation pour aider les entreprises à adopter des solutions technologiques. Les sommes sont généreuses : 2,6 milliards ont été accordés depuis son lancement en 2020, principalement sous forme de prêts, dont 1 milliard pour l’année 2022-2023.

Selon la société d’État, 90 % des interventions ont été faites auprès d’entreprises de 200 employés et moins.

De l’accompagnement technologique a aussi été offert à 516 entrepreneurs.

De son côté, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie dit avoir débloqué 729 millions cette année pour 259 projets « visant une augmentation de la productivité ».

Véronique Proulx salue ces initiatives. Mais elle affirme que pour les plus petites entreprises, le manque d’accompagnement demeure un problème.

Je pense qu’Investissement Québec doit porter un regard plus précis sur les PME pour mieux comprendre la problématique et voir quels leviers elle peut activer pour avoir plus d’impact.

Véronique Proulx, de MEQ

François Vincent, de la FCEI, dénonce quant à lui le fait que la fiscalité pour les PME demeure plus lourde au Québec que dans les autres provinces, ce qui laisse moins d’argent à consacrer aux investissements.

La citation récente de François Legault laisse penser qu’il n’en a que pour les multinationales de la filière batterie et qu’il néglige les PME du Québec.

La réalité est plus nuancée. Les programmes en place à Québec montrent que le déficit de productivité des PME québécoise est bien connu au gouvernement et que des outils ont été mis en place pour y remédier.

Il reste que l’arrivée de la filière batterie vient remodeler le paysage industriel de la province et que cela soulève des préoccupations qui doivent être entendues.

Chose certaine, ce n’est pas en lançant l’équivalent d’un « marche ou crève » aux entrepreneurs du Québec, comme vient de le faire le premier ministre, qu’on les aidera à améliorer leur productivité.

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