« Un coup de réalité dans le front. »

Voilà comment Annie Desbiens, 61 ans, décrit son processus de recherche d’emploi.

En avril dernier, l’ex-enseignante de 5année a claqué la porte du « paradisiaque ministère de l’Éducation », comme elle le dit, exténuée par les conditions de travail.

Elle ne s’en faisait pas trop. En plus de sa demi-douzaine d’années d’enseignement, Mme Desbiens est titulaire d’une maîtrise en marketing et a 30 ans d’expérience comme représentante publicitaire dans les médias. Elle pensait se replacer facilement.

« Je n’ai aucun snobisme, précise-t-elle. J’ai postulé comme caissière chez Jean Coutu. Je ne cherche pas des salaires astronomiques. Je veux juste voir du monde. Je capote chez nous toute seule ! »

Sauf que voilà : elle ne trouve rien.

Sincèrement, je ne m’attendais pas à ça. Je ne dis pas que j’ai l’air d’avoir 30 ans, mais je suis dynamique, je ne fais pas mon âge. J’ai plein de choses à apporter. Je ne peux pas croire que je ne trouve même pas une jobine !

Annie Desbiens, 61 ans

« Le pire, ajoute-t-elle, c’est de lire chaque jour qu’il manque de travailleurs. »

Mme Desbiens est l’une des nombreuses lectrices à avoir réagi à notre graphique intitulé « Et si on incitait grand-maman à travailler ? » publié la semaine dernière⁠1.

J’y montrais que le taux d’emploi des femmes de 60 à 69 ans est considérablement plus bas que celui des hommes du même âge. Et je suggérais qu’il pouvait y avoir là une piste pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre.

Les réactions ont fusé – et de toutes sortes.

Certaines lectrices ont vu de la condescendance dans cette chronique. C’était à mille lieues de mes intentions, juré.

Michèle Pilon, par exemple, n’a pas apprécié le fait que je fasse des suggestions d’emploi comme « conseiller des vins à la SAQ » ou « recommander des livres dans une librairie ».

« C’est quoi, cette idée de petits boulots ? À 69 ans, une femme, pas nécessairement grand-maman, peut tout simplement continuer sa carrière », m’a-t-elle écrit.

Bien sûr. Absolument. Message reçu.

« Les femmes “travaillent” à bien d’autres choses dans l’ombre, m’a aussi écrit Mme Hamel. Depuis ma retraite en avril, je prends en charge tous les travaux de la maison (peinture, réparations mineures, nettoyage, jardinage). J’assiste ma fille avec ses deux enfants de bientôt 3 ans et de 14 mois – et je vous garantis qu’il faut être en forme pour les suivre à ces âges. Et je serai disponible pour l’aider à l’arrivée du troisième qui est en route. »

Encore ici, vous n’avez pas à me convaincre. Je suis très conscient que les femmes, malheureusement, en font plus que leur juste part, autant pendant leur carrière qu’après.

Plusieurs retraitées nous ont par ailleurs souligné être proches aidantes ou faire du bénévolat. Ce travail échappe aux statistiques, mais a une énorme valeur sociale et même économique.

L’idée, remarquez, n’a jamais été de suggérer un retour forcé sur le marché du travail. Je plaide simplement pour que les femmes qui souhaitent continuer à travailler puissent le faire.

Or, les obstacles comme ceux rencontrés par Annie Desbiens semblent malheureusement courants.

Liette Robin, 59 ans, est une ex-enseignante avec de l’expérience en milieu communautaire auprès de plusieurs types de clientèle vulnérable.

« Vous pensez que je devrais trouver du travail facilement… Et bien, ça fait un an que je cherche – outre un petit deux mois où j’ai eu un emploi qui s’est soldé par une expérience malheureuse à cause d’une patronne trop rigide, très peu accommodante », nous écrit-elle.

Que se passe-t-il ? Âgisme ? Sexisme ? Les deux ? Annie Desbiens avoue ne pas le savoir.

« Je ne rappellerai pas Jean Coutu pour savoir pourquoi ils ne m’ont pas prise. J’ai quand même un minimum d’orgueil ! », lance-t-elle. Elle émet quand même l’hypothèse que les patrons préfèrent peut-être des employés plus jeunes et plus « malléables », moins susceptibles de remettre en question leur autorité du haut de leur expérience.

Plusieurs lectrices nous ont dit peiner à trouver des emplois à temps partiel, les employeurs n’offrant que du temps plein.

« Je quitte par manque de souplesse de mon employeur après 37 ans de service », nous écrit une lectrice de 56 ans. Elle voudrait faire moins d’heures, mais son employeur ne le permet pas. Elle compte donc quitter son emploi pour en trouver un autre – une situation qu’elle juge « aberrante », avec raison.

On a envie de crier un grand « youhou ! » aux employeurs confrontés à une pénurie de main-d’œuvre, mais qui ferment la porte à des femmes qui ne demandent qu’à travailler. C’est quand même solidement absurde.

Claude Richer (le seul homme qui sera cité dans cette chronique !) soulève un autre problème potentiel. Lui-même à la retraite, M. Richer a fondé une agence de placement qui met en lien des personnes retraitées avec des entreprises qui cherchent à combler leurs besoins de main-d’œuvre. Il observe qu’il est plus facile de placer des cadres que des retraités visant des postes syndiqués.

« Les syndicats considèrent souvent le travail temporaire comme de la sous-traitance déguisée », dit-il.

Il y a évidemment des raisons pour lesquelles les syndicats défendent certaines règles d’embauche. Encore ici, on peut toutefois se demander s’il n’est pas possible de réfléchir à des solutions qui ne brimeraient personne.

Les femmes qui ont fait un retour en travail, en tout cas, semblent apprécier leur expérience. Sylvie Frenette est une « mémé de 63 ans » (ce sont ses mots, pas les miens !) qui, après une carrière de 30 ans chez Hydro-Québec, travaille maintenant à la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ).

« Je travaille les fins de semaine à la guérite d’un beau parc du Québec et j’ai l’impression de faire une différence dans l’accueil à la clientèle. Je suis de bonne humeur, enthousiaste, et je ne fais pas ça pour l’argent ! J’ai l’impression d’être utile », nous a-t-elle écrit.

« J’ai 66 ans et je suis femme de chambre dans un B&B quelques heures par semaine. Pour moi, c’est comme aller au gym, sauf que je suis payée pour y aller et que je rends service. Ma patronne respecte mon rythme, mes capacités et mes minces disponibilités », écrit aussi Renée Lessard.

Il me semble qu’on devrait dérouler le tapis rouge à toutes celles qui souhaitent faire comme elles.

1. Lisez la chronique « Et si on incitait grand-maman à travailler ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue